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Volkswagen Vento VR6 : on se risque sur le bizarre

Par Nicolas Fourny - 19/08/2022

Dans l’histoire de l’automobile, il est des modèles auxquels la gloire se refuse obstinément. Que dis-je, la gloire ? Même la notoriété la plus primaire leur est interdite. Leur carrière se déroule dans la pénombre puis, dès que leur fabrication s’achève, ils sombrent dans un oubli dont la longueur ressemble beaucoup à une forme d’éternité. Il en va ainsi de la Vento, sœur aussi massive qu’infortunée de la Golf III et qui, bientôt trente ans après son apparition, ne retiendrait guère l’attention si ce n’est dans sa version la plus inattendue et la plus attachante — j’ai nommé la VR6 ! Greffé dans cette caisse aux proportions improbables et à l’identité flétrie dès sa naissance, le célèbre six-cylindres VW semble a priori autant à sa place qu’André Rieu sur un album de Black Sabbath, mais il importe de se méfier des idées reçues et, à la vérité, ce singulier cocktail wolfsbourgeois (dans tous les sens du terme) mérite bien une nouvelle dégustation…

Encore merci et bonne chance, nous sommes avec vous

« Elle était un peu massive, mais je la préférais à sa sœur, qui était un peu pensive. » Cette phrase due au romancier Stéphane Denis semble avoir été écrite pour la Vento, même s’il est peu vraisemblable que son auteur y ait songé. Qui y pense, d’ailleurs ? De fait, on ne peut pas dire que la berline Volkswagen ait laissé une trace indélébile dans les esprits. Apparue en 1992, elle dérivait étroitement de la troisième génération de la Golf, tout comme les deux premières Jetta avant elle. Il existe bien des façons de dessiner une berline à trois volumes — c’est-à-dire avec un coffre apparent : parfois, cela donne un chef-d’œuvre (exemple : l’Alfa Romeo 156) ; parfois, cela aboutit à un objet maladivement prosaïque, triste et moche (que les malheureux propriétaires de Renault Thalia s’abstiennent de lever le doigt qu’on imagine) dont la seule vertu concerne une capacité d’emport supérieure à la moyenne. Il existe aussi des pays où, de façon quelque peu primitive, la population s’obstine à accorder un standing supérieur aux carrosseries tricorps, ce qui a conduit à des saccages comme la Peugeot 206 « à coffre ».

Dans le cas de la Vento, l’épaississement progressif des lignes de la Golf, censé suggérer une solidité toujours plus affirmée, a eu des conséquences fâcheuses : l’inflation des surfaces tôlées, encore tolérable sur la version bicorps, devint carrément indigeste lorsque les designers VW ajoutèrent un troisième volume aux lignes déjà pesantes de la Golf III. Comme l’auteur de ces lignes — quoique tragiquement nul en géométrie —, vous vous souvenez tous, j’en suis sûr, des parallélépipèdes rectangles que nos dévoués professeurs de mathématiques s’astreignaient à nous faire dessiner sur des feuilles de papier millimétré. C’est certainement ainsi que J Mays et ses acolytes ont procédé au moment de commettre ce greffon dépourvu de grâce et affublé de feux arrière qui paraissaient caricaturer ceux d’une Audi 100 « C3 ». Avec un volume utile de 550 litres, la logeabilité y gagnait ce que l’élégance y perdait mais cela n’a pas empêché le modèle d’accomplir un joli parcours commercial en Amérique du Nord — où elle reprit le nom de Jetta, là où ses devancières avaient déjà su attirer une clientèle férue d’exotisme européen et du made in Germany, sans avoir toutefois les moyens de s’offrir une BMW Série 3…

La laideur se vend bien

Raymond Loewy affirmait le contraire mais, à l’évidence, il lui arrivait de se fourvoyer : après tout, à chacun ses priorités : qui serions-nous pour jeter la pierre à ceux qui, avant tout soucieux de pouvoir partir en vacances avec le nécessaire, le superflu et le reste, jetèrent leur dévolu sur la Vento ? Il y a des individus qui n’aiment pas les véhicules à hayon, peut-être en raison de leur utilitarisme, ou bien parce que l’ouverture du coffre provoque toujours des courants d’air désagréables en hiver, ou bien encore, en notre occurrence, parce que le côté « Passat en réduction » a pu convaincre quelques hurluberlus en quête de promotion sociale. Toujours est-il que la Vento/Jetta III n’a pas loupé sa cible, commercialement parlant : plus de deux millions d’exemplaires en ont été construits, en Basse-Saxe mais aussi au Mexique — c’est l’usine de Puebla qui s’est, entre autres marchés, chargée d’alimenter les États-Unis et le Canada. Indéniablement, c’est là un joli score mais, on s’en doute, la VR6 n’y aura joué qu’un rôle marginal ; elle n’aura pas même été la locomotive que la Golf éponyme, si douée pour attirer la lumière, a su incarner pour ses sœurs de gamme car, au vrai, mis à part les abonnés au magazine Gute Fahrt et les fidèles du Wörtherseetreffen, très peu de gens sont au courant de son existence.

Deux litres huit de bonheur

Comme on pouvait s’y attendre, la fiche technique de la Vento VR6 est un fidèle décalque de celle de la Golf identiquement motorisée. Même leur empattement est similaire ; ce ne sont donc pas les jambes des passagers arrière qui bénéficient de la transformation, mais là n’est pas l’essentiel. L’objet du délit se dissimule sous un capot sans relief, flanqué d’une paire de projecteurs rectangulaires dont certains pignoufs ont trouvé intelligent d’affubler des Golf (la démarche inverse existe aussi, ce qui démontre que la cuistrerie ne connaît aucune limite). Contrairement à ce que l’on croit en général, Volkswagen n’a pas inventé le moteur en V « étroit » : c’est à Lancia que revient la paternité du procédé ; dès 1922 en effet, la firme turinoise mit au point un quatre-cylindres en V ouvert à 20 degrés et qui, comme les VR6 et VR5 germaniques, disposait d’une seule culasse, contre deux pour un moteur en V traditionnel.

Nous avons donc affaire à un groupe d’une cylindrée exacte de 2792 cm3, développant 174 chevaux à 5800 tours/minute ; pour sa part, le couple maximal atteint les 235 Nm à 4200 tours (voire 240 Nm si vous utilisez du carburant présentant un indice d’octane de 98). Fascinés — à juste titre — par les réalisations de BMW ou d’Alfa Romeo, les amateurs de six-cylindres sont souvent passés à côté de l’authentique pièce d’orfèvrerie que constitue ce moteur, dont Gaétan Philippe, lors du premier essai de la Golf VR6 paru dans le Moniteur Automobile, saluait ainsi les qualités : « Pour l’heure, il devrait nous combler tous tant il prend bien ses tours et s’avère souple en reprise. (…) Quel bonheur ! Il est même passionnant au ralenti, ce bougre de 2,8 litres à course longue. Quand il a eu chaud, ce ralenti le berce de petites saccades, un peu comme ces tics musculaires qui apparaissent après l’effort, qu’on n’essaie même pas de réprimer tant ils procurent une sensation d’apaisement et de laisser-aller. »

I’m only sleeping

Les chronos sont à l’avenant : avec 225 km/h en pointe et le 0 à 100 km/h en 7,8 secondes, la Vento suit sans difficulté le rythme d’une 325i E36 et, de surcroît, elle y parvient avec la manière, n’ayant aucune leçon de Laufkultur à recevoir des motoristes bavarois. Bien sûr, les attitudes de la VW sont substantiellement divergentes de celles de la BMW — dans les années 1990, Munich n’estimait pas indispensable de construire des tractions — mais, pour le déceler, il faut adopter un style de conduite difficilement praticable sur route ouverte. Et ça tombe bien car, moins encore que la Golf, la Vento VR6 n’est une GTi surmotorisée. Il s’agit en fait d’une petite berline rapide, bien construite, sécurisante, relativement confortable pour une allemande de cette période et dont le tempérament véritable demeurera celé aux yeux du profane, qui n’y verra qu’une bagnole obsolète que ses jantes BBS « nid d’abeilles » et son sobre aileron de coffre contribuent à dater. Un sleeper, dites-vous ? Oui, il y a de ça… Produite durant un peu plus de six ans, la Vento VR6 n’a connu aucune évolution significative. Elle n’a pas eu droit au moteur réalésé à 2,9 litres, pas plus qu’à la transmission intégrale Syncro, et cette stagnation en dit long quant à la foi que son constructeur lui portait.

C’est le genre de voiture que vous ne voyiez jamais dans les show-rooms, le genre de voiture qu’aucun concessionnaire ne se serait hasardé à stocker, le genre de voiture que vous n’acquériez pas au hasard. Il fallait sincèrement désirer cet agrégat déconcertant, avec ce sac à dos disproportionné à l’arrière et ce moteur de feu à l’avant, ces aptitudes strictement insoupçonnables pour le béotien, pour signer un bon de commande en faveur d’une machine enkystée dans un oubli prévisible et qui, de nos jours, sera bien plus difficile à trouver qu’une Audi RS2 — certes, les deux modèles n’étaient pas concurrents, mais cela permet de bien situer les choses lorsque l’on aborde la notion de rareté. Même sur le marché allemand, en débusquer une en bon état sera difficile mais, si vous trouvez votre bonheur, gageons que vous ne serez pas déçu : le VR6 rend vite addictif et le savoir dissimulé sous une carrosserie aussi peu affriolante peut vous procurer la joie mutique et connivente du secret. À méditer, si vous préférez les chemins détournés aux sentiers battus…

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