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Vector M12 : ni vraiment Diablo, ni vraiment Vector

Par PAUL CLÉMENT-COLLIN - 23/03/2018

Il y a des voitures qui, de façon rationnelle ou non, vous marquent à jamais. Parmi celles-ci, on trouve bien entendu l’étrange mais désirable Vector W8. Pour ma part, ses exceptionnelles performances (annoncées) m’épataient moins que son design percutant, innovant, brutal mais terriblement sexy. Pour l’amateur d’exception et de singularité que j’étais déjà à l’époque, la W8 semblait tellement plus exotique que les autres supercars de l’époque. Etrangement, lorsque sa prétendue héritière, la Vector M12, fut présentée, le coup de foudre n’eut pas lieu. Quelque chose n’allait plus, ce n’était plus une Vector telle que je l’aimais. Instinctivement, je ressentais que quelque chose ne collait pas sans bien savoir pourquoi. Aujourd’hui, j’ai les réponses à mes questions. Voici donc l’histoire de la Vector M12.

Au commencement était la W2, concept lancé par Gerald Wiegert

Tout commence à la fin des années 80. A force de persévérance, Gérald Wiegert a finalement atteint son rêve commencé au début des années 70 : construire sa propre supercar, une supercar ricaine hein, un truc qui envoie du steack, avec une gueule, une vraie, un truc qui ressemble à un avion sans ailes (rien à voir avec Charlélie Couture, hein). Cette W8 est l’aboutissement du premier concept Vector de 1972, suivi du concept W2 (pour Wiegert 2 turbos) en 1978, remanié en 1980, puis évoluant jusqu’à devenir le prototype de la fameuse W8. Une voiture dotée d’un V8 6 litres de 625 chevaux (un Donovan d’origine GM gavé par deux Turbos Garrett), ce qui, à l’époque, n’était pas banal, surtout accouplée à une boîte automatique antédiluvienne 3 vitesses d’origine B&M ! L’Amérique….

La W8 en impose vraiment, et débarque avec un look d’extraterreste sur la planète supercar


Bref, sur le papier ou en photo, la W8 en impose suffisamment pour épater l’adolescent que j’étais à l’autre bout de la planète, mais aussi à enthousiasmer quelques investisseurs. Sur la promesse d’un nouveau constructeur américain, Wiegert va faire de Vector une start-up avant l’heure, en ayant recours au marché pour démarrer son activité. L’avantage : faire rentrer du cash ! L’inconvénient : un actionnariat volatile qui lui sera fatal, on le verra. Déjà, Vector sent un peu le souffre car une part non négligeable de son financement vient aussi d’un procès intenté par Wiegert contre le fabricant de pneumatiques Goodyear, qui avait lancé un pneu Vector. La marque paiera pour continuer à utiliser le nom.

La WX3 Coupé devait prendre la relève de la W8 avec un design modernisé et des mécaniques boostées


La production de la W8 commence en 1989, et trouve tant bien que mal quelques clients (en tout, 17 voitures vendues, mais à 448 000 $, le marché était plutôt restreint). Fort de ce demi-succès, Wiegert décide d’aller plus loin, et de présenter la relève de la W8, sous le nom WX3. Le design est revu de fond en comble, rendant les formes carrées de la W8 plus arrondies, plus dans l’air du temps. Deux prototypes sont construits, l’un sous la forme d’un coupé, l’autre sous celle d’un roadster. Le premier s’offre une évolution du V8 portée à 800 chevaux, tandis que le second conserve la puissance de la W8. En option, Gerald Wiegert promet une version extraordinaire boostée à 1200 chevaux, rien que cela. Encore aujourd’hui, cette puissance fait rêver, alors imaginez l’impact d’un tel chiffré annoncé en 1993.

La WX3 existait aussi en version roadster


Avec ses deux prototypes sous le bras, Gerald s’en va content au Salon de Genève 1993 pour faire sensation croit-il. Certes, le public est ébahi, mais la satisfaction sera de courte durée. De retour chez lui, en Californie, une drôle de surprise attend Wiegert. Profitant de l’éparpillement du capital de Vector, la société indonésienne Megatech a profité de l’absence du patron pour rafler la majorité du capital. Aussitôt, Gerald est convoqué par le board et sommé d’abandonner son poste de PDG pour ne plus s’occuper que du design. Bien entendu, notre irascible ami refuse tout de go, et s’en va prestement fermer l’atelier Vector de Wilmington.

La M12 tente de singer la WX3, avec moins de réussite, sur la base d’une Lamborghini Diablo

Mais quelle est donc cette société qui vient mettre la zizanie dans le petit business de Wiegert ? L’OPA sur Vector est très clairement hostile, rapide et brutale. Derrière cette société immatriculée aux Bermudes se cache en fait le très peu recommandable Tommy Suharto (il possède 50 % du capital), fils du très autoritaire président d’Indonésie (c’est peu de le dire). Quelles sont les ambitions de cette holding ? Sans doute assouvir les rêves de grandeur d’un fils à Papa, mais aussi sûrement recycler des fonds aux origines douteuses.

La M12 tente de singer la WX3, avec moins de réussite, sur la base d’une Lamborghini Diablo

Durant l’année 1993, les choses ne vont pas se passer comme prévu. Wieger s’est peut-être fait rouler la première fois, mais n’a pas perdu la guerre. Attaquant en justice la firme indonésienne, il obtient la propriété des dessins de la WX3, conserve les ateliers de Wilmington, et si Megatech peut utiliser le nom Vector, elle se retrouve avec une coquille vide : pas de voiture, pas d’atelier, pas de projet, juste un nom. C’est dommage.

Dans les entrailles de la M12, on retrouve un V12 Lamborghini de 5.7 litres et 492 chevaux

La solution va venir de l’Italie. A la même époque, Chrysler, propriétaire de Lamborghini, se rend compte que malgré ses investissements et le redressement de ses ventes (notamment grâce à la création d’une filiale américaine, Lamborghini USA), il lui sera difficile d’obtenir la rentabilité espérée. La Viper (pour laquelle Lamborghini aura développer le moteur, lire aussi : Dodge Viper) semble suffire aux besoins d’image du groupe, et Lamborghini devient plus un poids mort qu’autre chose. La décision est prise de se débarrasser du boulet. Suharto et ses amis indonésiens vont sauter sur l’occasion, s’offrant fin 93 la mythique firme italienne pour 40 millions de dollars.


Dans la corbeille de la mariée, on trouve la Lamborghini Diablo qui commence à se vendre (lire aussi : Lamborghini Diablo) mais aussi la fameuse filiale américaine qui dispose de locaux en Floride, à Green Coves Spring. C’est là que la nouvelle firme Vector Aeromotive va s’attaquer à son nouveau modèle, la M12. Chez Vector, on a enfin la solution : avec la propriété de Lamborghini, on dispose d’une base idéale (croit-on) pour lancer la nouvelle supercar américaine. Et on ne va pas s’embarrasser trop : la M12 n’est en fait qu’une Diablo recarrossée (deux roues motrices uniquement), et donc dotée du même V12 de 5.7 litres d’une puissance de 492 chevaux.


En revanche, la fabrication, qui commence en 1995, se fait aux USA, dans les locaux de Green Coves Spring, loin de l’expérience de Lamborghini en Italie. Il en résulte une qualité d’assemblage digne de l’Europe de l’Est, comme le soulignera Jeremy Clarkson dans son essai pour Top Gear (vidéo en fin d’article). En outre, la voiture pèse 60 kilos de plus que sa cousine italienne, pour un look qui laisse sans voix. S’inspirant du dessin de la WX3, les designers de chez Vector vont le triturer pour s’en éloigner le plus possible légalement tout en gardant un profil globalement similaire. Il y a un air Vector, mais pas trop, comme une réplique mal proportionnée. D’ailleurs, la base de la Diablo plus longue que celle de la WX3 fait de la M12 une voiture disproportionnée.


Proposée à 189 000 $, la M12 est certes moins chère que la W8 d’antan, mais sa qualité comme ses performances laissent à désirer, et il faut être un passionné richissime pour s’offrir ce double ersatz de Vector d’une part et de Lambo de l’autre : ni tout à fait l’une ni tout à fait l’autre, c’est compliqué d’oser faire un chèque de ce montant là, même si la M12 restait moins chère que la Diablo. D’autant que les essais de la presse automobile sont calamiteux pour l’image. Outre Clarkson (vidéo en bas d’article), les journalistes jugent très sévèrement la M12, Autoweek Magazine n’hésitant pas à la proclamer « la pire voiture jamais testée ». Autant vous dire que l’avenir s’annonce sombre.


Pour palier à cette image désastreuse relayée dans la presse, Vector va avoir une idée de génie : « et si on faisait de la compétition… Suffit de gagner et le tour est joué ». Mais bien sûr, personne n’y avait jamais pensé avant. Aussitôt, on prélève l’un des deux exemplaires de pré-série pour l’alléger au maximum, lui rajouter des ailerons, et sans modifications moteur, on refile le bébé à l’écurie American Spirit Racing qui a la bonne idée d’engager la voiture en GT2 pour sa première course aux 12 heures de Sebring, un circuit particulièrement rude pour les voitures. Ce qui doit arriver arrive : première course, premier abandon. On va re-tenter le coup à Las Vegas, mais malgré une qualification à la seconde place, la voiture n’arrivera pas au bout. Après avoir renoncé à la 3ème manche à Homestead, c’est à Atlanta que la M12 se présente. Là encore, elle obtient le second temps qualificatif, mais doit encore une fois abandonner.


Vector n’ira pas plus loin que ces 3 courses en GT2 IMSA. La crise asiatique a frappé durement l’Indonésie, et les actionnaires de Megatech n’ont plus vraiment d’argent. Il faut donc arrêter les frais de la compétition. Profitant de l’aubaine d’un groupe Volkswagen désireux de s’offrir Lamborghini, Megatech va faire une jolie culbute en revendant l’italien pour 110 millions de $ : un argent qui ne profitera jamais à Vector. Lamborghini reste cependant encore pour un temps le fournisseur de moteurs de la marque italienne, jusqu’à ce que les comptables allemands s’aperçoivent que Vector lui doit quand même pas mal d’argent. La petite firme américaine se voit sommée de payer. Il n’y a pourtant plus d’argent dans les caisses, et Vector va alors proposer un drôle de deal : refourguer une vieille W8 récupérée on ne sait trop comment au moment du rachat de Vector par Megatech pour solde de tout compte. Allez savoir pourquoi, Lamborghini acceptera le pourboire. Wiegert, qui ne lâche jamais rien, tente alors sans succès de récupérer la W8, arguant qu’elle lui appartient en réalité. Peine perdue, la W8 restera dans les garages de Lamborghini.


Mais l’ami Wiegert n’est pas né de la dernière plus, et tel un pitbull, revient à l’attaque pour récupérer son bébé. Car entre temps, il a monté un business de Jetbike (un Jet Ski façon moto), Aquajet, qui lui a rapporté un sacré paquet de dollars. Les actionnaires indonésiens ayant pris la poudre d’escampette, Vector Automotive se retrouve en liquidation. Et qui rachète les actifs à vil prix ? Notre Gerald qui, têtu comme une mûle, tentera de relancer sa marque fétiche (mais ça, c’est une autre histoire).

Grâce à son succès dans les « Jetbike », Wielter rachètera les actifs de Vector

Au total, entre 17 et 19 Vector M12 auront été construites (selon les sources), et seulement 14 vendues à des particuliers. Il arrive qu’un exemplaire réapparaisse ici ou là, sur ebay ou dans des ventes aux enchères. Il n’est donc pas impossible de s’offrir une part de cette histoire loufoque, même s’il faudra tout de même un portefeuille copieusement garni. Pour une vraie Vector, la seule et l’unique W8 sera sûrement un choix beaucoup plus sûr !

PS : pour faire rentrer un peu d’argent dans les caisses de Lamborghini, les indonésiens avaient eu la drôle d’idée en 1995 de revendre les droits de la Diablo et de l’utilisation de la marque Lamborghini à une obscure société mexicaine, une aventure à lire ici (Lamborghini Latino America)

L’avis de Clarkson et Top Gear sur la M12:

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PAUL CLÉMENT-COLLIN - 10/03/2014
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