Le jour où Agnelli et Fiat faillirent racheter Citroën
Avec des « si » on pourrait mettre Paris en bouteille… Mais moi qui aime l’uchronie, j’avoue qu’il m’est arrivé de me demander ce qu’il serait advenu si Fiat avait effectivement pris le contrôle de Citroën en 1973. Car si chacun se souvient de la faillite de 1974 et de la prise de contrôle de la firme aux chevrons en 1975 par Peugeot, peu de gens se souviennent que Citroën fut à deux doigts de passer sous pavillon italien, après 5 ans de collaboration technique (projet Y notamment, premier projet d’une compacte Citroën positionnée sous l’Ami8 et qui indirectement donnera naissance aux Visa et Oltcit/Axel) et d’accords financiers. Une petite histoire comme Boîtier Rouge les aime pour se détendre en ce début de semaine.
Au départ, lorsque les accords Citroën / Fiat son annoncés en octobre 1968, l’idée n’est pas encore de vendre la marque française, mais de nouer des accords techniques, commerciaux et financiers permettant une réduction des coûts, ainsi qu’une meilleure distribution des marques respectives sur les marchés italiens et français.
En début d’année 1968, Citroën a totalement réorganisé sa structure financière, avec une société mère, Citroën SA, chapeautant une vingtaine de filiales. Outre une plus grande efficacité, cette ré-organisation facilite les négociations avec Fiat dans le cadre d’une prise de participation. En octobre, le projet est annoncé, avec l’annonce de la future création de la société de holding Pardevi SA (Participation et Développement Industriel), qui détiendrait 55 % des actions de Citroën SA. A l’origine, il est prévu que Michelin détienne 63 % de Pardevi, et Fiat 37 %. Dans les fait, Fiat ne détiendrait que 15 % de Citroën, ce qui semble acceptable pour tous, y compris pour le gouvernement, attentif aux fleurons de l’industrie française.
La GS Birotor, comme la M35, est un gouffre financier pour Citroën
Avec le rachat de Maserati en 1969, faisant suite aux accords techniques de 1968, et le futur lancement de la SM (prévu pour 1970), et le développement sur le moteur Wankel avec la Comotor (lire aussi : Citroën M35 et Citroën GS Birotor), Citroën se positionne clairement vers le haut de gamme, le sport et la technologie, mais cette orientation a un coût. Cette année-là, les accords avec Fiat commencent à devenir réalité : le réseau Citroën se met à distribuer la marque Autobianchi (en France, Suisse, Belgique et Portugal), tandis que le réseau Autobianchi distribue en contrepartie Citroën en Italie.
Le 28 juillet 1970, la société Pardevi est officiellement créée. Si elle détient bien 55 % de Citroën SA, la répartition Citroën / Fiat à son capital n’est plus du tout la même : Michelin détient 51 % de Pardevi, tandis que Fiat s’octroie 49 %. Pour expliquer cette nouvelle répartition, il faut imaginer que depuis 1968, la situation financière de Citroën a changé, embourbée dans des projets gourmands en capitaux (Maserati, la SM, la Comotor). En outre, les états d’esprit ont changé. Chez Michelin, on commence à se lasser de cette filiale automobile coûteuse, et on pressent que l’avenir automobile passera par des alliances, des croissances externes et la conquête internationale. Sans moyen, comment relever les défis du futur ? Du côté de chez Fiat, un leitmotiv : croissance et internationalisation. Après avoir racheté Lancia en 1969, et pris 50 % de Ferrari la même année, l’heure est à l’offensive internationale. Enfin, Michelin et Fiat partage une culture commune : celle de l’entreprise industrielle et familiale qui facilite les discussions, et les visions communes.
La crise pétrolière et la perte du marché américain joueront pour beaucoup dans l’échec de la SMAvec la création effective de la Pardevi, la famille Michelin indique implicitement son désir de se désengager de Citroën avant même de subir la crise pétrolière de 1973. A l’annonce de cette prise de participations, les dents grincent, particulièrement au gouvernement ! Cela sent les grandes manœuvres, et l’Etat gardera un œil attentif à la situation chez Citroën. Déjà, les dissensions montent entre français et italiens. Les ambitions de Fiat sont de conquérir le marché français, et pas forcément de préserver les spécificités de Citroën. Chez Citroën, on se verrait plutôt comme la filiale haut de gamme, et non comme un assembleur.
Le discours de Giovanni Agnelli au salon de Turin en 1972 glace le sang des français : il y annonce ouvertement son ambition de disposer des usines Citroën, de rationaliser la production des deux marques, et ce afin de réaliser d’importantes économies d’échelle. Les autorités françaises commencent à sérieusement s’inquièter. Dès lors, lorsqu’en 1973 Michelin annonce son intention de vendre sa participation de 51 % dans Pardevi à son homologue italien qui prendrait, de fait, le contrôle de Citroën avec 100 % de Pardevi et donc 55 % de Citroën, le gouvernement va agir… en opposant son veto !
Agnelli finira par jeter l’éponge, et renoncera à racheter Citroën en 1973Devant cette levée de bouclier, Fiat va donc renoncer à ses ambitions sur Citroën, et rétrocéder ses 49 % de Pardevi à Michelin, qui se retrouve bien embêté, sans partenaire industriel, commercial et financier pour affronter la crise pétrolière de cette même année. Les coûts de développement de la technologie Wankel ont explosé, la SM gourmande en carburant se vend moins bien que prévu, et les nouvelles normes américaines impossibles à appliquer sur ce modèle risquent de priver la voiture de son principal marché (les USA absorbent ¼ de la production des SM en 1973. En outre, la filiale italienne Maserati est un gouffre financier, tandis que la concurrence sur le marché français est de plus en plus forte (Renault, Peugeot). La DS est en fin de vie, et la nouvelle CX pas encore sur le marché. L’avenir n’est pas rose, les finances sont exsangues, et Michelin peu enclin à recapitaliser sa filiale.
En 1974, Citroën SA est déclarée en faillite, et le gouvernement fera pression, dès lors, sur Peugeot pour racheter son concurrent (ce qui sera effectif en 1975) : c’en était fini de l’indépendance de Citroën. L’intégration au sein du nouveau groupe PSA ne se fera pas sans heurt, et le rachat de Chrysler Europe en 1978 compliquera encore la donne. Mais « cocorico », l’honneur était sauf, et Citroën restait française !