Renault Floride et Caravelle : la "Fraaance éteeerneeelle"
Les envies d’articles viennent parfois comme des envies de pisser… et c’est en tombant ce matin sur de (belles) photos de Brigitte Bardot juchée sur sa Renault Floride (en fait, il s’agissait d’un contrat publicitaire) que m’est venue l’idée de vous parler de ce petit cabriolet (et coupé) sur base de la Dauphine, qu’on connaîtra aussi sous le nom de Caravelle ! Ces photos m’ont d’abord fait penser à mon père qui lui, eut la chance de croiser souvent BB. Je me souviens de son sourire en coin et de son œil frisant lorsqu’il racontait ses années de jeunesse au 1 rue de la Pompe, une adresse partagée avec la jeune Brigitte. En l’écoutant parler, je l’enviais d’avoir pu croiser une si belle femme surtout dans ces jeunes années. Il faut dire qu’à mon époque, Bardot avait perdu de sa superbe.
Bref, je m’égare et revenons à nos moutons. A sa sortie en 1959, la Floride est la voiture des jeunes branchés (enfin c’est ce que voulait faire passer comme message la Régie), mais aussi des grands de ce monde. Pour promouvoir ce petit cabriolet (mais aussi coupé), la RNUR offre à l’idole des jeunes (BB, pas Johnny) un exemplaire blanc (et une séance photo habilement exploitée), tout en faisant de même avec Grace (Kelly) de Monaco avec un exemplaire vert. Autant vous dire que la gente féminine est clairement visée.
Grace Kelly, enfin, Grimaldi, eut aussi droit à sa FlorideSi Bardot et Grace Kelly sont choisies, ce n’est pas par hasard. La clientèle féminine on vous dit, mais pas que : il fallait des symboles internationaux qui parlent aussi aux… américains. Car la Floride (et son nom n’est pas un hasard non plus) est à l’origine un véhicule destiné aux américains. Oui oui ! Dans les années 50 (et pour être précis à partir de 1957), Renault, ouvertement poussé (comme Panhard et Peugeot) à rapporter des devises par le gouvernement français, a tenté d’inonder le marché US avec sa petite Dauphine, en concurrente so frenchy de la Volkswagen Cox. Or il faudra bien se rendre à l’évidence : inadaptée au marché, sans réseau de distribution digne de ce nom, la Dauphine n’arrivera jamais à supplanter l’allemande. Pour tout dire, on peut parler d’une Bérézina imposant de rapatrier les modèles « export » en France pour cause d’invendus. Mais n’allons pas trop vite (tiens, rappelez-vous que, malgré cela, une version électrique fut proposée aux USA sur base Dauphine, lire aussi : Henney Kilowatt).
Pour tenter de limiter la casse aux States, une fausse bonne idée s’impose à Pierre Dreyfus (PDG de Renault à l’époque) et à ses équipes : il faut créer un modèle spécifique destiné à séduire cette clientèle particulière. C’est lors d’un voyage en Floride que cette idée émerge : le nom était tout trouvé pour le futur modèle (pas besoin de service marketing et d’études payées chères à l’époque : l’intuition suffisait). Allez banco, va pour un dérivé cabriolet (avec hard top) et coupé de la petite Dauphine.
Pour le style, on va s’adresser à Ghia… Mais là encore, on retrouve VW sur le chemin de la Régie. Ghia est liée à la marque allemande avec son petit coupé fabriqué par Karmann et qui en outre porte son nom, sur base de Cox. Qu’à cela ne tienne, c’est au designer Pietro Frua en direct qu’on passera commande. Sauf que bon, tout ne se passe pas comme prévu. A cause d’un imbroglio financier entre Frua et Ghia, un proto est présenté par le designer sans l’accord de Renault, qui reprendra le projet à son compte en refilant le bébé à ses équipes pour finaliser le produit.
Pour tout dire, la ligne de la Floride est assez élégante. En tout cas tout à fait dans le style et la vogue de l’époque. C’est classique, ça fonctionne, c’est équilibré, et comme toute voiture à moteur arrière à l’époque, sans calandre à l’avant. Cela fait bizarre aujourd’hui, mais c’était si courant à l’époque ! A aucun moment on ne distingue la Dauphine sous ce nouveau plumage. Pourtant, le châssis tout comme le moteur (un Ventoux) viennent bien de l’honorable petite berline. Conséquence, la Floride ne coûte pas trop cher à la Régie.
Reparlons du nom. Floride c’est bien, ça fait exotique pour la France, ça sent bon la plage et les oranges, mais aux Etats-Unis, c’est un peu réducteur. Présentée en 1958 en France, la Floride débarque aux USA en 1959 et prend le nom de Caravelle histoire de ménager les susceptibilités. Et puis Caravelle, ça sonne particulièrement bien en cette fin des années 50 : Sud-Est Aviation vient de lancer son jet moyen Courrier éponyme qui représente la France qui avance, la France technologique, en bref l’avenir quoi. Avec la Caravelle (de Renault comme de Sud-Est), on met en avant une « certaine idée de la France » comme disait le grand Charles qui vient de revenir au pouvoir à la faveur des « événements algériens ». C’est aussi une façon d’éclipser, justement, la guerre qui fait rage de l’autre côté de la Méditerranée et que l’on ose pas vraiment nommer.
Dès lors, il sera toujours compliqué de savoir qui est qui, qui est quoi. Les Caravelle sont à l’origine des Floride « export », mais en 1962, elles deviennent les Coupés en France (les cabriolet restent des « Floride »). Et puis en 1963, histoire d’embrouiller tout le monde, le nom Floride disparaît au profit de celui, plus porteur semble-t-il, de Caravelle. Là pour le coup, un vrai service marketing aurait été judicieux, pour ne pas trop foutre le bordel dans la tête des clients.
Entre temps, la Floride/Caravelle a troqué son Ventoux pour un Cléon Fonte, passant de 845 cm3 et 40 ch à 956 cm3 et 51 ch, puis, grand luxe, à 1108 cm3 et 55 ch puis 57,5 ch en 1965 avec la S (oui à l’époque, les « demi-chevaux » comptent). En tout cas, à défaut de percer aux Etats-Unis, la Floride/Caravelle va connaître une carrière fort honorable pour ce type de voiture : 117 039 exemplaires jusqu’en 1968, le tout fabriqué chez Chausson et Brissonneau et Lotz (lire aussi : Brissonneau et Lotz Rosier) par manque de place à Flins, où la Dauphine était fabriquée.
Aujourd’hui, la Floride est un classique de la collection. Vous ne serez donc pas très original à son volant. Mais elle conserve un charme très « sixties », celui d’une période insouciante, bercée par les yéyés, Brigitte Bardot (justement), et la Nouvelle Vague. Un truc qui ne se définit pas vraiment, mais qui fleure bon la France « éterneeeelle » comme dirait Renaud Roubaudi, notre estimable confrère et ami de chez POA. Autant vous dire que malgré ses performances quelconques qui n’en font définitivement pas une sportive, en coupé comme en cabriolet, cette bagnole, elle a du chien !