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307 Féline 180 : celle que Peugeot ne voulait pas vendre

Par Nicolas Fourny - 26/08/2020

De nos jours, la 307 végète dans les petites annonces de plusieurs sites qu’il est inutile de nommer. Trop vieille pour les uns, trop récente pour les autres, elle traverse cette période grise que connaissent la plupart des modèles, faite d’oubli, d’entretien de plus en plus négligé et de mises au rebut massives à la faveur des primes à la conversion. Et les amateurs de conduite sportive n’y ont jamais réellement prêté attention : trop haute, trop lourde, trop disruptive avec les compactes Peugeot des générations précédentes, l’auto a très vite été rangée dans la catégorie des loukoums dessinés pour attirer les amateurs de monospaces et incapables de dispenser le moindre plaisir de conduite. Et pourtant, si un jour vous avez l’occasion de prendre le volant de sa version la plus méconnue, peut-être changerez-vous d’avis…

Quand les voitures étaient hautes…

« Je suis venu au monde parce que mes parents avaient vidé une bouteille de trop un samedi soir », confia un jour Julian Lennon. C’est bien connu, les enfants non désirés n’ont pas la vie facile. Si elles pouvaient parler, des voitures comme la Talbot Tagora ou la Lancia Fulvia (version Marchionne, évidemment) auraient également bien des choses à dire quant au fait d’avoir été conçues sans désir puis mises au monde à regret — toujours pour de mauvaises raisons, souvent liées à des conflits internes et/ou à une stratégie erratique. C’est également le cas de la plus énigmatique, de la plus oubliée des Peugeot 307 — j’ai nommé la Féline 180 ! Derrière ce patronyme sans éclat, que l’on pourrait croire choisi à dessein pour lui garantir l’anonymat, se dissimule pourtant une machine bien plus attachante qu’on pourrait le croire a priori ; désirable jusque dans sa pusillanimité, en quelque sorte.

Évidemment, au printemps 2001, lorsque Peugeot lança sa nouvelle compacte, les observateurs avertis comprirent que l’on avait brutalement changé d’époque. À une 306 basse, assez légère, dynamique et très vivante à conduire dès que l’on se détournait des versions les plus modestement motorisées, succédait une berline monospacisée, dont la hauteur inusitée retenait immédiatement l’attention : avec 1,51 mètre sous la toise, la nouvelle venue dépassait sa devancière de treize centimètres. La lecture du dossier de presse diffusé en prélude au Salon de Genève est édifiante : il y est question d’un accès à bord optimisé, de luminosité, d’habitabilité ; l’agrément de conduite y est bien entendu évoqué, mais de façon un peu tâcheronne, sans enthousiasme réel, comme s’il s’agissait d’un critère un peu périmé, voire même ringard dans notre XXIème siècle encore balbutiant. Les férus de pilotage ne s’y trompèrent pas et la lecture des fiches techniques des différentes versions proposées confirmèrent la justesse de leurs sombres pressentiments.

… les performances étaient basses

Il faut choisir : quand on veut jouer les petites familiales d’inspiration germanique (jusque dans la disposition des compteurs du tableau de bord, servilement calquée sur celle de la Golf IV) et offrir une hauteur sous plafond inédite dans le segment (mais rigoureusement inutile au quotidien), il est difficile de proposer simultanément l’agilité d’une 306, tellement plus légère. Surtout lorsque le moteur le plus entreprenant n’est autre que le 2 litres de la série « EW », fort répandu à ce moment-là chez Peugeot comme chez Citroën. Plutôt à son aise sous le capot d’une 206 S16, ce groupe s’avérait nettement moins à son affaire lorsqu’il s’agissait de déplacer valablement une auto dépassant les 1 300 kilos à vide. Très honnêtement d’ailleurs, le constructeur n’avait assigné aucune prétention sportive à la 307 2.0e 16v, qui couronnait ainsi la gamme en assumant le rôle d’une variante aux prestations acceptables dans la plupart des circonstances usuelles, mais octroyant des sensations très éloignées de feu la 306 XSi, sans parler de la glorieuse S16 « 6 vitesses », dont ni les performances ni le tempérament ne semblaient se trouver à la portée du nouveau modèle.

Très rapidement, le vif succès commercial remporté par la 307 sembla ratifier les choix architecturaux et techniques opérés par Peugeot. L’absence d’une véritable version de pointe — susceptible par exemple de constituer une réponse crédible à la Golf R32 — ne portait qu’un préjudice très limité à l’image du modèle, dont la clientèle moyenne dévorait probablement davantage les fiches techniques publiées dans Auto Plus que les comptes-rendus d’essais de Sport Auto… Ce n’est pas la première fois — ni, hélas, la dernière — que nous sommes amenés à constater l’incapacité délibérée de PSA à suivre l’offensive germanique dans ce que certains nomment course à la puissance mais qui n’est, à notre sens, que l’une des traductions simultanées du progrès technique et de l’ambition potentielle d’un constructeur.

 « Lots Of Troubles Usually Serious »

Dans ce morne contexte, la mise au point puis la commercialisation du moteur EW10 J4S, apparu d’abord sur la 206 RC puis sur la 307 CC, ont réjoui plus d’un passionné. Le 4 cylindres 1 997 cm3 — bon compagnon au demeurant si vous êtes né sous Pompidou et aimez boire de la tisane — avait subi un certain nombre de modifications, sous-traitées à Lotus Engineering pour la conception puis à Mechachrome pour l’usinage de la culasse, principal objet des évolutions mises en œuvre. Dorénavant équipé d’une distribution variable à l’admission, le groupe voyait sa puissance atteindre désormais 177 chevaux à 7 000 tours/minute, tandis que le couple, pour sa part, ne progressait que très légèrement, offrant 202 Nm à 4 750 tours. Ces valeurs, proches dans l’absolu du 2 litres de la Renault Clio R.S. contemporaine, pouvaient aisément convenir à une GTi, mais nettement moins à une compacte pesant près de 300 kilos de plus.

C’est pourtant ce même moteur que Peugeot a choisi d’implanter, à l’automne de 2005, dans sa compacte restylée pour l’occasion. Toutefois, ceux qui espéraient assister à l’irruption d’une 307 RC — appellation déjà sibylline et peu évocatrice, il faut bien le dire — en furent pour leurs frais ; c’est en effet sous le nom de « Féline 180 » que la 307 la plus puissante intégra la gamme, dans une discrétion quasi maladive. « Féline » n’était qu’un niveau de finition parmi d’autres, qui pouvait également être associé à des mécaniques plus modestes et, esthétiquement parlant, la « 180 hp » ne se distinguait que par un badge lilliputien reprenant cette dénomination, apposé sur les portières avant, ainsi que par des jantes et des pneumatiques adaptés aux possibilités de la voiture.

Entretien avec un fantôme

Il y a quinze ans, la démarche de Peugeot laissa songeurs la plupart des journalistes spécialisés et, aujourd’hui, cette perplexité demeure. Voilà un modèle lancé bien trop tardivement dans la carrière de l’auto — de fait, sa production ne dura que dix-huit mois environ —, dont le moteur était pourtant disponible depuis plusieurs années sur les étagères du constructeur et dont les caractéristiques générales ressemblent plus à un brouillon qu’à un produit défini avec toute la compétence requise. Rappelons, à cet égard, que les comparaisons se révélèrent cruelles pour la Peugeot, aussi « féline » qu’elle prétendît être ; pour ne citer qu’elle, la Renault Mégane R.S., première d’une époustouflante lignée, proposait déjà des performances d’un tout autre niveau, même si ses exigences tarifaires étaient nettement supérieures. Les fanatiques du Lion, dont la mémoire palpitait encore des aptitudes d’une certaine 309 GTi 16, ne pouvaient que se détourner d’une proposition aussi inaboutie, à la fois trop pointue pour être exploitée valablement par un conducteur moyen et pas assez puissante pour intégrer le clan des sportives authentiques.

Dans ces conditions, à qui la 307 « 180 », que Peugeot ne soutint jamais comme il l’aurait fallu, pouvait-elle donc s’adresser ? Quelques amateurs de conduite rapide (mais à la coule, n’est-ce pas) ou d’exclusivité (ce n’est certes pas la Peugeot la plus répandue) se laissèrent tenter mais, on l’aura compris, ils ne dépassèrent pas les frontières de la marginalité. En reprendre le volant à l’heure actuelle ne permet pas de dissiper le malaise : on est assis trop haut, dans un habitacle lumineux, en face d’un combiné dont les cadrans blancs sont censés inviter à une conduite active. L’équipement est riche — il était même possible d’obtenir une planche de bord intégralement tendue de cuir, dont les coutures ne résistent malheureusement pas très bien à la fuite des années —, les sièges sont confortables et il y a suffisamment de place pour quatre adultes. Le pommeau du levier de vitesses, réalisé en aluminium, commande une boîte à cinq rapports dont la longueur inappropriée achève de ruiner les illusions d’un conducteur candide qui se serait laissé abuser par la puissance annoncée. N’ayant bénéficié d’aucun aménagement particulier hormis un accroissement du diamètre des disques de freins, le châssis accomplit sa besogne avec application, mais sans brio. Une conduite coulée ne pose aucune difficulté et la voiture demeure facile à contrôler en toutes circonstances ; néanmoins, toute tentative d’arsouille se solde par la manifestation d’une flagrante inertie, due au poids de l’ensemble ainsi qu’à des réglages résolument orientés vers un comportement politiquement correct

Dès lors, à moins bien sûr d’avoir le Lion de Sochaux tatoué à l’emplacement du cœur, il semble difficile de trouver un réel attrait à cette 307 que ses singularités peuvent cependant rendre attachante pour qui n’est pas obsédé par le chronomètre et sait apprécier l’ambiguïté, l’indécision et les personnalités floues. Le tout à un prix qui ne risquera pas de vous ruiner : cinq mille euros sont suffisants pour financer l’acquisition de l’un des rares exemplaires disponibles à la vente (à l’heure où ces lignes sont écrites, il y en avait moins sur le marché que de doigts à la main gauche de Django Reinhardt). Entre exotisme et vélocité, il vous reste à choisir…

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