Jaguar X-Type : échec et mat
Commençons tout de suite par mettre les choses au clair : j’aime assez la Jaguar X-Type, et je me suis toujours demandé pourquoi elle avait subi un tel désamour. Lignes agréables, performances correctes, conception moderne, qualité de fabrication relativement bonne (quoi qu’un peu en dessous des autres Jag’), disponible en 4 roues motrices et en break, une vraie baby Jag’ en somme, qui aurait du séduire plus qu’elle ne l’a fait. Je me suis donc un peu penché sur son cas, pour voir ce qui avait bien pu clocher dans la belle mécanique orchestrée par Ford pour développer sa filiale premium, aboutissant à sa revente finale à l’indien Tata.
Pour bien comprendre l’aventure X400 (c’est le petit nom de code interne de la X-Type), il faut remonter aux années 90. En ces années là, Ford est décidé à passer la seconde avec sa filiale britannique. Après avoir remis au goût du jour la grande berline XJ (les fameuses X300, lire aussi: Jaguar X300/X308), Jaguar s’attaque à élargir son marché en descendant en gamme. C’est en 1998 que sera présentée la S-Type qui vient se positionner sous la XJ, prête à en découdre avec les BMW Série 5, les Mercedes Classe E ou les Audi A6. A cette époque, le design « rétro » commence à titiller tous les constructeurs, et Volkswagen vient de sortir sa New Beetle, ré-interprétation de sa vieille Cox. Chez Jag, on veut surfer sur cette tendance et rappeler en clin d’oeil la fameuse MkII.
Etrangement, si le public adore la ligne néo-rétro de la S-Type, ce n’est pas vraiment le cas de la presse spécialisée. Aussi, quand il s’agit de descendre encore un peu plus en gamme et proposer une alternative aux BMW Série 3 et autres allemandes premium, Jaguar va s’y prendre autrement, en proposant un design sage, classique, sobre et tellement Jaguar en même temps, pour sa future X400. Les objectifs de Jaguar sont clairs : si la S-Type devait faire passer la production de 50 à 100 000 exemplaires, la X-Type elle doit faire passer la marque de 100 à 200 000 ex afin d’atteindre une taille critique suffisante pour survivre dans le monde impitoyable du premium (selon Ford).
Jusqu’à présent, toutes les Jaguar usaient de vieilles plate-formes. Même la X300, d’allure pourtant moderne, et la X200 (la fameuse S-Type) tout récente, dérivaient de la vieille lady XJ40 (lire aussi : Jaguar XJ40). Avec la X400, Jaguar doit rentrer dans le monde moderne, et disposer d’une base moderne et déclinable. Ce qui s’avèrera une bonne idée sera par la suite reproché à la X-Type : c’est sur la plate-forme (pourtant largement modifiée) de la nouvelle Ford Mondeo que sera bâtie la petite Jaguar. Crime de lèse majesté ! Comment une noble Jaguar pouvait-elle partager tant de composants avec une roturière Mondeo, si moderne soit-elle ? Les puristes regarderont alors la X-Type avec dédain, et contribueront à la dévaloriser, en la présentant comme une « sous-Jaguar ». Etonnant comme avec le temps, les choses s’estompent, puisque cette plate-forme largement remaniée sert encore sous la robe de la XF largement plébiscitée.
Pour différencier la X400 de sa cousine Mondeo, Jaguar n’y était pourtant pas allé de main morte. La Mondeo est une traction (ce qui en haut de gamme peut être préjudiciable) ? Qu’à cela ne tienne, on fera de la X-Type une AWD (All Wheel Drive, ou pour les réfractaires, une transmission intégrale). La Mondeo est roturière ? On rendra noble la Jaguar en ne proposant que des V6 (pas moins de 3 V6 différents seront proposés, d’abord en 3 litres de 231 ch, puis avec des versions plus petites et « soi-disant » plus économes de 2,5 litres et 194 ch , ou de 2,1 litres et 157 ch, mais uniquement en traction avant). Lors de son lancement en 2001, l’objectif de Ford (séduire la presse spécialisée) est atteint : c’est un concert de louanges ! Mais la comparaison avec la Mondeo est déjà fatale : le péché originel de cette baby Jag’. Dès lors, les dés étaient pipés. Pourtant, Jérémy Clarkson y était allé lui aussi de son plaidoyer pour la X-Type. Rien n’y fait. Les objectifs de 100 000 exemplaires risquaient de ne jamais être atteint (et ce fut le cas) : en 2001, seuls 55 600 exemplaires trouvent preneurs, à peine mieux que la S-Type pourtant plus chère.
Conscient que pour conquérir le marché européen, ne proposer que des V6 est un handicap, Jaguar réfléchit à un 4 cylindres essence, puis change son fusil d’épaule en offrant à ses clients (n’oublions pas que cette gamme de voitures réalise une large part de ses ventes auprès des flottes d’entreprises) des versions diesel. Dès le millésime 2003, on retrouve des moteurs issus de l’alliance Ford/PSA sous le capot de la X-Type : des 2 litres ou 2,2 litres turbo diesel, allant de 130 à 155 ch, mais sur des modèles uniquement disponible en traction avant. Malgré cela, les ventes tournent aux alentours des 60 000 exemplaires par an. Décidément, rien n’y fait. Alors en 2004, on joue le tout pour le tout chez Jaguar, et on sort le premier break jamais construit par le constructeur britannique. La Jaguar X-Type Estate est superbe (en partie dessinée par Ian Callum), mais contribue (à tort) à l’assimiler à une Mondeo de luxe. Et la descente aux enfers continue. En 2006, la X-Type passe sous la barre des 30 000 exemplaires. Dès lors, le destin de la X400 était scellé, malgré un léger relifting en 2008.
De toute façon, Ford a depuis longtemps compris que ses énormes investissements pour renouveler la gamme Jaguar, et pour élargir la clientèle vers le bas, le sont en pure perte. Et la crise de 2008 laisse présager le pire pour le groupe américain qui n’a plus tellement d’autres options que de passer par pertes et profits ses ambitions premium et de revendre le mieux possible ses joyaux britanniques que sont Jaguar et Land Rover. Dès lors, les investissements se feront rares, et priveront la gamme X400 d’une version R pourtant bien avancée et prête au lancement. C’est Tata qui emportera la mise et profitera habilement des investissements conséquents de Ford. Le nouveau propriétaire indien tire rapidement les conséquences de l’échec de la X400, qui en 8 ans a pris un retard considérable face à ses concurrentes sans arrêt renouvelées. L’année 2009 sera la dernière pour la X-Type, avec 8050 exemplaires vendus. Au total, la X400 aura trouvé 362 775 clients, ce qui en fait cependant la Jaguar la plus vendue de l’ère moderne (cela n’aura pas suffit vus les investissements consentis et les objectifs).
Ironie du sort, c’est en ce mois de mai 2015 que la nouvelle XE, qui la remplace dans la gamme après 6 ans d’absence, est présentée à la presse après une présentation ahurissante en septembre 2014 (lire aussi : le lancement de la Jaguar XE). Voilà comment une voiture bien née, faite pour la conquête de nouveaux marchés et clients, a pâti d’une image de marque en partie fausse à son lancement, et ne s’en est jamais remise. Ajoutez à cela un design trop consensuel, et une offre pas toujours adaptée à ses marchés, et vous obtenez un échec cuisant. Cependant, pour l’investisseur averti, celui qui désire rouler dans une voiture confortable, fiable, puissante (surtout avec le V6 3 litres), sécurisante (surtout en 4 roues motrices), et luxueuse, la X-Type offre des opportunités étonnantes. N’hésitez pas à y jeter un œil dans les petites annonces, oubliez vos préjugés, testez là, et vous achèterez peut-être une excellente alternative à un prix défiant toute concurrence : les échecs commerciaux font parfois des heureux sur le marché de la seconde main !