L'aventure slovène de Renault à Novo mesto
Un soir de 1971, au fin fond de la fédération de Yougoslavie, à 70 km de Ljubljana et de Zagreb, un accord important vient d’être signé. Pierre Dreyfus, PDG de la Régie Renault, ne le sait pas encore, mais 45 ans plus tard, l’usine IMV de Novo mesto avec laquelle il vient de convenir d’un partenariat deviendra une pièce stratégique de l’outil industriel du losange ! Pour l’instant, il ne s’agit que d’un accord de partenariat, accordant à IMV de produire la Renault 4 sous licence, dans quelques années, l’usine deviendra filiale, et finira par être la seule à produire des Twingo, mais aussi des Smart 4 portes (basées sur la même plate-forme).
L’affaire n’était pourtant pas bien engagée au départ. Les anglais de British Leyland étaient dans la place depuis 1967, et IMV fabriquait déjà des Austin 1300. Cependant, le Maréchal Tito, qui tenait d’une poigne de fer la Yougoslavie de l’époque, voulait développer son industrie automobile, et cherchait de vrais partenariats industriels avec des constructeurs étrangers, à l’image de ce que Fiat avait fait en 1968 avec Zastava, et plus seulement des licences de fabrication. Les discussions anglo-yougoslaves finirent par capoter, laissant le champs libre à un Renaut en pleine expansion dans les pays de l’Est (lancement de Bulgarrenault et Bulgaralpine en 1965, lire aussi Renault et Alpine en Bulgarie, et signature du partenariat avec Dacia en 1966, lire aussi Dacia 1100).
Depuis 1965, la France, sous l’impulsion du Général de Gaulle, est sortie de l’OTAN, et représente une sorte de 3ème voie, ou tout au moins un partenaire beaucoup plus acceptable pour les régimes communistes des pays d’Europe de l’Est. Si l’Italie est géopolitiquement plus « atlantiste », elle dispose, comme en France, d’un Parti Communiste fort qui rassure les soviétiques et leurs alliés. C’est l’une des raisons de la forte implantation de Fiat en Pologne, Yougoslavie ou URSS, et la raison pour laquelle Renault tente de s’y faire une place au soleil. Ironie de l’histoire, c’est in fine Renault qui rachètera la place-forte « italienne » de Togliatti (prenant le contrôle de la société Avtovaz entre 2008 et 2014, lire aussi : Renault rachète Lada). Entre temps, Renault aura aussi pris le contrôle de Dacia en Roumanie, transformant la marque en une poule aux œufs d’or sur le créneau du low cost.
Mais revenons à nos moutons. En 1971 donc, Pierre Dreyfus est content du partenariat signée avec IMV au nez et à la barbe de British Leyland ! IMV est une société solide, née au début des années 50 sous le nom d’Agroservis (spécialisé dans la maintenance de matériel agricole), la société s’est ensuite associée avec DKW (lire aussi : DKW GT Malzoni) sous le nom de Moto Montaza ! Ce n’est qu’en 1959 que le nom de IMV (Industrija motornih vozil) est adopté. IMV commence à se diversifier dans la production de caravanes (une activité qui existe toujours aujourd’hui sous la marque Adria Mobil, indépendante de Renault) et produit une petite camionnette proche de l’estafette de Renault, motorisée d’abord par des moteurs DKW, puis par des moteurs… Renault !
L’activité de production de caravane est florissante en ce début des années 70, et IMV exporte dans toute l’Europe, rapportant des devises à la Yougoslavie communiste qui en a bien besoin ! Renault est donc confiant. D’autant qu’un autre partenariat est signé dans la foulée avec Litostroj à Ljubljana pour la fabrication de transmissions qui seront utilisées par IMV mais aussi par Renault sur ses propres productions. Le temps de mettre l’usine de Novo mesto en conformité, et IMV commence à produire des Renault 4, best seller du losange, à partir de 1973 ! Elle y sera fabriquée pendant presque 20 ans, ne terminant sa carrière slovène qu’en 1992, devenant une véritable icône de ce petit pays des balkans, idéalement positionné à la frontière autrichienne et italienne, et proche du port de Trieste sur l’Adriatique !
Si la Renault 4 sera un succès (avec 576 000 exemplaires produits), ce ne sera pas le cas de toutes les productions Renault. En 1974, Renault eut l’idée incongrue d’y fabriquer son haut de gamme de l’époque, la 16 ! Pourtant, Citroën s’était déjà cassé les dents en tentant de produire des ID et DS dans les Balkans (lire aussi : Citroën en Slovénie). Même erreur, même tarif, la Renault 16 ne sera fabriquée qu’à 342 exemplaires à Novo mesto (1974-1976). C’est en 1974 aussi que la Régie décide de fabriquer en Yougoslavie son produite phare, la R12. Elle cartonne déjà en Roumanie, et devrait donc prendre sa place assez facilement sur le marché yougoslave ! Mais c’était sans compter un concurrent de taille, soutenu par Fiat : Zastava. La Renault 12 n’arrivera pas à faire aussi bien que la Renaut 4, et ne s’écoulera qu’à 7300 exemplaires jusqu’en 1977.
D’une certaine manière, jusqu’aux années 90, IMV n’arrivera jamais à sortir de la monoculture de la Quatrelle ! On tentera bien de lancer la Renault 18, qui fit un peu mieux que les 12 et 16, avec 18700 exemplaires fabriqués entre 1980 et 1987, mais il faut croire que Novo mesto devait rester cantonnée sur le marché de la petite voiture ! L’usine devient cependant une pièce majeure du dispositif industriel de Renault, et François Miterrand, lors de sa visite en Yougoslavie en 1983, ne manquera pas de se rendre à Novo mesto pour admirer la collaboration franco-slovène !
François Miterrand en visite à Novo mesto en 19831988 sera une date importante pour l’usine et la petite ville de Novo mesto, sur les bords de la Krka. C’est à cette date qu’est créée la société Revoz (Renault Vozila) dont Renault prend une forte participation aux côtés d’IMV. La construction automobile se retrouve séparée de la construction de caravane, et Renault devient, pour la première fois depuis 1971, véritablement actionnaire. Jusqu’alors, la juridiction communiste ne permettait pas la « prise de participation » au sens ou on l’entend dans l’économie de marché. Renault n’était d’ailleurs pas payé en cash d’une somme précise pour ses apports industriels, mais en « participation aux bénéfices ». L’organisation du partenariat était particulièrement complexe. Avec la libéralisation de la Yougoslavie dans les années 80 (et sous la pression de Fiat qui compte fabriquer la Uno chez Zastava), la création de société devient alors possible, et Renault saisit l’occasion de se renforcer à Novo mesto. A partir de 1989, Revoz commence l’assemblage d’un autre best seller frappé du losange, la Super 5 ! Elle sera fabriquée jusqu’en 1996, fournissant toute l’Europe occidentale, à 296 000 exemplaires.
Dès 1987, IMV puis Revoz était devenue la 5ème entreprise Yougoslave, et le 1er exportateur de la fédération ! Avec la création de Revoz et la prise de participation, Renault est solidement implanté dans le pays, et l’histoire va lui donner un coup de main. Fin 1989, la chute du mur change la donne dans les pays de l’Est. Dès septembre, le parlement slovène se donne le droit de quitter la fédération de Yougoslavie. Le 23 décembre 1990, un référendum est organisé pour l’indépendance du pays. 89 % des slovènes votent pour, et le petit pays se sépare en juin 91 d’un Yougoslavie en pleine implosion. Après une dizaine de jours de guerre, la Yougoslavie est obligée, sous la pression de l’Union Européenne, de signer les accords de Brioni, accordant l’indépendance de la Slovénie.
La libération s’accompagne d’une libéralisation qui permet à Louis Schweitzer le 11 octobre de prendre le contrôle de Revoz : avec 54 % du capital, Renault est enfin maître de Novo mesto ! Alors que la Renault 4 tire sa révérence, la Clio I la remplace avec succès sur les chaînes de production (300 000 exemplaires produits entre 1993 et 1998). Novo mesto permet à Renault de produire ses petits véhicules à des coûts bien plus bas qu’en France, et deviendra l’une des plus grosses usines des « petites » Renault ! La Clio II y sera assemblée de 1998 à 2011 à 1 436 000 exemplaires. En 2004, Renault rachète la totalité du capital de Revoz et confie en 2006 à l’usine slovène l’exclusivité de la Twingo II (et de la Wind, lire aussi : Renault Wind). Dans les années 2000, Revoz dépasse chaque année les 200 000 exemplaires produits.
Aujourd’hui, Revoz est au cœur de la stratégie de partenariat du groupe Renault-Nissan. Forte de son expérience dans les petites voitures, c’est tout naturellement que lui est revenue l’exclusivité de la fabrication de la Twingo III, mais aussi de sa sœur jumelle, la Smart Forfour ! Voilà comment, d’une usine de maintenance agricole de l’ère soviétique, on devient l’une des plus grosses usines d’un groupe mondial, Renault-Nissan, et la première entreprise d’un petit pays ayant intégré l’Union Européenne en 2006 (facilitant ainsi les échanges puisque sans droits de douane au sein de l’Union). Aujourd’hui, vous saurez, à l’heure où « l’achat français » devient un acte fort (lire aussi : L’achat de Ford Ranger par l’armée Française) qu’une Toyota Yaris est plus française qu’une Renault Twingo !