Brasier Torpédo 1911 : l'amour automobile de Boris Vian !
C’est avec le déserteur que j’ai appris seul à (mal) jouer de la guitare étant ado. C’est en lisant l’Ecume des Jours que j’ai appris à apprécier Vian l’écrivain, et c’est en habitant (jeune adulte) Saint Germain des Prés que j’ai marché sur ses pas en écumant les clubs de Jazz du quartier. Aujourd’hui encore, c’est en écoutant On est pas là pour se faire engueuler, chanson fringante et démocratique comme il le disait lui même, que je me remonte le moral les soirs de blues. Autant dire que Bison Ravi et moi, on partage beaucoup de choses.
Mais outre sa passion pour le Jazz, l’absurde, les mots et les inventions improbables, Boris était un bagnolard, un vrai. Passionné de mécanique autant que de conduite, il posséda un certain nombre de modèles prouvant son éclectisme et sa passion. La première fut une BMW saisie à l’armée allemande et rachetée à vil prix après guerre : une voiture qu’il réussit à revendre à un vendeur d’occasion quelques minutes avant qu’elle ne rende l’âme, tirant de cet exploit une certaine fierté !
Le touche à tout Boris Vian, alias Bison Ravi, était écrivain, jazzman, journaliste et amateur d’automobilesIl roula ensuite en Panhard et Levassor X77 Dynamic. Vian, en cette fin des années 40, est en quelque sorte précurseur du mouvement Youngtimer puisque cette voiture ne fut fabriquée qu’entre 1936 et 1940 (2581 exemplaires). Mais à l’époque, la production automobile vient tout juste de reprendre en France, et il faut parfois se satisfaire de modèles d’avant guerre ! Mais de toute façon Boris et moi avons un autre point commun : il appréciait particulièrement les modèles commercialisés à peu d’exemplaires, les vilains petits canards, et la X77 correspondait tout à fait à son idée de l’automobile, malgré les pannes à répétitions.
Une Panhard X77 faisait partie de la collection Baillon…Bison Ravi eut tout au long de sa courte vie (il mourra en 1959, à seulement 39 ans, d’une crise cardiaque) plusieurs autres voitures, une Austin Healey notamment, et bien entendu sa célèbre Morgan Plus 4, qui restera la proriété de sa veuve jusqu’à sa mort en 2010. Mais la plus célèbre de ses voitures demeurera sa Brasier Torpédo 1911. Oui vous avez bien lu : une Brasier.
Boris Vian au volant de sa Morgan Plus 4Si aujourd’hui collectionner des voitures anciennes, et notamment d’avant le première guerre, est relativement courant, en 1950, date à laquelle il l’achète, c’est une incongruité ! Surtout qu’il compte bien s’en servir comme d’un daily-driver, malgré sa vitesse de pointe ridicule de 80 km/h. Cela ne l’empêchera pas de rejoindre Saint Tropez (à 45 km/h de moyenne) avec, ou d’arpenter Saint Germain des Prés à son volant ! Cette Brasier avait en outre quelques particularités. Rachetée à un vieil homme amoureux de camping habitant Antony, elle était dotée d’un évier en émail, ainsi qu’un pot de chambre amovible sur l’un des sièges arrière. Malgré sa consommation gargantuesque (40 litres au 100), Boris adore sa vieille Brasier : elle sera d’ailleurs la seule de ses voitures à figurer sur la pochette d’un de ses disques (Chansons possibles ou impossibles, sur lequel figure les tubes Le Déserteur, On est pas là pour se faire engueuler, Fais-moi mal Johnny, ou La Java des Bombes Atomiques).
Brasier est un constructeur atypique, née de l’association en 1902 de Charles-Henri Brasier et Georges Richard. D’abord nommée Richard-Brasier, elle devient définitivement Brasier après l’éviction de Richard en 1905. Celui-ci, échaudé, s’en ira faire fortune ailleurs en créant la marque Unic avec le soutien des Rothschild. Brasier, seul au commande, n’arrivera pas à faire décoller sa marque et à réitérer les exploits sportifs du temps de son association avec Richard (deux coupes Gordon Bennett tout de même). La marque, positionnée sur le haut de gamme, aura du mal à se réinventer, et subira de plein fouet la crise de 1929, faisant faillite et l’obligeant à vendre à Delahaye (je vous parlerai plus en détail de l’aventure Brasier prochainement) !
En 1950 donc, la marque Brasier, autrefois célèbre, est déjà tombée dans l’oubli. Autant dire que c’est Boris Vian qui la remettra sur le devant de la scène, et encore aujourd’hui, c’est souvent grâce à cet illustre propriétaire que le nom de la marque refait surface. En tout cas, Vian aimait conduire sa Brasier, malgré la faible vitesse de pointe, considérant qu’elle était exigeante et qu’à son volant, on appréhendait vraiment ce qu’était « piloter », obligeant à tout anticiper pour rester sur la route. Il aimait aussi, lui le Centralien, pouvoir réparer lui-même à peu près toutes les pannes. Il aimait tellement sa voiture, qu’elle figure en bonne place sur son faire-part de mariage avec Ursula. Malheureusement, il semblerait que cette fameuse Brasier 1911, dont il ne reste plus que la plaque d’immatriculation visible à la Fondation Boris Vian, Cité Véron, lui ait été volée aux alentours de 1954. Dommage.
En 2013, Michel Gondry adaptera L’écume des jours au Cinéma, avec Romain Duris et Audray Tautou: il peuplera les rues de drôles de voitures, dont vous retrouverez l’histoire ici: Les drôles d’autos de l’Ecume des Jours
Les « drôles de voitures » du Film « L’écume des Jours » paru en 2013 !Aussi, si vous tombez par hasard sur un tel modèle, en vente ou en exposition, avec un intérieur cuir rouge, un robinet/évier et sa réserve d’eau, ainsi que ce fameux pot de chambre, il y a de fortes chances que vous vous trouviez en face du fameux Torpédo de Boris Vian. En attendant, vous pouvez toujours retrouver le sourire en écoutant On est pas là pour se faire engueuler.