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Sbarro Super Eight : quand la Ferrari 308 devient citadine

Par Nicolas Fourny - 12/12/2024

« En passant de douze à huit cylindres, on perd sans doute en noblesse ce que l’on gagne en efficacité »

Un peu plus de trois mètres de long, deux places, un habitacle luxueux et un V8 Ferrari en position centrale arrière : telle pourrait être, de façon extrêmement schématique, la définition de la Super Eight, dont l’appellation rappelle sans ambiguïté le type de moteur qui l’anime. Présentée en 1984, l’auto – qui n’existe qu’en un seul exemplaire – constitue indéniablement l’un des jalons d’une décennie au cours de laquelle Franco Sbarro laissa libre cours à une créativité qui lui valut le qualificatif de « poète de la mécanique ». On ne saurait mieux dire pour présenter ce personnage aussi extraordinaire que ses créations, caractérisées par un refus obstiné des conventions techniques et esthétiques. S’agissant de la Super Eight, fallait-il oser construire une automobile aussi atypique, d’un gabarit équivalent à celui d’une citadine, mais disposant de 240 ch ? Il suffit de contempler l’objet pour s’en convaincre…

Les premiers pas d’un créateur

Franco Sbarro est né en 1939 dans la petite ville de Presicce, sise dans le sud de l’Italie. Installé dès l’âge de dix-neuf ans en Suisse, il acquiert très tôt des compétences mécaniques étendues, qui vont lui permettre d’intégrer la Scuderia Filipinetti, laquelle fait courir des Ferrari, des Porsche et des Lotus en Formule 1 comme en endurance. En 1968, Sbarro crée sa propre affaire et va rapidement concevoir une série de répliques, participant de la sorte à la popularisation d’un genre qui ne s’est jamais éteint depuis lors, mais dont l’âge d’or s’épanouira au cours des décennies 70 et 80. N’hésitant pas à rééditer des modèles mythiques tels que la Bugatti Royale ou la Ferrari P4, le petit artisan gagne le respect de la presse spécialisée grâce à la qualité de ses réalisations, très éloignée des approximations qui pullulent au cours des années 1970. Pourtant, Sbarro ne se contente pas, loin s’en faut, de copier des légendes dont les versions originales sont devenues inaccessibles ; en lui palpitent les fulgurances d’un créateur et même d’un inventeur qui, de longues années durant, ne cessera de surprendre en s’éloignant de l’académisme technique qui, aux yeux de beaucoup, fixe la différence entre les ingénieurs sérieux et les hurluberlus.

On peut être sérieux sans être triste

De fait, la liste est longue des géniales élucubrations de l’artiste – le terme n’est pas excessif –, qui s’en donne à cœur joie en agrégeant joyeusement les composants les plus improbables prélevés sur les étagères des constructeurs les plus prestigieux. Citons entre autres la VW Golf Turbo de 1982, équipée d’un flat six Porsche en position centrale arrière, le coupé Gullwing de 1984, animé par le V8 de la Mercedes 450 SEL 6.9 agrémenté de deux turbos, la série des tout-terrain de luxe Windhound et Windhawk, ou les saisissantes berlinettes monocorps de la série Challenge. Toutes ces voitures, si elles ont souvent suscité l’admiration des visiteurs de plusieurs éditions du Salon de Genève, n’étaient cependant pas des prototypes statiques ; il s’agissait de véhicules pleinement fonctionnels et dont il était possible de passer commande… à condition d’avoir les reins solides – l’artisanat, ça se paie… Dès le mitan des seventies, Sbarro s’est donc construit une place à part dans le milieu des petits constructeurs. Il n’est ni un préparateur comme Koenig ou AMG, ni un tuner comme les frères Buchmann ; au lieu de transformer des modèles existants, il les dissèque, puis en prélève les composants pour donner naissance à des automobiles sans aucun équivalent, ni en Europe, ni en Amérique, ni en Asie !

Inclassable et géniale

Au Salon de Genève 1982, Sbarro expose la Super Twelve, dont la définition stupéfie une fois encore les connaisseurs les plus aguerris. Longue de seulement 3,10 mètres, l’auto ne dépasse l’Austin Mini que de cinq centimètres en longueur – en revanche, sa largeur de 1,75 mètre s’apparente à celle d’une Mercedes W123. Des proportions inédites engendrant un design dont la radicalité surprend encore aujourd’hui : mêlant arêtes vives et courbes douces, la petite carrosserie, boursouflée d’élargisseurs d’ailes et d’entrées d’air surdimensionnées, ressemble à une boule de nerfs prête à sauter à la gorge de son conducteur, plus brutale encore que la Renault 5 Turbo dont le style a manifestement beaucoup inspiré les créateurs de l’engin. Sauf que, lui aussi implanté derrière les sièges, le moteur de la Super Twelve n’a rien à voir avec une mécanique de série ; au vrai, il est à peu près aussi délirant que le reste de la voiture, puisqu’il s’agit, en toute simplicité, d’un douze-cylindres en ligne monté en travers et obtenu en assemblant deux six-cylindres d’origine Kawasaki Z1300 ! La cylindrée totale s’élève à 2572 cm3 et la puissance atteint 240 ch, puissance d’autant plus respectable pour l’époque (elle équivaut à celle d’une Porsche 928) que l’auto ne dépasse pas les 800 kilos…

Pour quatre cylindres de moins

Malheureusement, de l’aveu même de son concepteur, l’auto s’avère aussi réjouissante sur le papier que difficilement contrôlable, la combinaison d’un empattement ultra-court, d’un poids réduit et d’un moteur creux dans les basses rotations puis se déchaînant dans les hauts régimes aboutissant à un engin pour le moins caractériel, s’efforçant à chaque instant de tuer ses occupants. Mais Sbarro n’en reste pas là et, deux ans plus tard, toujours au Palexpo, le public découvre la Super Eight qui nous occupe aujourd’hui. Comme sa devancière, il s’agit d’une commande de l’homme d’affaires allemand Bernd Grohe – héritier de la célèbre entreprise de robinetterie – et, par rapport à la Super Twelve, le travail a principalement consisté à rendre la voiture plus réaliste et donc plus utilisable. Aussi brillante soit-elle, la Super Twelve, en comparaison de sa descendante, s’apparente à un brouillon mal dégrossi. Car, en un mot, sous une apparence très proche, tout a changé !

Maranello à la rescousse

La Super Eight a ainsi conservé la physionomie générale et les proportions spectaculaires de son aînée. Toutefois, les bons connaisseurs de la maison Ferrari ne tarderont pas à lever un sourcil en détaillant l’auto qui, en réalité, n’est rien d’autre qu’une 308 Quattrovalvole recarrossée ! Moteur, châssis, trains roulants ainsi qu’une bonne partie des composants de l’habitacle proviennent ainsi en droite ligne de Maranello. En passant de douze à huit cylindres, on perd sans doute en noblesse ce que l’on gagne en efficacité, les 240 ch étant cette fois bien plus civilisés – et pour cause – que leurs volcaniques prédécesseurs… La Super Eight a longtemps disparu de la circulation mais a fini par resurgir ; en février 2023, la revue britannique Classic and Sports Car en a publié un essai et, à l’heure actuelle, l’auto, qui n’a parcouru que 30 000 kilomètres en quarante ans, est proposée à la vente par CarJager (via le site américain Bring a Trailer). Avec sa très pimpante livrée rouge vif, ses jantes BBS dorées et son ensemble Clarion so eighties, c’est là une opportunité unique de s’immerger avec délices dans la démesure et la folie créatrice de l’époque et surtout de Franco Sbarro ! Vous laisserez-vous tenter ?

2927 cm3Cylindrée
240 chPuissance
220 km/hVmax



Texte : Nicolas Fourny

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