Merkur XR4Ti: une Sierra en pays Yankee !
Il y parfois de bonnes idées qui s’avèrent ne pas en être en réalité. L’automobile n’est pas une science exacte, et je suis épaté de voir combien de projets « géniaux » sur le papier ont capoté in fine. C’est le cas de la Merkur XR4Ti qui contre toute attente ne survivra pas aux dures réalités du marché.
Au début des années 80, la présidence de Ford est occupée par Donald E. “Pete” Petersen, qui a fait ses classes chez Ford Europe, et qui considère le marché européen comme l’un des plus durs. Il regarde donc avec bienveillance les agissements de sa filiale européenne, dirigée par le dynamique et influent Bob Lutz. Il considère d’ailleurs sa filiale comme un incubateur de talents, que ce soit pour les cadres, les ingénieurs ou les designers. La sortie de la toute nouvelle Ford Sierra, dessinée par le français Patrick Le Quément, en 1982, donne des idées à tout ce beau monde (lire aussi: Ford Sierra).
En fait, la création de la marque Merkur et le lancement de la XR4Ti est le fruit des désirs de beaucoup de monde chez Ford. D’une part, le succès des « voitures européennes » telles que les Volvo, Saab, Mercedes, Audi ou BMW laissent entrevoir aux dirigeants de la FoMoCo qu’il existe un créneau ! D’autre part, le succès de la Sierra en Europe permet d’envisager d’en faire une voiture vraiment mondiale (le désir secret de tout constructeur américain). Enfin, les « dealers » des marques Lincoln et Mercury désirent eux aussi pouvoir proposer un modèle dynamique et sportif à opposer aux modèles SVO (Special Vehicle Operation) disponibles eux dans le réseau Ford distinct.
Ce qui paraît simple sur le papier se trouvera plus compliqué que prévu. La base sportive de la XR4i prévue ne pourra pas conserver son V6 Cologne de 150 chevaux : impossible à adapter aux normes américaines. Il faudra donc trouver un autre moteur. Après avoir songé à un V8, comme en Afrique du Sud, lire aussi :Ford Sierra XR8) ce sera le bon vieux 4 cylindres Lima qui s’y collera, avec un turbo, de 2,3 litres de cylindrée et 147 ch (avec la boîte automatique à 3 vitesses) ou 177 ch (pour la boîte manuelle). Pour que la Sierra passe les normes américaines, il faudra en outre modifier près de 850 points. Impossible donc de la sortir directement des chaînes de Ford Europe.
Des préparateurs permettaient d’améliorer les performances de la XR4TiIl faudra donc faire appel à un sous-traitant pour la production de celles qu’on appelle désormais XR4Ti (le T voulant bien entendu dire « Turbo »). C’est Karmann qui se chargera de transformer les Sierra en Merkur ! Autre problème : aux Etats-Unis, le nom Sierra est détenu par GMC, et celui de Ciera par Oldsmobile, deux filiales de GM. Impossible en outre de baptiser une voiture si différente sous la marque Mercury, bien qu’elle soit distribuée dans son réseau. La poire est coupée en deux : elle s’appellera Merkur (l’équivalent allemand de Mercury) et donc XR4Ti, suggérant sa filiation avec l’européenne XR4i, sa sportivité et sa technicité.
Les objectifs sont somme toute modestes : Ford envisage d’en écouler 20 000 par an aux Etats-Unis. C’était pourtant trop, car la mayonnaise ne prendra pas. Lancée en 1985, elle doit faire face à la concurrence européenne largement plus performante, Saab 900 ou Audi 5000 (notre Audi 100/200). Seuls 12 400 exemplaires trouvent preneurs en 1985, et 13 599 en 1986. En 1987, Ford ne lâche pas l’affaire, et décide de compléter la gamme Merkur avec la Scorpio européenne, qui elle aussi fera un bide.
Au total, 22 010 Scorpio seront vendues entre 1987 et 1990, et 42 464 XR4Ti. Autant dire peanuts à l’échelle du marché américain. Pas vraiment européennes, pas vraiment américaines, elles pâtirent de leur statut bâtard et de lignes « étonnantes » pour l’américain lambda. La marque Merkur ne se relèvera pas, et s’arrêtera en 1990 à l’épuisement des stocks.
Cela dit, aujourd’hui, cet échec et la relative rareté de la XR4Ti la rende d’autant plus désirable. Construite par Karmann, spécifique aux Etats-Unis, plutôt performante dans sa version boîte manuelle, elle pourrait compléter parfaitement la collection d’un Fordiste ne sachant plus quoi s’offrir ! Pour les autres, c’est l’occasion de découvrir un modèle étonnant et la preuve encore une fois qu’il n’est pas toujours évident de concrétiser une bonne idée en succès commercial !
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