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Dauer 962 Le Mans : entourloupe à l’allemande !

Par PAUL CLÉMENT-COLLIN - 09/09/2022

En 1993, j’étais loin de me douter que la présentation de la fantastique et fabuleuse Dauer 962 au salon de Francfort était le résultat d’un imbroglio sportif, d’une entourloupe bien ficelée permettant à Porsche de continuer à faire courir et gagner une machine bientôt agée de 10 ans en profitant des errements de l’ACO et de la FIA en matière de règlements ! La disparition accidentelle du pourtant célèbre et populaire Groupe C et la création de la catégorie GT1 au Mans allait permettre, contre toute attente, à quelques chanceux fortunés de se payer une véritable voiture de course homologuée sur route !

962 Le Mans rouge avec le compartiment moteur ouvert 962 Le Mans rouge de face

Pour comprendre comment la Porsche 962 destinée à la compétition s’est retrouvée vendue pour un usage routier sous la marque Dauer, il faut repartir un peu dans le passé. En 1982, la FIA créé le fameux groupe C en remplacement des Groupe 5 (prototypes fermés) et Groupe 6 (prototypes ouverts). Dans cette nouvelle catégorie, le règlement ne prévoyait pas de production minimum, et autorisait la création ex-nihilo de voitures de courses de plus en plus puissantes, légères et performantes. Le Groupe C allait donner aux courses d’endurance et aux 24 heures du Mans une popularité telle que de nombreux « gros constructeurs » (Porsche d’abord, puis Lancia, Jaguar, Mercedes, Nissan, Toyota, Mazda ou Peugeot) se joignirent à la compétition. A l’époque, les 24 heures du Mans sont aussi suivis que la Formule 1, ce qui en dit long sur le succès de la formule !

962 Le Mans jaune de profil 962 Le Mans jaune de profil en bord de mer

Au début des années 90, je m’étais mis à suivre le championnat : jeune et encore chauvin, je supportais à fond les Peugeot 905 qui vinrent parachever une domination de dix ans sur le sport automobile (Rallye, Rallye-Raid puis Endurance). Après une saison 1991 de rodage, les 905 gagnèrent enfin le championnat en 1992 et les 24 heures du Mans une dernière fois en 1993. Entre temps, la FIA avait, dans un grand élan réformateur qui lui prit comme une envie de pisser, pris la décision de modifier le règlement des Groupe C à partir de la saison 1992-1993. Résultat des courses : l’envolée des coûts provoquée par ces changements fait fuir la majeure partie des gros (l’endurance devenant aussi chère que la F1), et jeter l’éponge pour la plupart des petits ! Ou comment tuer une catégorie pourtant au firmament. Il faudra annuler le championnat 1993 en cours de route, faute de participants en nombre suffisan. Dès cette année, l’ACO décide de créer un nouveau groupe, le GT1, offrant la possibilité de courir avec la construction d’un minimum d’un exemplaire, et à même de relancer l’intérêt de la course !

962 Le Mans jaune avec les portes papillons ouvertes 962 Le Mans jaune roulant sur route

Du côté des Porsche 962, voilà longtemps qu’elles ne sont plus en haut de l’affiche, avec presque 10 ans d’âge. Bien sûr, leur palmarès est impressionnant, mais en 1991, la première 962 au Mans arrive en 7ème position, et en 1992 pareil. La modification du règlement va donner une idée de génie à Jochen Dauer : en produisant une version « de route » et en modifiant légèrement la voiture pour répondre aux quelques exigences de la FIA, on pourrait faire courir les 962 au Mans en catégorie GT1, et faire gagner à moindre frais un véhicule en fin de carrière ?

962 Le Mans noire de face

L’idée a du faire sourire ces filous de chez Porsche, qui ont bien vu l’intérêt d’une telle manœuvre : avec une vieille voiture, amortie depuis longtemps, rajouter une telle ligne (Le Mans) au palmarès, serait une superbe opération : après les centaines de millions de francs dépensés par Peugeot, Toyota et consorts pour gagner au Mans, s’emparer du titre pour pas cher s’avère une excellente opération et un joli pied de nez à la FIA, prise à son propre jeu !

962 Le Mans noire avec les portes et le compartiment moteur ouvert

C’est donc en 1993 qu’est présentée la première Dauer 962 à Francfort. Equipée d’un flat 6 (refroidi par eau!) de 3 litres et 730 chevaux, elle se propose aux acheteurs potentiels pour la modique somme de 10 millions de francs. Avec ce premier exemplaire produit, Dauer se retrouve dans les clous pour le règlement GT1, et commence la production de 2 exemplaires de course ! Les grands constructeurs ayant abandonné l’affaire malgré la création d’une nouvelle catégorie « prototype » appelée LMP1, les Dauer 962 se retrouvent sans concurrence dans sa catégorie, et seule la Toyota 94C-V (en LMP1) arrivera à se glisser entre les deux allemandes qui terminent 1ère et 3ème au Mans 1994 !

962 Le Mans jaune de face en pleine campagne avec les phares allumés 962 Le Mans de dos roulant sur route

L’affaire aurait pu en rester là, Dauer ayant construit son exemplaire nécessaire à l’homologation. Mais le succès au Mans et le délire total d’une Groupe C homologuée sur route va attirer les fous furieux les plus fortunés de la planète aux portes de l’officine Dauer. Malgré le tarif délirant lui aussi (10 millions à l’époque, c’était une somme), Dauer va produire 12 exemplaires supplémentaires de la 962 entre 1994 et 1997. La voiture est presque inconduisible sur route ouverte en réalité, et il s’agit bel et bien d’un caprice de milliardaire, mais peu importe : on trouve toujours un prince saoudien, un sultan à Brunei, ou de riches héritiers capables de casser leur tirelire et craquer leur slip pour le simple plaisir d’épater la galerie avec une voiture auréolée d’une victoire au Mans.

Intérieur rouge cuir de la 962 Le Mans Intérieur cuir jaune de la 962 Le Mans

Dauer, qui flaire toujours les bons coups, construira par la suite les dernières EB110 en cours de fabrication lors de la faillite de Bugatti (lire aussi : Dauer EB110 S). Quel filou malin ce Jochen ! Résultat, vous qui disposez bien entendu d’un compte en banque bien garni, vous avez le choix entre deux Dauer de route : la 962 et l’EB110S (603 à 705 ch selon les versions), toutes les deux rares (13 ex pour la première, 9 pour la deuxième). A moins que vous ne choisissiez de vous offrir les deux, quand on aime on ne compte pas.

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