Spyker D12 Peking-to-Paris : l'idée fixe de Victor Muller
En 2006, les marques sportives n’étaient pas aussi enthousiastes qu’aujourd’hui à lancer des SUV, et seule Porsche avait osé sauter le pas en proposant le Cayenne dès 2002. Si l’opération était risquée pour l’image de marque, elle s’avéra une totale réussite financièrement parlant, permettant à Porsche d’atteindre des volumes de production jusqu’alors inespérés (et de somptueux bénéfices). En 2006 donc, la preuve était faite qu’une SUV sportif et luxueux pouvait permettre à une marque de tirer son épingle du jeu. Le petit constructeur hollandais Spyker, dirigé par l’entrepreneur Victor Muller depuis le départ du fondateur Maarten de Bruijin, avait en tout cas observé l’affaire de près, et présenta cette année-là à Genève son D12 Peking to Paris, un drôle de canard bousculant les codes, prêts à s’engouffrer dans la brèche ouverte par le Cayenne.
Remettons-nous dans le contexte de cette année-là pour Spyker. Après trois premières années difficiles pour imposer la C8 Spyder (lancée en 2000), la C8 Laviolette (en 2001) et la C8 Double 12 S (en 2002), avec des volumes de ventes riquiqui (1 en 2000, 2 en 2001 et 3 en 2002), la sauce commençait à prendre : 12 exemplaires en 2003, 31 en 2004 et 48 en 2005. Le carnet de commande se gonflait à vue d’oeil (d’ailleurs, en 2006, Spyker atteindra son meilleur score, avec 94 ventes), tandis que la compagnie, grâce à son introduction en bourse en 2004, avait obtenu pas mal de cash. Mieux, fin 2005, l’investisseur des Emirats Arabes Unis, Mubadala Development Company (par ailleurs propriétaire de 5 % du capital de Ferrari), prenaît 17 % du capital de la petite société néerlandaise. Tout semblait aller pour le mieux dans le meilleur des monde.
Victor Muller, dans ce tourbillon de bonnes nouvelles, voyait donc croître son entreprise mais aussi ses ambitions. Aux côtés des C8, il imagine alors une gamme complète : d’abord un gros SUV sportif, à l’image du Cayenne, mais plus luxueux, doté d’un W12 d’origine Volkswagen, le D12 ; mais aussi, à terme l’E12, sa déclinaison berline.
Pour dessiner sa vision du SUV de luxe, tout en gardant les codes Spyker inaugurés par la C8, Muller fit appel à un jeune designer, Michiel Van den Brink. Celui-ci s’inspira évidemment de la C8 Laviolette, gonflant et étirant le dessin jusqu’à obtenir une sorte de grosse berline surélevé dotée de 4 portes antagonistes dites « suicide ». Contrairement au Cayenne, Van den Brink va anticiper la mode des SUV coupé, avec un arrière fuyant. Malgré cette tentative d’allégement de la silhouette, la Spyker D12 reste une C8 gonflée comme un ballon de baudruche.
Pour essayer de lier le D12 au passé, et justifier sa présence dans la gamme, Muller et ses hommes décidèrent de lui accoler le nom de Peking-to-Paris, en hommage à la deuxième place d’une Spyker lors de cette course au long-cours en 1907 : un peu tarabiscoté, mais après tout. Le prototype fut présenté au Salon de Genève 2006 (en fait une maquette non roulante). On promettait alors 507 chevaux sortant du W12, un poids contenu à 1850 kg, et un 0 à 100 km/h en 5 secondes seulement.
Malgré son physique baroque et pour tout dire dérangeant, l’originalité du concept jouait en sa faveur, rencontrant un succès d’estime. Il fut ensuite présenté au Salon de New York, puisque les USA semblait être le marché privilégié pour ce type d’engin. Grâce à ces deux salons, Spyker enregistra 114 pré-commandes de son spectaculaire D12 Peking-to-Paris.
Pourtant, la petite entreprise n’était pas vraiment en capacité de produire rapidement un tel colosse. D’ailleurs, l’entreprise peinait à livrer les commandes de C8 à cette époque là, perdant par ailleurs des clients. Dès 2007, les ventes retombèrent à 26 exemplaires. Il fallu alors faire retomber la masse salariale de 166 à 132 employés. En 2008, les ventes remontèrent un peu, à 48 unités, mais il fallait se rendre à l’évidence, il était impossible de produire le D12 à courte échéance. D’ailleurs, la crise des subprimes avait durement frappé les USA, et sa clientèle précieuse. En outre Victor Muller avait désormais d’autres projets en tête : racheter la marque suédoise Saab au Groupe GM en grande difficulté, après avoir dépenser pas mal d’argent à financer une écurie de Formule 1.
Le 26 janvier 2010, Saab entrait officiellement dans le giron de Spyker. Dès lors, le projet D12 prit une autre forme : prévu pour entrer en production en 2013, il devait être développé avec l’aide de Saab, et récupérer un V8 moins gourmand et plus léger, issu de la banque d’organes General Motors, devenant par ailleurs D8. Victor Muller, toujours enthousiaste malgré les difficultés à redresser Saab, et la chute des ventes de Spyker à 12 unités en 2011, annonçait même que le D8 serait doublé d’une berline E8 (dérivée de la Saab 9-5 NG lancée un an plus tôt ? lire aussi : Saab 9-5 NG).
Hélas, devant les difficultés, Muller fut bien obligé de remiser ses projets. Pour sauver Saab, il tenta même de revendre Spyker au russe Vladimir Antonov (propriétaire de CPP à Coventry, qui devait fabriquer les C8), puis à un fond d’investissement américain, sans succès. Fin 2011, Saab était déclarée en faillite, puis vendue en 2012 à NEVS. Du côté de Spyker, ce fut aussi la mise en redressement judiciaire. Il fallut attendre début 2015 pour qu’un accord soit trouvé avec les créanciers, et que Spyker puisse à nouveau repartir dans les projets, notamment la C8 Preliator, prévue pour une production de 50 exemplaires, annoncée en 2016 et présentée à Genève en 2017.
Et le D8/D12 dans tout cela me direz-vous ? Justement, c’est à l’occasion de la présentation de la Preliator que Muller ressortait du placard ce vieux loup de mer qu’était le D12, annonçait qu’il projetait, à moyen terme, de produire un SUV sportif hybride doté d’un V8 5 litres Koenigsegg (lire aussi : Koenigsegg) accouplé à un moteur électrique de puissance non communiquée. Un homme têtu ce Victor Muller !