C’est entendu : la E30 est la plus populaire des BMW Série 3 chez les amateurs de youngtimers. Disponible dans une gamme étendue de carrosseries comme de motorisations, l’auto s’apparente à une sorte de couteau suisse susceptible de s’adapter aux désirs de chacun. Elle compte ses têtes d’affiche, comme la M3 et ses diverses itérations ou, bien entendu, les six-cylindres qui ont tant fait pour la réputation de la firme ; et puis, quand le connaisseur prend le temps de détailler un catalogue aussi tentaculaire qu’imaginatif, il peut découvrir des variantes moins renommées — et c’est le cas de la 318is, avatar tardif et éphémère qui marquait la toute première incursion de BMW sur un territoire jusqu’alors étroitement balisé par une ribambelle de tractions sempiternellement inspirées par une certaine Golf. Et le moins que l’on puisse dire c’est que la valeureuse E30, alors à son couchant, contrastait furieusement avec ses rivales !
Les derniers jours de la E30
Nous sommes à l’automne de 1989. Il y a déjà sept ans que la BMW Série 3 de deuxième génération promène une silhouette éminemment reconnaissable, d’une fidélité consciencieuse aux codes de la marque — même si elle a renoncé au shark nose typique de ses aînées — et dont le succès est indéniable. Bien sûr, dans ses premières années le modèle n’a pas reçu que des éloges de la presse spécialisée ; son relatif conservatisme ingénierial, la pusillanimité de son évolution esthétique et certains détails de sa fiche technique ont suscité un lot de commentaires peu aimables auxquels le constructeur n’a répondu qu’avec parcimonie au fil des ans, comptant avant tout, pour soutenir son modèle-phare, sur sa spécialité première — j’allais écrire sa raison d’être — : les moteurs ! Et de ce point de vue, c’est à un véritable feu d’artifice que Munich a convié la clientèle d’un segment de marché dont la Mercedes 190 s’est rapidement arrogé une part non négligeable. Bénéficiant d’un châssis plus évolué que la E30, la voiture de Stuttgart n’en offre toutefois pas le tempérament et cultive des mœurs plus bourgeoises que sportives, là où la petite BMW s’efforce d’entretenir le Freude am Fahren que vante la publicité. Parvenue à maturité, l’auto existe sous des formes très diverses, de la modeste 316 aux capiteuses 325i, en passant par des versions Diesel abhorrées par les puristes, sans oublier une M3 dont la légende ne fait encore que balbutier. Au vrai, il ne manque qu’une sportive plus abordable pour compléter la panoplie…
Un joli chant du cygne
C’est donc lors du dernier Salon de Francfort des années 80 que les visiteurs du pavillon dédié à BMW découvrent, peut-être avec surprise, la dernière-née d’une Série 3 dont la remplaçante achève alors sa mise au point. De fait, en comparaison des E32 puis E34 dévoilées au fil de la décennie qui s’achève, l’obsolescence de la E30 saute aux yeux et il est très rare de voir une motorisation inédite apparaître en toute fin de carrière d’un modèle. D’autant que la 318is ne se contente pas d’aménagements marginaux ou décoratifs ; il s’agit bel et bien d’une version nouvelle, dont le substrat concerne donc le moteur. Certes, sa fiche technique ne présente aucune caractéristique révolutionnaire pour la firme à l’hélice, dont les travaux sur les culasses multisoupapes remontent déjà à plus de dix ans, tandis que le quatre-cylindres type M40 a été présenté en 1987. Néanmoins, avec la Dreier ainsi gréée, c’est la première fois que BMW consent à démocratiser le concept, qui plus est en l’agrémentant d’un typage sportif extrêmement plaisant, par surcroît en mesure de rajeunir la voiture. Coup double ! Car contrairement à ce que son appellation pourrait laisser croire, la 318is est bien plus qu’une simple 318i vaguement améliorée ; le modèle possède une identité propre, définie à l’issue d’une étude de marché soigneusement menée !
T’as vu ? J’ai une « 16 soupapes » !
Nos lecteurs s’en souviennent sans doute, c’est dès 1985 que les thuriféraires de la VW Golf ont pu s’adonner aux joies de la « 16 soupapes » — formulation de nos jours dépourvue de tout prestige mais qui, à l’époque où les GTi règnent sans partage, confère une aura très particulière aux autos qui peuvent s’en prévaloir, certains conducteurs désargentés n’hésitant pas à se procurer les logos correspondants pour en agrémenter des machines modestement motorisées… De tels comportements rattachent sans ambages la catégorie des GTi aux segments de marché les plus plébéiens, dont elles sont d’ailleurs originaires ; seule la Golf peut à la rigueur revendiquer un positionnement plus cossu, ainsi que le proclament ses tarifs. Dans ces conditions, BMW, dont l’image n’a pas grand-chose à voir avec celles de Ford, de Peugeot ou d’Opel, a-t-il raison de faire irruption dans un marché lui étant substantiellement étranger ? La question semble d’autant plus légitime qu’à l’examen de ses caractéristiques, la 318is ne renverse pas la table, comptant probablement sur sa réputation pour conquérir une clientèle jusqu’alors absente des show-rooms de la firme. Avec 136 ch à 6000 tours/minute et un couple de 172 Nm atteint à 4600 tours, l’auto ne fait pas mieux que la Golf (139 ch, 168 Nm) et se fait même copieusement distancer par la Kadett GSi 16v (156 ch, 203 Nm). D’où un niveau de performances correct dans l’absolu (une vitesse de pointe fixée à 202 km/h, le 0 à 100 en 9,9 secondes et le kilomètre départ arrêté en 30,9 secondes), mais qui situe la BMW en milieu de peloton, ce qui ne peut que décevoir si l’on considère la domination exercée par la M3 à l’étage au-dessus où, il est vrai, la concurrence est nettement moins fournie. Il faut bien respecter la hiérarchie et on est loin des chronos d’une 325i ; en revanche, ceux qui envisagent l’acquisition d’une 320i se voient désormais proposer une alternative plus dynamique, à des conditions tarifaires plus avantageuses.
Une icône sportivo-chic
Jouissant d’un accastillage minutieusement défini par le marketing munichois, la 318is s’encanaille gentiment avec de belles jantes BBS « nid d’abeilles » (sur le marché français tout du moins), un spoiler avant suggestif, un becquet arrière et le fameux Shadow Line qui, comme chacun sait, consiste à bannir les chromes à l’exception du double haricot de calandre. Exclusivement disponible sous la forme du coach deux portes que les philistins d’aujourd’hui nomment abusivement coupé (la 318i dotée de cette carrosserie disparaissant du catalogue), l’auto dispose aussi d’une suspension « M Technic » abaissée de 15 mm et de barres antiroulis plus consistantes. Incontestablement, l’emballage est réussi : il a suffi de peu de choses pour transformer une carrosserie tellement vue qu’elle se voit menacée par la banalité en machine compacte et d’une agressivité de bon aloi. À l’intérieur, un tissu à carreaux baptisé « sport » dans la nomenclature BMW se charge d’entretenir l’ambiance, mais les véritables sièges sport sont en option — contrairement au volant « M Technic » en cuir — tout comme, dans la bonne tradition maison, la quasi-totalité des équipements de confort. Tarifée 131300 francs au printemps 1991, la 318is ne fait pas de cadeau aux GTistes soucieux de promotion sociale : c’est 11 % de plus qu’une Golf GTi 16s déjà pas particulièrement bon marché. Il n’empêche que, dans l’absolu, les quelques 41000 clients qui ont jeté leur dévolu sur l’engin n’ont pas eu à se plaindre de leur choix : pour qui ne vit pas avec un chronomètre à la place du cerveau, la 318is s’avère réjouissante à conduire à condition de ne pas hésiter à cravacher la mécanique : multisoupapes « à l’ancienne », le M42B18 ne donne le meilleur de lui-même que dans une plage d’utilisation réduite ; sous les 4000 tours, il ne se passe pas grand-chose, ce qui suffit à délicieusement dater une auto plus rare qu’il n’y paraît, sans descendance directe et surtout diablement attachante. Les amateurs ne s’y sont pas trompés et la cote grimpe gentiment. À vous de savoir en profiter avant qu’il ne soit trop tard…
Texte : Nicolas Fourny