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IBAP Democrata : Tucker brésilien

Par PAUL CLÉMENT-COLLIN - 08/07/2018

Le Brésil fait partie de ces nations dont le marché a toujours été suffisamment important (et protégé) pour justifier une industrie automobile sur son sol, sans pour autant arriver à développer une vraie industrie nationale. Willys, DKW, Volkswagen, Alfa Romeo, Fiat, Chrysler, Chevrolet, Ford ont forgé les habitudes automobiles brésilienne, sans qu’aucun constructeur local n’arrive à émerger, sauf à la marge (et encore), au point qu’une marque comme VW et son emblématique Fusca finit par être considérée comme « brésilienne ». Pourtant, dans les années 60, une homme d’affaire tenta de changer les choses en lançant l’IBAP Democrata. Voici son histoire !

Revenons au début des années 60. Nelson Fernandes était un homme d’affaire à qui tout semblait réussir: il avait créé à Sao Paulo, grâce à des levées de fonds auprès de riches brésiliens, un country Club, le Club Acre, ainsi que l’hopital Presidente. Mais l’ambition du business-man ne s’arrête pas là. L’un de ses meilleurs amis, Luis Carlos Fagundes, travaillait alors chez Willys, et s’occupait notamment de l’Interlagos (une Alpine A108 produite au Brésil). Ensemble, en cette année 1962, ils vont rêver d’un constructeur purement brésilien, capable de proposer au marché une petite populaire (300 à 500 cm3), un utilitaire, et une berline luxueuse (à moteur V6). Avec ces trois modèles, et dans un premier temps, leur « songe d’une nuit d’été » aurait couvert l’ensemble des besoins automobiles brésiliens.

Persuadés de tenir une bonne idée, les deux compères vont alors s’embarquer dans une aventures plus ardue qu’il n’y paraissait autour d’un verre. Pourtant, auréolé de ses premiers succès dans les affaires, Nelson Fernandes va se lancer corps et âmes dans un projet sans imaginer une seule seconde qu’autant d’obstacles se dresseraient sur sa route. Dans sa tête, il s’agissait d’un projet nationaliste, que chacun suivrait aveuglément par patriotisme, et parce qu’il contribuait au développement du Brésil. Ainsi fut créée l’IBAP en octobre 1963 (Industria Brasileira de Automoveis Presidente), la fleur au fusil.

Malgré les réticences de Fernando Beraldin, responsable de la division « Sport » de Willys au Brésil, Fernandes et Fagundes réussissaient à le convaincre de les rejoindre comme chef de fabrication, tandis qu’un concours de design était lancé en 1964 pour la future berline dénommée Democrata. Dans le même temps, une première levée de fonds était effectuée pour acheter un terrain, ériger un atelier (qui ne représentait alors que 2 % de la future usine), et s’attaquer aux premières ébauches de la future star brésilienne.

Vous noterez les hasards du calendrier, car cette même année, le Brésil fut secoué par un coup d’état et l’installation d’une dictature militaire. Or, la marque « Presidente » faisait référence aux présidents précédents Kubitschek puis Goulart, tandis que le nom de la voiture, « Democrata », ne laissait pas planer l’ombre d’un doute sur les orientations politiques de Fernandes. Vrai ou pas, l’IBAP et Fernandes apparaissaient, aux yeux du nouveau pouvoir, comme des dissidents. En outre, les ambitions de l’ami Nelson ne laissaient aucun doute : il voulait prendre le leadership de l’automobile au Brésil, au nez et à la barbe de Volkswagen, en annonçant une production de 350 véhicules par jour lorsque la gamme serait complète, soit autant que son concurrent germano-brésilien. Un concurrent qui n’hésitait pas à fricoter avec le nouveau pouvoir sans vergogne (lire aussi : VW et la dictature brésilienne).

Les affaires se corsent assez rapidement. IBAP fait appel à l’épargne populaire (qui n’a de populaire que de nom) : il s’agit en fait d’une levée de fonds que les « futurs actionnaires » acceptent comme telle mais que les autorités voient d’un autre œil. Après environ 30 000 actions émises sur les 400 000 que doit compter le capital, le ministère des finances et son bras armé, une commission parlementaire adhoc (on prend l’affaire au sérieux au plus haut niveau), imaginent déjà le pire : IBAP n’aurait aucune intention de fabriquer une voiture. Et quand bien même, le prix de vente annoncé serait 3 fois inférieur au prix de revient de la voiture… Une affirmation appuyé par un employé de la FNM, une société affiliée à Alfa Romeo même si indépendante (à l’époque) et qui développe un projet comparable, la FNM Onça.

On va aussi chercher des noises à Fernandes à cause des tout premiers prototypes : certains affirmeront qu’il ne s’agissait que d’une Convair recarrossée… Ils n’avaient pas tout à fait tort, Fernandes avouant des années plus tard qu’il s’agissait effectivement, pour le premier proto roulant, d’un châssis de Convair encore doté de son moteur, le fameux 6 à plat. Les deux partagent d’ailleurs la même architecture : propulsion à moteur arrière. Pourtant, IBAP aura tenté de faire les choses bien, commissionnant une officine italienne, Procosautom (Proggetazione Construzione Auto Motori), pour réaliser un moteur V6 ouvert à 60°, de 2.5 litres de cylindrée et développant 120 chevaux environ. S’agissant d’une commande, IBAP avait le loisir de l’industrialiser sans payer de redevance… Un moteur italien, certes, mais fabriqué dès lors au Brésil, sans droit de douane ou autre.

Dès la fin 1964, IBAP et son patron, Fernandes, sont emmerdés au possible par l’administration brésilienne sous la coupe du nouveau pouvoir. Sans plainte des actionnaires, elle décrète que le projet de Fernandes reste de siphonner l’épargne, et annule l’émission d’actions indispensables au lancement du projet (un peu comme si on interdisait une levée de fond sur des fondements aléatoires). Commence alors, à partir de 1965, une campagne de dénigrement : la Democrata ne serait qu’une Convair camouflée, et Fernandes un doux dingue. Envers et contre tous, et malgré les sons de cloche négatifs de la presse en général et de la presse auto en particulier, Fernandes tient bon. 5 prototypes finiront par être construit, alors même que l’administration brésilienne saisira les premiers moteurs, provenant d’Italie, pour contrebande.

S’ensuivra une litanie de reproches juridiques : une société pas clairement montée, l’appel à l’épargne (la levée de fond), la contrefaçon (Corvair) la contrebande (on l’a vu plus haut), le manque de sous-traitants effectifs (alors que les susdits se voyaient menacés s’ils bossaient avec IBAP). Le projet a entre temps évolué vers une beline 2 portes (un coach) 4 places, et les premiers proto sont présentés au public. La presse avait déjà crié au scandale : réalisés en fibre de verre, ces prototypes étaient la preuve de l’escroquerie. IBAP organisa alors une tournée dans tout le pays pour 1. prouver que la fibre de verre était résistante et cohérente avec du prototypage et de la petite série (donnant lieu à des scènes ubuesques où la population était invitée à taper sur des carrosserie en fibre afin de tester la résistance), et 2. assurer que la production réelle serait faite en acier !

L’affaire se corsait en 1968, 5 ans après le lancement du projet ! Devant l’hostilité du gouvernement, pour des raisons qu’on évoquera plus bas, IBAP décidait de jouer le tout pour le tout, en proposant de racheter FNM (qui commercialisait donc des Alfa sous licence) en grave difficulté, pour enfin produire la Diplomata aux côté des 2300 ! L’opération, bien qu’intéressante au plan capitalistique (offrant des moyens industriels à IBAP) comme au plan politique (créer un constructeur véritablement national), ne se fera pas : encore une fois, Fernandes comptait financer cette opération par une levée de fonds. L’occasion rêvée pour le gouvernement d’envoyer bouler cet empêcheur de tourner en rond : FNM sera finalement bradée à Alfa Romeo (trop content de racheter à si bon compte son licencié) et constituera le socle de l’installation de Fiat au Brésil dans les années 70.

Cette année 68 sera donc l’ultime baroud de Fernandes… Bien que « présumé coupable » de détournement de fonds, de contrebande, et même d’atteinte à la sûreté nationale, rien n’était encore jugé… Mais l’impossibilité d’agrandir sa petite usine, l’acharnement judiciaire, médiatique et politique contre lui, lui fit baisser les bras. Il faudra attendre 1984 pour que notre Nelson Fernandes soit blanchi des accusations qui pesaient contre lui… Il était passé à autre chose depuis longtemps. Entre temps, 500 moteurs avaient été passé au pilon, ou revendus au prix de la ferraille, tandis que le toit de « l’atelier » s’était effondré sur le peu d’outillage restant !

Qui en voulait à Fernandes ? Que son projet soit mal ficelé, on peut éventuellement en convenir, mais un tel acharnement laisse songeur… Il y a tout d’abord le concept en lui-même : l’IBAP Diplomata était un projet d’avant dictature, affirmant pas son propre nom (Presidente, Democrata) un attachement à la démocratie incompatible avec la dictature s’instaurant en 1964. Cette fameuse dictature s’appuya aussi sur les industries en présence au Brésil, majoritairement étrangères, qui préféraient obéir et engranger les bénéfices que se mettre mal avec le nouveau pouvoir (Ford, Volkswagen). Et par ricochet, si ces dernières pouvaient éliminer un concurrent à moindre frais, pourquoi pas ?

L’IBAP Democrata n’aura donc jamais fait la révolution au Brésil et on estime qu’il ne reste que 2 à 3 proto/pré-série au pays… Autant dire peanuts. Trop d’arrogance ? Trop novatrice selon son concepteur (pourtant l’architecture de la voiture, avec son V6 arrière ne laisse aucun doute sur son côté justement conservateur) ? Un engagement politique trop fort anti-dictature accompagné de pressions américaines et de pressions des constructeurs présents au Brésil, à l’époque surtout Willys et Volkswagen ? Un peu de tout cela sans doute. Voilà en tout cas une voiture extrêmement rare, à collectionner si l’occasion se présentait, et qui, avec Gurgel mais aussi Puma, Brasinca ou Santa Matilde l’ambition d’une automobile brésilienne « indépendante » !


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