Sur la grille de départ, une drôle de voiture jaune s’est faufilé sans même avoir à passer par la case des pré-qualifications grâce à un passe-droit offert par Bernie Ecclestone : pas question de se priver d’un grand constructeur comme Renault qui fait ici ses débuts en F1.
Mais quelle mouche a donc piqué la Régie pour s’embarquer dans une telle aventure ? Car Renault Sport à l’époque est déjà engagé en Rallye mais aussi en Endurance. Rajouter la Formule 1 à ce programme déjà chargé peut paraître un peu fou. Pourtant, Renault se lance ce nouveau défi avec une idée derrière la tête : promouvoir la technologie turbo qu’elle compte glisser aussi dans ses voitures de série (on verra quelques années plus tard le Turbo s’inviter sur les R5, lire aussi : Renault 5 Turbo, ou sur les R18, lire aussi : Renault 18 Turbo). Il y a donc un intérêt stratégique à cet engagement.
Jean-Pierre Jabouille, durant les essais de la RS01 au CasteletChacun le sait chez Renault Sport : l’année 1977 ne sera qu’un galop d’essai. D’ailleurs, la saison a commencé sans le losange en janvier, en Argentine, avec la victoire fracassante de Jody Schekter. Mais il s’agit de faire bonne figure, car la marque française se sait attendue. Les autres écuries regardent avec intérêt, suspicion et crainte l’arrivé de ce petit moteur Turbo, un V6 de 1.5 litre de cylindrée, développant tout de même 520 chevaux, soit un peu plus que la majorité des moteurs atmosphériques du plateau (qui eux ont droit à une cylindrée de 3 litres). En outre, Renault amène avec lui un nouvel équipementier pneumatique, Michelin, que Goodyear craint comme la peste.
Au sein même de l’équipe, on est partagé entre l’enthousiasme, l’incertitude voire même le doute. Jean-Pierre Jabouille aurait déclaré peu de temps avant le départ : « ça ne marchera jamais » peut-on lire dans cet article du Monde. En effet, malgré de nombreux essais au Castelet ou même à Silverstone depuis un mois, la RS01 s’avère extrêmement difficile à maîtriser. La technologie du Turbo en est à ses débuts, et les temps de réponse sont parfois surprenants pour un Jabouille peu habitué.
Malgré cela, la RS01 (une seule voiture a été engagée pour ce Grand Prix) réussit à se qualifier en 21ème position sur la grille de départ (sur 26 voitures). Pour Renault, c’est globalement satisfaisant, mais ses adversaires (qui craignaient la Renault) ricanent.
Malgré un relativement bon départ, Jean-Pierre Jabouille ne pourra tenir que 16 tours, avant d’abandonner sur casse du Turbo. Devant la fumée blanche s’échappant du moteur, la RS01 gagne alors son surnom de « Yellow Teapot ». L’équipe rentre bredouille, mais il faudra désormais compter sur les « jaunes ».
40 années séparent ces deux photosIl en faudra, pourtant, de la persévérance avant d’enfin monter tout en haut du podium. La fin de saison 1977 sera une catastrophe, avec une flopée d’abandons, voire même une non qualification au Canada. 1978 sera un peu meilleure, avec beaucoup d’abandons là encore, mais avec une 4ème place aux USA et 3 points marqués. En cours de saison 1979, la RS01 est remplacée par la RS10, toujours aussi peu fiable, mais performante : Renault remporte alors son premier grand prix (le Grand Prix de France, tout un symbole) grâce à Jabouille, tandis que René Arnoux monte 3 fois sur le podium : avec 26 points marqués, la RS10 prouve qu’il faudra compter sur le Turbo. L’équipe Renault sera deux fois de suite (1983 et 1984) vice-championne du monde des constructeurs, loupant de peu le titre suprême. C’est en tant que motoriste que Renault connaîtra enfin la consécration, avec Williams en 1992.
Aujourd’hui, en 2017, Renault, revenue enfin en tant qu’écurie complète, fête ses 40 ans de Formule 1. Parfois avec humour, en présentant une théière jaune au design inspiré de la RS01, ou avec luxe en collaboration avec Bell & Ross pour une montre collector et que l’on peut trouver sur le site Chrono24 . Comme en 1977, il faudra du temps à l’écurie française pour s’imposer à nouveau, ce qui n’empêche pas Renault Sport d’envisager l’avenir en présentant un étonnant concept de F1 du futur.
Ce qui est certain c’est que ce premier Grand Prix de Silverstone aura marqué les esprits, redonné de l’espoir et surtout installé durablement la France et ses industriels en Formule 1. Peugeot tenta bien avec Matra au début des années 80, puis avec McLaren, Jordan et Prost dans les années 90, de se faire une place au soleil de la reine des compétitions automobiles, mais dans la mémoire collective française, le champion de F1, c’était Renault, un point c’est tout.
Images: Renault et Olivier Claire (catalogue Grand Prix Silverstone)