Pontiac Aztek : s'en moquer serait trop facile
Voilà de longs mois que je refuse l’obstacle, mais il faut bien un jour se lancer. Considérée comme la « pire voiture jamais produite », la Pontiac Aztek fait l’objet de moqueries incessantes, trustant les classements putaclics de la plupart des sites : « pire voiture du monde », « voiture la plus laide du monde », « bide le plus cuisant au monde », avec les titres les plus racoleurs possibles pour pouvoir se moquer. Mais l’Aztek n’est pas moche, elle n’a pas un physique facile, c’est différent.
Il est tellement facile de juger a posteriori, et de se gausser de l’Aztek. Mais rappelez-vous, en 1999, lorsque la voiture fut présentée, que l’accueil du public fut plutôt enthousiaste, convaincant la direction de GM de lancer la production de ce SUV un peu particulier. Oui, vous avez bien lu, le public a aimé cet Aztek concept, plutôt proche de celui que nous connaissons et raillons aujourd’hui.
L’Aztek « de série », intégrant une nouvelle calandre dans le style Pontiac de l’époqueOublions un instant son physique ingrat… L’idée du concept est de proposer la modularité d’un MPV, le look d’un SUV, et la capacité d’un pick up, le tout associé à des aménagements possibles pour transformer l’Aztek en véritable camping-car: ce qu’on appelerait un Crossover aujourd’hui. D’ailleurs les photos de presse mettront toujours l’Aztek, concept ou véhicule de série, dans des conditions de « loisirs », feu de camp et tente en arrière plan, canoë sur le lac, scooter des mers sur la remorque, alpinistes grimpant les rochers, bref, tout l’imaginaire de « l’outdoor ».
Il faut remettre la voiture dans son contexte : à l’époque, le passage du concept de 4×4 à celui de SUV puis de Crossover n’est pas encore une évidence du tout. Pour créer un nouveau marché, l’idée c’est d’offrir un design fort, différenciant, sans doute trop clivant dans le cas de l’Aztek, mais les bons retours de 99 ont poussé les designers, et Tom Peters en tête, à poursuivre dans la même voie ! Surtout qu’il est important, dans la galaxie GM, de pouvoir se différencier des autres marques de l’époque : Oldsmobile n’a pas encore disparu, Saturn non plus, Cadillac « of course », Saab, Chevrolet, autant de concurrents internes utlisant souvent les mêmes plate-formes et les mêmes moteurs.
Avec l’Aztek, Pontiac se positionne comme la marque moderne, innovante, jeune et sportive. La marque avait déjà fait des paris osés par le passé, comme le Trans Sport qui s’avérera une réussite commerciale et stylistique (lire aussi : Pontiac Trans Sport). Après tout, l’Aztek dérangeait, mais pouvait éventuellement imposer son look. Des audaces de ce genre peuvent parfois payer, comme le démontre le Juke aujourd’hui, qui n’est pourtant pas un prix de beauté mais qui a su imposer son style particulier.
Lors de sa commercialisation, l’Aztek mise donc sur un concept relativement nouveau, une ligne originale et audacieuse (dont les pontes de GM espèrent bien qu’elle s’imposera comme une évidence), tout en restant modestes dans leurs objectifs : 75 000 ventes par an. Mieux, le point crucial de rentabilité est assez bas, à 30 000 exemplaires. C’est sans doute la preuve d’une certaine prudence.
Heureusement, l’intérieur évoluera un peu avec le restylage de 2002Lancée en 2000, il ne propose qu’une seule motorisation, un V6 de 3.4 litres et 185 ch, un moteur tout à fait adapté à la clientèle américaine, accouplé à une boîte automatique à 4 rapports. Disponible en traction sur toute la gamme, on peut opter en option pour la transmission intégrale Versatrak.
L’Aztek perdra en 2002 ses pare-chocs couleur plastique pour une teinte unieMais alors, si le choix de Pontiac de lancer l’Aztek était un risque mesuré, si les ambitions restaient modestes, et si le style osé pouvait tout aussi bien s’imposer, comment expliquer l’échec de ce modèle atypique ? Il y a d’abord une part de hasard : pour un Juke s’imposerait-il là où l’Aztek avait échoué ? Allez savoir, mais sur la question de style, j’ai ma petite idée : malgré l’audace du trait, l’Aztek restait dans une thématique très 90’s, très manga, sans doute un peu en retard malgré l’aspect futuriste… Un peu comme une voiture d’anticipation des années 2000 dans un film des années 80 : ça fait moderne, mais c’est déjà ringard, encore trop ancré dans son temps et pas assez novatrice dans les lignes, in fine.
L’autre gros problème sera son tarif rédhibitoire pour la clientèle jeune et sportive visée, associé à une finition bien imparfaite (pour rester poli). Fabriqué au Mexique, dans l’usine de Ramos Arizpe, il souffrira donc d’un positionnement en décalage par rapport à son prix et à ses prestations. Sans parler de son V6 anémique. L’Aztek aurait sans doute pu se satisfaire d’un 4 cylindres un peu sportif et nerveux, mais moins cher, pour séduire ces fameux « jeunes actifs amateurs d’outdoor ».
Finalement, l’Aztek n’a rien à envier aux BMW de Chris Bangle vu sous cet angle !Pourtant, malgré un lancement poussif (11 201 ex la première année), l’Aztek réussit à frôler le seuil de rentabilité (27 322 voitures en 2001, 27 793 en 2002, et 27 354 en 2003). Mais dès 2004, les ventes replongent à un peu plus de 20 000, pour finir en 2005 à 5 020 véhicules vendus. Cette année-là, GM décide d’arrêter les frais, et si les stocks s’écouleront jusqu’en 2007, c’en était fini de l’Aztek. L’échec commercial vint se rajouter au design pour faire de l’Aztek l’objet de toutes les moqueries.
Etrangement, son statut de ringard absolu de l’automobile redonne du sex-appeal à l’Aztek depuis le débuts des années 2010. Presque gratuit en occasion (j’exagère, mais avouez que ça doit être dur de revendre un Aztek), il remonte peu à peu la pente et une certaine estime de soi auprès d’une clientèle soucieuse d’en avoir beaucoup pour presque rien, tout en assumant le côté très décalé de la bestiole. Et je finis par rejoindre le camp de ces malins là : en triant les photos pour cet article, j’ai fini par le regarder autrement, lui trouvant sous certains angles une certaine beauté. Et puis quel plaisir aujourd’hui de prendre le contre-pieds de l’avis mainstream (et pour tout dire mouton) des experts auto-proclamés de l’automobile (qui sont aussi, bien souvent, sélectionneurs de l’équipe de France, et Premiers Ministres potentiels). Aussi, je déclare la Pontiac Aztek « voiture la plus BR » du siècle, rien que pour le plaisir (comme dirait Julien Lepers).