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Lancia Rally 037 : mon dernier rêve sera pour vous

Par Nicolas Fourny - 08/01/2021

Sur Instagram, il existe un compte intitulé « Save Lancia » dont le propos s’apparente depuis longtemps à une cause désespérée — mais il est vrai que le désespoir a aussi sa beauté. Beauté tragique, en l’occurrence, nimbée de la tristesse et de la colère qu’inspire le terrible gâchis qui a précipité la firme italienne au fond d’un gouffre d’où, très probablement, elle ne ressortira plus jamais. Les étapes de cette déliquescence sont bien connues et, à l’évidence, personne n’aurait pu concevoir une telle fin il y a quarante ans, lorsque la 037 fut dévoilée. C’était bien avant que la stratégie erratique de Fiat Auto ne prive l’entreprise de son héritage et ne pulvérise son ADN, en l’enfermant dans un rôle étroit et mortifère de fournisseur d’une petite-bourgeoisie frelatée, aussi éloigné que possible des circuits et des spéciales de rallye qui, pourtant, avaient forgé une bonne part de la réputation du constructeur turinois. On connaît malheureusement la suite et, aujourd’hui, revenir sur l’épopée de la dernière Lancia à moteur central peut susciter autant d’admiration que de mélancolie…

Une destinée improbable

De tout temps, Lancia a su opérer des choix singuliers et s’est souvent engagée dans des chemins alternatifs, n’hésitant pas à avancer à contre-courant des traditions et des modes ; on songe par exemple au tout premier moteur six-cylindres en V, pour ne retenir que l’une des nombreuses innovations de la marque que, malheureusement, la récurrence de ses difficultés financières finirent par jeter dans les bras de Fiat, dès 1969. Il convient de reconnaître que, durant les deux décennies qui suivirent, celle-ci administra sa filiale de façon opportune, comme en témoignait, au début des années 1980, l’étendue de son catalogue, qui allait de la Delta — la première compacte premium de l’histoire, bien avant l’Audi A3 ! — au somptueux coupé Gamma, en passant par une famille Beta absolument tentaculaire, dont l’un des rejetons nous intéresse plus particulièrement ici. En 1975 en effet, Lancia avait récupéré le projet Fiat X1/20, une berlinette à moteur central arrière censée remplacer le coupé 124. En dépit d’une architecture sans rapport avec les autres Beta — une berline, un coupé, un spider et un break de chasse entraînés par leurs roues avant —, l’auto vint donc renforcer encore la gamme, sous le nom de Beta Montecarlo. Le modèle, plus modestement motorisé que ne le laissaient penser son allure générale et ses proportions, connut une carrière chaotique, ce qui ne l’empêcha pas de remporter quelques succès en compétition, avant de servir de base à la 037 !

L’enfant d’Abarth et de Pininfarina

Les réflexions autour de celle qui devait prendre la succession de l’inoubliable Stratos débutèrent en 1980, tandis que la Montecarlo achevait son parcours commercial dans l’indifférence générale. C’est néanmoins sur cette base, atypique et restée d’ailleurs sans descendance parmi les Lancia de route, que les responsables du projet Tipo 151 ont commencé d’élaborer la voiture que le groupe italien entendait lancer à l’assaut du championnat du monde des rallyes. Avec le recul du temps, on peut bien sûr s’étonner de constater que les ingénieurs de la division Abarth, en charge des programmes liés à la compétition au sein du groupe Fiat, choisirent alors de conserver une transmission au seul essieu arrière au moment même où l’Audi quattro s’apprêtait à imposer le principe des quatre roues motrices en Groupe B. Les choses ne sont cependant pas si simples, comme devait le démontrer le titre constructeurs que la 037 remporta en 1983 ; les recherches menées sur l’équilibre global de la voiture ont joué un rôle primordial dans la trame de ses aptitudes.

De la Montecarlo, n’a subsisté que la cellule centrale, que les regards les plus exercés identifient sans peine, malgré des proportions substantiellement différentes. Le porte-à-faux avant, à peine moins impressionnant que celui d’une Citroën BX 4TC, frappe par sa démesure en comparaison du pan qui, de façon abrupte, vient abréger l’arrière de l’auto. En 1998, le regretté José Rosinski avait, dans les colonnes d’Auto Rétro, publié un reportage dans lequel il revenait sur la conception de la Rally : « … la 037 se caractérise aussi par une silhouette dépourvue de toute finesse aérodynamique, comme en témoigne son Cx record de… 0,55 ! Lancia a demandé à Pininfarina de tout sacrifier à l’appui (…) Certes, on est aussi loin du design fulgurant de la Stratos de Bertone que du style élégant qui caractérise habituellement les créations du maître-carrossier turinois. Mais ce sacrifice sur l’autel de l’aérodynamique de comportement — par opposition à la recherche de la plus grande vitesse — a sûrement contribué de manière importante à l’étonnante efficacité démontrée par cette voiture, notamment en matière de motricité. »

Maintenant, tout le temps

Sous le capot arrière de l’engin, on retrouve l’inusable quatre-cylindres Lampredi — sauf que, cette fois, il est positionné longitudinalement, et non plus transversalement comme dans la Montecarlo. Profondément revu par Abarth, il reçoit un compresseur volumétrique, selon l’éphémère marotte du groupe Fiat à l’époque (rappelons qu’entre 1982 et 1984, on a vu fleurir çà et là des versions « Volumex » du même moteur, sur les Trevi comme sur les Argenta), avec une puissance variant de 205 à 325 chevaux selon les versions, de la Stradale produite à un peu plus de 200 exemplaires aux ultimes « Évolution 2 » de course. Par rapport au temps de réponse des turbos contemporains, les avantages du compresseur sont bien connus : la puissance est disponible en permanence et ne contraint pas le pilote à tenir compte du turbo lag, pouvant constituer un handicap dans certaines circonstances.

Contre toute attente, le palmarès de la 037 n’a que peu souffert de l’irruption des Audi et Peugeot à transmission intégrale — technique à l’utilisation de laquelle Lancia finira par se résoudre avec la Delta S4, machine qui devait hélas entraîner dans la mort Henri Toivonen, son copilote Sergio Cresto et l’ensemble du Groupe B avec eux. Sous les couleurs du Team Martini, la voiture a couru de 1982 à 1986, aux mains de pilotes aussi talentueux que Jean-Claude Andruet, Attilio Bettega, Markku Alén ou Walter Röhrl ; ce dernier remporta trois victoires décisives au cours du championnat WRC en 1983, bien aidé, il est vrai, par le manque récurrent de fiabilité du coupé bavarois…

Et si c’est trop cher, il vous reste la Lybra

Lancia fait partie de ces marques à la destinée polymorphe et qui, au cours de leur histoire, ont exploré à peu près tous les segments de marché imaginables et, dans certains cas, cela a dilué son prestige —à cet égard, il n’est pas sûr que la série des Y10 ou que les lugubres Prisma Diesel aient œuvré positivement… Toujours est-il que, lorsque l’on examine la cote des très nombreux modèles créés depuis 1906, on constate qu’il n’est pas indispensable de devenir millionnaire pour s’en offrir un sauf, bien entendu, si vous jetez votre dévolu sur les plus désirables d’entre eux ; et la 037 en fait indéniablement partie. Lors d’une vente organisée par RM Sotheby’s en juin 2020, le châssis n°14 a trouvé preneur pour 451 000 euros tandis qu’un autre exemplaire est actuellement proposé par un professionnel italien pour 100 000 euros de plus. Au vrai, de telles valeurs n’ont pas de quoi surprendre, la plupart des automobiles corrélées au mythique Groupe B tutoyant elles aussi des sommets inaccessibles à la plupart d’entre nous mais, dans le cas de la Rally, la longue agonie de son constructeur joue sans doute aussi un rôle dans des cotes que d’aucuns jugeront extravagantes, alors que le marché ne fait que sanctionner la richesse d’un patrimoine qu’il est grand temps de préserver !

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