MGF : succession et émotions !
Pour commencer, voici une jolie comptine qui se chantait bien à la fin des années 80, et qui donna des idées à bien des compositeurs : Dans un pays très lointain… Celui des sushis et des mangas. Une jolie geisha survint… Une coquine que l’on nomma Miata. Deux places et une capote toilée… et des yeux qui clignent comme ceux d’une poupée ! Eh oui, on l’a bien assez écrit, la planète roadster est repartie de zéro en 1989. Après la mode des citadines et coupés enrubannés d’autocollants « Turbo », le marketing à la japonaise eut le bon goût de revenir à l’essence même du plaisir de conduite, avec pour muse la Lotus Elan. La Mazda Miata fit alors chavirer les cœurs et une pléiade de constructeurs flaira l’opportunité de lancer un produit d’image calqué sur le même esprit. Mais là attention, nous allons aborder le cas d’un vrai roadster anglais, en filiation directe avec une tradition sacrée, le tout dans un improbable feuilleton industrialo-financier : la MGF.
Contexte : La macabre ambiance de l’automobile anglaise des années 80
Dans les années 80, la marque Austin-Rover faisait ce qu’elle pouvait pour éviter que le blason MG ne soit tout bonnement inhumé. Maladroitement car — c’est toute une époque — avant d’être un autocollant flanqué sur le nez des versions sportives de hideuses berlines anglaises, MG évoquait des valeurs très érotiques chez n’importe quel conducteur britannique : les balades à deux avec le vent dans les cheveux, une main gantée sur le volant, l’autre bras qui enlace la passagère… Les dernières MGB et Triumph TR7 et TR8 sortirent d’usine peu après la première élection de Margaret Thatcher. Le gouffre financier étant abyssal, tout ce qui n’était pas de l’ordre du « mass market » devait mourir et, sans le succès de l’Austin Metro, les funérailles auraient été collectives. Certes, il y avait bien des alternatives et des descendantes plus ou moins respectueuses de la légende : d’un côté la repoussante Reliant Scimitar SS1, de l’autre les très scabreuses TVR S — appréciées des masochistes en quête de sueurs froides — dessinées avec plus ou moins de goût. Il y avait donc beaucoup de place pour un roadster plus modeste et élégant, bien avant le lancement de la Mazda MX-5 et, chez Austin-Rover, tout le monde le savait.
Le proto PR2Tout (re)commença en 1985 à Francfort avec le concept car MG EX-E, dont l’unique raison d’être était de faire mousser les relations publiques en matérialisant cette intention implicite: « Ne vous y trompez pas avec les MG Maestro et Montego, MG est un constructeur actuellement animé par de hautes ambitions. Tenez-le vous pour dit. » Lorsque les journalistes posèrent la question de la production, on leur fit des réponses de Normand (ou des promesses de Gascon, c’est au choix). Elle devançait les grandes masses de la Jaguar XJ220 mais avec un coup de crayon très eighties. Ses entrailles laissaient voir le V6 compact de l’Austin Metro 6R4 qui délivrait alors plus de 400 chevaux. Effet d’annonce ou réel projet, l’attention avait en tout cas été captée.
Le proto PR3En parallèle, deux autres concepts nommés MG F-16 et PR2 permirent aux designers de s’exciter sur la thématique du roadster, sans trop pousser. Rappelons encore que l’industrie automobile anglaise du milieu des années 80 n’est pas au champagne et aux cotillons et qu’Austin-Rover est alors aux mains du gouvernement britannique. La F-16 a une allure de Fiat Barchetta avec des phares escamotables en plus, un museau fin et une allure de jouet. Un massif bandeau de feux arrière sera heureusement oublié pour toujours. La PR2, sur base TVR, est un Grand Tourer aussi ostentatoire que baroque, avec un immense capot. Après quelques bières, il se disait qu’elle pourrait formidablement incarner la relance de la marque Austin Healey, avec les USA en ligne de mire. Ben voyons…
En 1988, Austin-Rover (ré-étiqueté Rover Group) repart dans des mains privées grâce au rachat par British Aerospace. L’année suivante, la Mazda MX-5 fit le buzz. Sous ce jour nouveau, le top management de l’entreprise desserra alors les cravates et les cordons de la bourse, puis les designers de Rover Special Products s’offrirent un scotch et se mirent au travail. Un actionnariat plus enclin à l’innovation, un espoir regonflé par le succès de la Mazda et la convergence de plusieurs concepts, voilà ce qui constitua une base de travail saine et motivante pour les équipes.
Le projet se découpa donc sous la forme de trois études à la carrosserie identique : une PR1, qui fut en fait la resucée de la F-16 (châssis d’Austin Maestro, moteur avant et traction) ; une PR2, propulsion, construite sur un châssis de Reliant Scimitar avec un V8 Rover à l’avant ; et enfin une PR3 qui cherchait à démontrer l’intérêt de la configuration « MR ». La PR1 et son architecture tout à l’avant fut jugée peu noble (bien que facilement lançable). La PR2 était fort appréciée mais demandait une conduite plus pointue, en plus de nécessiter une toute nouvelle ingénierie sur l’ensemble moteur-boîte-châssis. La sophistiquée PR3 retint l’attention pour ses qualités routières inédites et l’employabilité de solutions existantes. Eh oui, prenez une plateforme de Rover 100, retournez la pour que le moteur se retrouve derrière les passagers et le tour est joué ! Au passage, la nouvelle Lotus Elan SE, héritière du nom mais mue par un bloc Isuzu et des roues avant motrices, fit un joli succès d’estime malgré un passage à la traction… On l’aura compris, Rover retint la PR3 et commanda derechef trois études de design avec pour exigence de réutiliser un peu du « jus » du concept EX-E.
En 1991, une proposition aux courbes très douces fut choisie mais repassa sur la planche à dessin des stylistes Gerry McGovern et Gordon Sked — parents de l’EX-E — qui réarrangèrent brillamment la sauce pour « faire plus MG » : feux avant tout ronds, lointaine parenté avec la face des dernières MGB, feux arrière typiquement EX-E, ligne de caisse et pare-brise plus bas. La future MG décapotable s’annonçait toute bulbeuse ! Le mulet prit la forme amusante d’une Austin Metro dont le moteur n’était plus sous le capot mais à la place des sièges arrière. Personne ne remarqua cette ruse.
Enfin, pour continuer à maintenir la marque MG sous perfusion, la très sensuelle mais anachronique (voire antique) RV8 excita la presse et les gentlemen drivers pendant trois ans, le temps que tout soit prêt. On refit fabriquer des châssis de MGB et on utilisa les stocks de pièces qui prenaient la poussière. Friand de ce genre de fantaisie vintage, le Japon aspirera 80 % des RV8. Les Anglais maîtrisent définitivement l’art d’accommoder les restes…
Sous la jupe de la princesse
Côté ingénierie, pour la future Rover décapotable, point de composants de chez l’ami Honda. Produit d’image oblige, il faut éviter le métissage anglo-japonais (encore une fois l’antithèse de la sympathique Lotus Elan SE). Anglaise donc, des roues aux pare-soleils, du nez aux fesses. Il fallait donner à la Lotus Elan, aux Triumph, Healey et consœurs et bien sûr à la MGB une filleule « very proper indeed ! ». Évitant donc les composants japonais, les ingénieurs composent un joyeux mish-mash fait d’éléments maison, à commencer par l’évolution du moteur K, brave cheval de trait des Rover de l’époque. Intelligemment retravaillé pour sortir 1,8 litre dans un bloc moteur identique, il annonce une puissance de 120 chevaux. Timide mais rageur dans les tours, il motorisera la version standard de la MGF au lancement, on le retrouvera même plus tard dans les Freelander.
La configuration MR étant retenue pour ses bénéfices en pilotage, il fallut trouver une possibilité d’offrir plus de chevaux à la nouvelle petite MG. À partir d’un brevet peu connu datant des années 70, Rover joua le va-tout « VVC » : un disque décentré sur l’arbre à cames offrant différents calages, dans le but de modifier les temps d’ouverture des soupapes. Plus de puissance dans les tours élevés, plus de couple à bas régime, en deux mots : une admission variable (voui voui, comme le VTEC de l’ami Honda). La MGF 1.8i VVC promet ainsi 145 chevaux. Pour ne rien faire comme tout le monde, les Anglais lui collent une suspension Hydragas, aussi décriée et adulée que l’hydropneumatique Citroën. Un choix malin, car il s’est révélé offrir de bonnes prestations dans une configuration de véhicule à moteur central, aux masses très équilibrées. Pour finir la recette, une petite capote que l’on balance vers l’arrière en quelques secondes, et servez chaud.
Rover est donc sorti de sa zone de confort des points de vue technique et stylistique, en ne cédant pas au kitsch du rétro-marketing. Les hommes de Rover sèchent leur sueur et leurs larmes, oublient la gabegie British Leyland et se mettent à chanter God save the Queen. Oui mais voilà, peu avant le lancement de la voiture, British Aerospace a refourgué Rover à BMW, qui savonnera la planche de la MGF pour protéger sa nouvelle Z3. Conséquence directe : la MGF ne roulera jamais aux USA et elle se verra privée de toute motorisation trop volontaire.
Saut dans la mare
À Genève en 1995, tout le monde fond devant sa bouille de grenouille potelée. La nouvelle petite MGF se lance avec le même 1 800 cc disponible en nature (120 ch) ou en VVC (145 ch). Point de clim avant 1997, année où est également proposée une première série spéciale « Heritage ». De nombreux collectors suivront dont une très génétique « British Racing Green » équipée de valorisantes jantes d’esprit Minilite, qui seront ensuite proposées sur le reste de la gamme. En 2000 seront appliquées des améliorations techniques et des retouches cosmétiques : un tour de pare-brise couleur carrosserie et des clignotants cristal. Une boîte de vitesses automatique d’origine BMW complètera le catalogue. L’année suivante, la gamme s’étend par le haut et le bas : Pour fêter l’abandon par BMW (qui se retire de cette très mauvaise affaire…), 2 000 exemplaires d’une série « Trophy » gonflée à 160 chevaux se répartiront dans toute l’Europe. Elle comprend un kit carrosserie spécifique et des suspensions surbaissées. Puis une chiche version 1,6 l de 111 chevaux arrivera pour rendre plus compétitif un véhicule il est vrai tarifé assez haut dès le début. Par contre, à ce prix-là, c’est sans radio, sans fermeture centralisée ni inserts décoratifs, ni rien…
La MGF TrOPHY 160Parlons-en des inserts décoratifs… L’habitacle est plutôt clivé : d’un côté, de très jolies selleries cuir beurre frais ou magnolia typiquement british (en tissu si on a moins de moyens) ; et en face, une planche de bord noire, cheap à souhait, sans aucune fantaisie, ou parée de véritable plastoc de noyer. Heureusement, des volants bicolores et des ornements en aluminium façon Audi TT égayeront toute cette fadeur au cours de la carrière de la MGF.
Deuxième petit défaut : avec son moteur à l’arrière, le train avant est très léger, trop d’ailleurs. La direction est très communicante et confère à l’engin une maniabilité de puce mais ne donne pas un sentiment de sécurité à haute vitesse. Toutefois, notons que la suspension Hydragas fait du bon travail. Et pour finir, un gros point noir : un joint de culasse réputé pour claquer avant 70 000 kilomètres, conjugué à une accessibilité moteur abominable… Les bouffées de chaleur du pétillant moteur K se révélèrent bien difficiles à refroidir en position centrale arrière. Il fallait bien une faiblesse de ce genre, si la voiture avait été trop fiable, elle aurait renié sa race de roadster anglais !
Elle rejoint le club de celles qui méritaient mieux
Comme dit Thierry Lhermitte dans Le père Noël est une ordure, « elle a les défauts de ses qualités monsieur ! ». En effet, certaines voitures ont un comportement si déterminé qu’elles poussent le conducteur dans la dynamique perverse du « je veux plus de chevaux jusqu’à sentir les limites du châssis ». La MGF en fait partie. Tonique mais bien moins piégeuse que la MX-5 (moins joueuse du coup), la MGF possède une motricité qui donne envie de rajouter du poivre et des chevaux jusqu’à la faire décrocher. Ce faisant, elle constitue un achat parfait pour quelqu’un qui n’a pas l’habitude des voitures de sport.
Je me souviens, un beau matin d’hiver, avoir vu débouler une MGF à ma droite dans une bretelle d’accélération autoroutière. Le pilote déboita vivement, fendit la bise comme un obus et slaloma au travers d’un troupeau de tristes SUV gris et noirs. « Regardez-moi cette petite bête d’à peine 120 chevaux rebondir de nénuphar en nénuphar ! » me dis-je. La MGF était littéralement ventousée au sol et changeait d’appui comme un kart (merci l’Hydragas !). Ma sympathie pour cet engin vert et joufflu était gagnée pour l’éternité. Et tant pis pour sa frêle cavalerie.
Une carrière digne d’une série TV
Née sous British Aerospace, commercialisée sous BMW, voilà maintenant la voiture relancée sous un autre actionnariat (un fort courageux consortium financier). Tout début 2002, La MGF accouche de sa fille, appelée MG TF, comme sa mamie née en 1953. C’en est une copie grandement améli