Alpine A110 R : un collector avant l'heure
Il ne fait aucun doute que l’émulation suscitée par l’imagination fertile du marketing Porsche n’est pas étrangère à l’apparition des diverses variantes de l’A110 à la naissance desquelles nous avons assisté ces dernières années. Depuis la présentation de la 996, le constructeur souabe est en effet passé maître dans l’art de décliner une multitude de versions aux typages spécifiques sur la base d’un même concept, de la sorte décliné à l’infini, et peut-être même au-delà…
Il ne fait aucun doute que l’émulation suscitée par l’imagination fertile du marketing Porsche n’est pas étrangère à l’apparition des diverses variantes de l’A110 à la naissance desquelles nous avons assisté ces dernières années. Depuis la présentation de la 996, le constructeur souabe est en effet passé maître dans l’art de décliner une multitude de versions aux typages spécifiques sur la base d’un même concept, de la sorte décliné à l’infini, et peut-être même au-delà… De ce côté-ci du Rhin, la leçon a manifestement été bien apprise et c’est ainsi qu’après plusieurs autres avatars (quoique, il est vrai, sensiblement moins nombreux qu’à Stuttgart), la sportive française a sans doute atteint l’apogée d’un brillant destin, sous la forme de l’A110 R !
Un dernier bonheur avant la fin du monde
L’A110 contemporaine a été présentée officiellement au printemps 2017, alors que le sommeil d’Alpine datait de plus de vingt ans. Après un quinquennat au catalogue et plus de dix mille exemplaires construits, l’avenir de la firme dieppoise semble désormais assuré mais, comme tant d’autres, placé sous le signe d’une électrification que l’on peut bien sûr regretter mais qui apparaît plus ou moins inéluctable. Il n’est donc pas abusif d’écrire que la berlinette actuelle est la dernière représentante de l’espèce — nous voulons dire des sportives bruyantes car thermiques et donc légères : pas sûr que son éventuel successeur démontrera la même agilité après avoir été lesté de trois ou quatre cents kilos de batteries. Notons d’ailleurs au passage que le modeste 4 cylindres qui anime l’A110 depuis ses débuts (et qu’elle partage avec l’actuelle Renault Mégane R.S.) a engendré de moins en moins de critiques au fur et à mesure que se précisait la funeste menace du bannissement des moteurs à essence et que l’auto prenait du muscle, jusqu’aux 300 ch de la version S commercialisée à l’automne de 2022 et dont l’A110 R a hérité du groupe motopropulseur.
Pour tous les goûts
Rappelons, à toutes fins utiles, que nous avons affaire à un groupe cubant précisément 1798 cm3, suralimenté par un turbo de type twin scroll et implanté transversalement en position centrale arrière — architecture plus cohérente que le « tout à l’arrière » de l’A110 originelle, que regrettent surtout ceux qui n’ont jamais essayé de la maîtriser. Cela étant, la première Alpine du XXIe siècle demeure une machine exigeante et il faut déjà posséder de solides notions de pilotage pour en tirer la quintessence ; l’équilibre de l’engin n’a rien à voir avec les tractions survitaminées et réglées de façon à obtenir, tôt ou tard, un bienveillant sous-virage destiné à rassurer les néophytes habitués à conduire sous la surveillance d’une électronique intrusive. Ainsi, l’A110 R s’adresse à une clientèle d’amateurs véritables et sincères ; il est réconfortant de se dire que les frimeurs y sont probablement sous-représentés. Lesdits amateurs ont suivi avec intérêt la diversification de la gamme mise en œuvre par le constructeur, et sa structure actuelle lui permet de s’adresser à différents publics, que l’on soit soucieux de préserver une certaine polyvalence d’usage ou que l’on appartienne à l’attachante tribu des pistards invétérés.
Une GT3 à la normande
Il suffit de contempler l’engin pour comprendre qu’on n’est pas là pour beurrer des sandwiches, intuition que confirme une lecture attentive de sa fiche technique. L’aileron arrière juché sur des attaches en col de cygne (comme chez qui vous savez) améliore l’aérodynamique mais ne se soucie guère de discrétion, tandis que la lame avant, les jupes latérales et l’imposant diffuseur ratifient le caractère agressif de l’auto. La fibre de carbone est omniprésente et on s’est arrangé pour qu’elle se voie, à l’instar du capot ou des jantes au dessin différencié d’un essieu à l’autre, plus impressionnantes qu’esthétiques mais qui contribuent à clarifier le vocabulaire d’ensemble : c’est l’efficacité qui prime, comme le proclament semblablement les gros Michelin Pilot Sport Cup 2 — des semi-slicks. À l’intérieur, le festival continue avec une paire de baquets Sabelt qui se substituent aux sièges de série et imposent le fastidieux bouclage d’un harnais six points, sans oublier les sangles qui décorent les contreportes (là encore, comment ne pas songer à Porsche ?) et font indéniablement partie du folklore. Au final, et en dépit du maintien discutable d’équipements de confort tels que la climatisation ou le système audio (la marque aurait pu les proposer en option gratuite, histoire de laisser le choix à ses clients), Alpine revendique un gain de poids de 34 kilos, une partie des matériaux insonorisants ayant fait les frais de l’opération, ce qui compense en partie la stagnation de la puissance et du couple, figé aux 340 Nm qui constituent le maximum admissible par la boîte 7 rapports à double embrayage d’origine Getrag — seul choix possible, hélas !
Le chant du cygne a un prix
Le site Alpine le proclame sans ambages : « R for Radical » ! De fait, les responsables de la partie châssis ne se sont pas contentés de regarder bosser leurs collègues chargés de l’accastillage. Non seulement l’assiette perd 10 mm par rapport à l’A110 S, mais de surcroît les amortisseurs sont réglables hydrauliquement en fonction des caractéristiques de la piste et des préférences du pilote. De son côté, la raideur des barres antiroulis progresse de 10 % à l’avant et de 25 % à l’arrière versus la S, alors que les étriers de freins mordent dans les mêmes disques de 320 mm. Bien sûr, dans ces conditions les performances pures revendiquent des valeurs réjouissantes (Vmax de 285 km/h, le 0 à 100 en 3,9 secondes) mais, au vrai, ces chiffres n’ont qu’un intérêt relatif, à moins d’avoir un chronomètre greffé à la place du cerveau. La nouvelle Alpine laisse le soin aux excités de tout poil d’en découdre sur la Nordschleife pour s’en aller traquer l’ultime dixième de seconde. Toutefois, et compte tenu du prix de vente de l’A110 R — fixé à 105 000 € —, il n’est pas impossible que certains amateurs se livrent à des comparaisons somme toute légitimes et, une fois encore, c’est du côté de Zuffenhausen que l’on peut se tourner, par exemple pour constater qu’un Cayman GTS, avec son flat-six de 400 ch implanté lui aussi à l’arrière et, il faut bien le dire, une image de marque plus forte que celle de l’Alpine, s’obtient pour moins de 90 000 €. Chez BMW, la nouvelle M2, encore plus compétitive (79 900 €), n’est pas à la traîne non plus et son moteur de 460 ch peut compenser un design extérieur qu’il est permis de trouver vulgaire. Mais en termes de rapport poids/puissance, et malgré les compétences de leurs châssis respectifs, ces deux voitures, sans doute plus polyvalentes, ne peuvent prétendre concurrencer l’A110 R et ses 1082 kg. Celle-ci est dédiée à une population en voie de raréfaction, celle des gentlemen-drivers, qui résistent encore et toujours à l’écologiquement correct et aux associations de pisse-vinaigre qui réclament la fermeture des circuits. Elle tend les bras à tous ceux qui aiment authentiquement le pilotage et qui sont prêts à lui sacrifier un peu de praticité ou de confort postural dans le cadre d’une utilisation routière. Bon, évidemment, il leur faudra aussi quelques ressources financières — ce qui n’empêchera pas la production prévue de s’écouler sans la moindre difficulté… à vous de jouer, car il n’y en aura pas pour tout le monde !
Texte : Nicolas Fourny