Monica 560 : l'éphémère tentative du haut de gamme à la française
Les candidats à la création de leur propre marque automobile sont plus nombreux qu’il n’y paraît, et leurs motivations sont parfois bien différentes : entre les mégalomanes (Bricklin, DeLorean ou plus récemment Marussia), les passionnés (Coste ou Venturi), on trouve aussi les éternels insatisfaits. A l’instar de Ferrucio Lamborghini déçu par Ferrari, c’est l’absence de voiture haut de gamme française qui motivera Jean Tastevin à lancer sa propre marque, Monica.
L’homme est un industriel, à l’abri du besoin, gérant la Compagnie Française de Matériel Ferroviaire, société familiale qui dégage suffisamment de bénéfices pour lui permettre de rouler en Aston Martin ou en Jaguar, mais il ne peut s’empêcher de regretter la disparition de Facel Vega (lire aussi: Facel Vega III / Facelia), ou des grandes marques françaises d’antan, Bugatti (lire aussi: Bugatti Type 101), Delahaye et consorts.
Qu’à cela ne tienne, sûr qu’une marque haut de gamme française pouvait existé, sûr aussi de sa capacité morale ou financière à la créer, Tastevin se lance, et donne naissance à cette nouvelle marque, Monica, hommage stylisé à sa femme Monique. En 1967 donc, à une époque ou l’expression « crise pétrolière » n’existe pas encore, il fait appel à Chris Lawrence, un anglais ancien coureur automobile qui avait conçu sa propre voiture de course. C’est lui qui se chargera du châssis.
Côté moteur, Tastevin fait appel à une connaissance de Lawrence, Ted Martin, qui propose d’adapter un V8 conçu par ses soins pour la compétition. Ce moteur de 3,4 litres développe 240 ch théoriquement, mais se révélera totalement bancal. Sans compter le style du premier prototype présenté en 1969, pas du tout du goût du commanditaire français. Après avoir tenté de réparer les dégâts chez Chapron sans succès, le style sera repris totalement par le designer Tony Rascanu. Cette fois-ci, c’est (à mon sens) un coup de maître. Racée, élancée, tout bonnement belle, la Monica ressemble enfin aux rêves de Jean Tastevin.
Comme rien n’est simple, la réalisation du deuxième prototype prend du retard à cause de divergences de points de vue entre Tastevin et Vignale chargé du projet. Et puis la mort de Rascanu n’arrange rien, bien au contraire. Côté moteur, l’idée du V8 spécifique à la Monica développé par Martin est judicieusement abandonnée. Place à quelque chose de plus sûr : un V8 Chrysler de 5,6 litres et 285 ch fera l’affaire. A l’intérieur, c’est le grand luxe, ronce de noyer, cuirs, boîte 5 vitesses ou automatique, climatisation séparée, installation hi-fi ultra moderne (pour l’époque) etc. L’objectif est clair : Jaguar, voire Bentley et Rolls Royce (la Monica est plus chère) sont dans le collimateur de Jean Tastevin, qui prévoit déjà de produire au minimum 400 véhicules par an.
En 1973, la Monica est enfin prête, après 6 ans de gestation. Mais comme il est écrit que rien ne sera jamais simple avec l’automobile haut de gamme française, c’est pile poil à ce moment là qu’éclate la première crise pétrolière. Pendant deux ans, Jean Tastevin tentera de s’imposer malgré tout, pour finir par jeter l’éponge en 1975 après seulement 28 exemplaires produits de cette superbe, luxueuse et performante Monica 560.
Certes, on peut crier à la scoumoune avec cette fameuse crise du pétrole tombée au mauvais moment pour la Monica, mais aussi, que de temps et d’argent perdus dans les errements du débuts. 6 ans pour concevoir cette auto, c’était sans doute trois de trop, et qui dit qu’avec 3 ans de production « normale », la marque n’aurait pas pu avoir les reins assez solides pour supporter cette crise. Jean Tastevin était un réel passionné, mais il est difficile d’être néophyte dans ce genre d’aventure. Dix ans plus tard, un ingénieur et un designer se lanceront dans une nouvelle tentative avec MVS, sans succès eux aussi.
Les Editions du Fil conducteur (fondées par François Allain) ont fait paraître l’unique livre paru dans le Monde sur Monica: http://www.editionsfilconducteur.com/shop/