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BMW série 8 E31 : enquête sur une GT au-dessus de tout soupçon

Par Nicolas Fourny - 17/09/2023

« Le V12 en lui-même constituait déjà un authentique morceau de bravoure mais le reste de la voiture recelait bon nombre d’innovations qui, à elles seules, en disaient long quant aux ressources et à l’avance de l’industrie automobile allemande sur celles de ses voisins »

Somme toute, rares ont été les échecs commerciaux avérés de BMW, depuis la renaissance de la marque et le lancement de la Neue Klasse en 1961. La série 8 de première génération en fait indéniablement partie, en dépit des ambitions tonitruantes que ses concepteurs nourrissaient à son endroit. Pourtant, l’auto n’a objectivement rien d’un ratage et l’analyse de sa fiche technique comme de ses prestations concrètes dessine le portrait d’une authentique GT, aussi aboutie, performante, raffinée et réjouissante à conduire que l’on pouvait s’y attendre. D’un certain point de vue, l’auto aurait pu être considérée comme la fille spirituelle — voire l’héritière — d’une Porsche 928 qui, elle non plus, n’a pas su trouver son public, comme on dit lorsqu’on ne veut pas se montrer désagréable. Mais la voiture de Munich n’avait pas, contrairement à son alter ego stuttgartoise, à se battre contre l’ombre tutélaire d’un modèle aussi mythique que la 911 ; on ne lui avait pas assigné la mission de remplacer une légende mais elle constituait, au contraire, la première véritable incursion de la firme bavaroise dans le segment des coupés de prestige. Et le sport, dans tout ça ? C’est peut-être justement là que le bât a blessé…

Une irrésistible ascension

Longtemps durant, la Daimler-Benz n’avait pas appréhendé BMW comme un concurrent — après, on s’en souvient, avoir failli racheter l’entreprise en 1959. Les deux firmes, il est vrai, ne s’adressaient pas tout à fait à la même clientèle, même si elles partageaient un certain élitisme, se tenant soigneusement à l’écart de la plèbe des Opel ou des Volkswagen. Les voitures de Stuttgart, très sérieusement conçues et construites, ne se prêtaient guère à la gaudriole, à l’exception bien sûr des coupés et roadsters qui, de tout temps, ont permis à Mercedes d’offrir une alternative ludique à ses berlines traditionnelles, lesquelles exsudaient jadis une quête de respectabilité peu compatible avec le Freude am Fahren prôné à Munich. Néanmoins, dès la fin des années 1960, BMW se lança dans une montée en gamme dont la cible n’était pas difficile à identifier : c’est bel et bien à la frange la plus dynamique de la clientèle Mercedes que les Bavarois avaient décidé de s’attaquer, s’efforçant, pratiquement pour chaque échelon de la gamme, de proposer des alternatives délurées aux paisibles berlines étoilées. S’appuyant sur un design agressif mais de bon aloi et des six-cylindres de plus en plus entreprenants au fil du temps, les séries 5, 6 et 7 parvinrent à conquérir des parts de marché significatives, en Allemagne de l’Ouest comme à l’exportation, affermissant sans cesse l’image de la marque ; tandis que, sous la férule d’Eberhard von Kuenheim, emblématique patron de BMW durant près d’un quart de siècle, les ambitions techniques du constructeur à l’hélice ne cessèrent de croître — jusqu’à coiffer Mercedes au poteau dans l’élaboration du premier V12 allemand de l’après-guerre !

Douze cylindres, et pourtant…

Chantre irréfutable et unanimement célébré du Reihesechs, Munich ne pouvait cependant s’y cantonner, en particulier face aux plantureux V8 Mercedes dont l’intimidante 6,9 litres avait, dès 1974, incarné un climax difficile à surpasser. Mais la vocation de motoriste de BMW est inscrite au plus profond des gènes de l’entreprise, et même jusque dans sa raison sociale ; la mise en chantier du moteur M70 correspondait donc à un aboutissement logique même si, au début des années 90, un huit-cylindres (et non des moindres) finit lui aussi par intégrer le catalogue de la firme pour y jouer un rôle crucial. Reprenant très exactement les cotes du six-cylindres M20 dans sa variante de 2494 cm3 — bien connue des conducteurs de 325i —, le V12 BMW, bien qu’ils eussent salué la suprématie ingénieriale que traduisait la démarche et les 300 chevaux que délivrait l’engin (valeur fort respectable pour l’époque), laissa néanmoins plus d’un observateur sur sa faim lorsque le M70 fut dévoilé dans la 750i/iL E32 en 1987. Se trouvaient ainsi interrogés certains choix techniques, en particulier la distribution à un seul arbre à cames en tête par rangée de cylindres, et on ne tarda pas à lire, ici et là, des comptes-rendus d’essais qui, au-delà du respect légitime que suscitait la réalisation d’ensemble, témoignaient d’une relative déception. Naturellement, si un constructeur de masse tel que Renault ou Ford avait accouché d’un tel moteur, la réception eût probablement été plus positive mais, s’agissant de BMW, les attentes étaient d’un tout autre calibre. À tel point qu’en France, l’Automobile Magazine n’hésita pas à conclure, à l’issue d’un comparatif opposant la 750iL à la Mercedes 560 SEL, que la voiture idéale était sans doute la BMW… animée par le moteur de sa rivale !

Un nouveau paradigme

Dans ces conditions, la strate suivante de l’itinéraire suivi par BMW vers les cimes de la renommée ne s’annonçait pas forcément sous les meilleurs auspices, malgré tous les soins apportés à la conception de la future E31, dont le projet avait démarré au printemps 1984. Car, en dépit de la très belle carrière accomplie par la série 6 E24, le modèle avait alors largement dépassé sa date de péremption ; chacun s’attendait à ce que survienne un successeur plus ambitieux encore, dans la mesure où la série 7 avait d’ores et déjà représenté un fulgurant progrès par rapport à sa devancière. Et, de prime abord, les visiteurs de l’IAA 1989 ne furent pas déçus, de même d’ailleurs que les journalistes spécialisés, à peine remis du choc que leur avait causé l’apparition de la Mercedes SL R129 quelques mois plus tôt. Sur le stand de la marque trônait un long coupé (4,78 mètres précisément) aux formes inédites, dont la carrosserie réussissait le tour de force de renouveler le style maison et de s’inscrire sans ambages dans la catégorie à laquelle ses concepteurs souhaitaient la rattacher, tout en étant spontanément identifiable par n’importe quel quidam comme une BMW, même en tenant compte des phares escamotables jamais encore retenus à Munich, M1 exceptée. La série 6 était bien morte ; et, afin de bien faire comprendre au public que l’auto avait changé de catégorie, c’est l’appellation « série 8 » qui fut retenue, tandis qu’aucun six-cylindres n’avait droit de cité sous le capot de l’engin : à ses débuts, la 850i se lança donc seule à l’assaut du marché ce qui, comme la suite des événements allait hélas le démontrer, n’était pas forcément la stratégie la plus appropriée…

L’ingénierie ne fait pas tout

Chef-d’œuvre d’ingénierie, sur le papier la 850i n’avait rien à se reprocher, cochant toutes les cases de la sophistication attendue à ce niveau de gamme, de performance et de prix (pour mémoire, à son lancement en 1990 l’auto était tarifée en France à 600 000 francs, c’est-à-dire à peu près le prix d’une Ferrari Mondial ou d’une Porsche 928, mais encore 56 000 francs de moins qu’une vieillissante Mercedes 560 SEC). Bien sûr, le V12 en lui-même constituait déjà un authentique morceau de bravoure mais le reste de la voiture recelait bon nombre d’innovations qui, à elles seules, en disaient long quant aux ressources et à l’avance de l’industrie automobile allemande sur celles de ses voisins — suivez mon regard… De la sorte, la 850i disposait, entre autres, d’un essieu arrière à cinq barres dont la technicité soulignait à elle seule la sénescence de feue la série 6 en matière de liaisons au sol ; d’une boîte manuelle à six rapports dont l’association avec un V12 correspondait à une première mondiale, tout comme d’ailleurs le multiplexage (pas forcément bien maîtrisé au début, il faut en convenir) ; d’un système antipatinage, dénommé ASC+T, destiné à faciliter la maîtrise de la voiture sur route mouillée ; et d’amortisseurs actifs EDC III (pour Electronic Damper Control) à deux programmes de fonctionnement. Malheureusement, et bien que disposant de 450 Nm, le V12 avait fort à faire pour animer les 1790 kg à vide de l’auto (soit presque 300 de plus qu’une M 635CSi de 286 ch) qui avait, on l’aura compris, délaissé la sportivité de ses prédécesseurs au profit d’un grand tourisme assumé. Était-ce toutefois réellement compatible avec la philosophie BMW de ce temps-là ?

Vingt ans d’avance… et c’est son drame

Il y a une quinzaine d’années, l’un des rédacteurs de Sport Auto avait écrit que « les Mercedes ressemblent de plus en plus à des BMW, et réciproquement ». C’est un fait : au fil des ans, et avec la précieuse contribution d’AMG, l’un a su développer une gamme d’authentiques sportives, tandis que son meilleur ennemi sombrait dans un embourgeoisement certes rémunérateur mais que certains puristes ont pu lui reprocher. À cet égard, la lourde, suréquipée et confortable E31 est sans doute arrivée trop tôt dans l’histoire de son constructeur et a dérouté sa clientèle, handicapée qui plus est par un contexte économique rendu difficile par la récession intervenue à partir de 1991. Ce qui a amené BMW à renoncer à plusieurs des développements envisagés, tels que la version cabriolet, la 830i d’accès à moteur six-cylindres et, surtout, la sulfureuse M8 à 48 soupapes, dont les 640 chevaux auraient pu lui permettre de terrasser une Ferrari 456… La firme se borna donc à une diversification limitée (mais bienvenue), vers le bas avec le V8 M60 puis M62 — unanimement décrit comme plus recommandable que le V12 — et vers le haut avec une 850CSi construite à un peu plus de 1500 exemplaires et que les collectionneurs d’aujourd’hui abordent comme un très joli lot de consolation. Commercialement parlant, les quelque 30 000 exemplaires écoulés en neuf ans de production n’ont rien de mirobolant et sont, une fois encore, à rapprocher des 61 000 Porsche 928 construites en dix-sept millésimes ; c’est là le sort des GT incomprises lorsqu’elles étaient neuves et dont l’attrait ne s’est révélé que tardivement. Tout comme la Porsche, la série 8 est très abordable à l’achat pour une machine de ce calibre ; pour autant, il est infiniment plus facile de succomber à son charme que d’assumer ses coûts d’entretien qui, eux non plus, n’ont rien à voir avec ceux d’une 635CSi… Vous voilà prévenus !





Texte : Nicolas Fourny

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