CLASSICS
CITROËN
ITALIENNE

Citroën Kar-A-Sutra : monospace érotique

Par PAUL CLÉMENT-COLLIN - 05/01/2018

Et si le monospace n’avait pas été inventé par Renault, Chrysler ou d’autres (lire aussi : les origines de la Renault Espace ?), mais par Citroën, ou du moins par Mario Bellini, designer italien qui réalisa dès 1972 une sorte de voiture à vivre (hum), à rouler, à dormir, à « baiser » aussi, avec le soutien de l’industriel aux chevrons mais aussi celui de Pirelli : la Citroën Kar-a-sutra ?

Bon ok, la Kar-a-Sutra n’est pas vraiment belle, c’est mieux, elle est faite pour toi. Elle est aussi bien dans son époque du début des années 70, complètement perchée mais en phase avec le côté hippie certes, mais aussi le côté industriel (classe laborieuse?) rappelant le Type H (les stries, bien que carrées, rappellent la tôle ondulée malgré tout, lire aussi : Citroën Type H). En bref, la Kar-a-Sutra n’est pas vraiment une voiture, mais un thermomètre de l’époque, sans savoir qu’elle anticipait sur l’avenir, la Renault Espace et toute la tripotée de monospaces qui apparaîtront dans les années 80 et 90 (comme le Chrysler Voyager ou le Pontiac Trans Sport).

Le rapport entre le cul et la bagnole a souvent été fait. Dans les années 70, la voiture, instrument de liberté, à tous les niveaux, était un lieu de rencontre, un instrument de plaisir, et un bien de consommation (à tous les sens du terme) dans une période consumériste et de libération des mœurs. Résultat, d’autres se penchèrent sur la question du lupanar roulant (lire aussi : Renault 5 LeCar Van by Heuliez).

Pour ce projet de 1972, Mario Bellini, designer et architecte, voulait présenter au MoMa de New York, pour l’exposition « Italy, the New Domestic Landscape – Achievements and problems of Italian Design », un projet original d’une voiture bien dans l’air du temps, mais sortant des canons classiques des salons automobiles. Allez savoir comment il réussit à convaincre deux entreprises familiales et austères (les Michelin et les Pirelli) de financer ce drôle de concept ouvertement érotique (dans son usage, pas dans ses formes), mais Citroën comme Pirelli filèrent du pognon, avant que la crise ne pointe son nez l’année suivante. Bellini avait eu le nez creux ! Un autre industriel, le fabricant de meubles Cassina se joindra au projet.

Malgré son look carré, bizarre, et somme toute assez perturbant dans sa simplicité, la Kar-a-sutra utilise le châssis d’une Citroën SM (lire aussi : Citroën SM), symbole de la coopération franco-italienne de ces années là (et rappelez-vous que Fiat est alors l’un des gros actionnaires de Citroën, autant dire que la marque au Chevron a des intérêts ultra-alpins, lire aussi : Fiat actionnaire de Citroën). Malgré cette base, difficile d’imaginer qu’un monospace puisse dériver d’une SM. Pourtant.

La logique est avant tout architecturale, artistique et fonctionnelle, dans la lignée des idées de Le Corbusier par exemple. Cependant, il faut bien admettre que Bellini anticipe des principes qui seront appliqués dix ans plus tard chez Renault et Matra : plancher plat, modularité, simplicité des traits. Si le Kar-a-Sutra avait surtout fait du bruit dans les milieux artistiques, force est de constater que l’art apporte des solutions innovantes, parfois avec beaucoup d’avance, y compris dans les milieux industriels.

Inspiratrice, novatrice, la Kar-a-sutra n’était pourtant pas une voiture désirable, mais plutôt un truc d’initiés. Peu de gens s’en souviennent, trop pointue, et pas évocatrice techniquement (la performance artistique que les photos trahissent ne pouvait pas séduire l’amateur de bagnole), mais elle a sûrement influencé pas mal de designers et ingénieurs qui finirent par accoucher du monospace dans toutes ses composantes (architecture, organisation, style) : une sorte d’ébauche érotique soi-disant artistique qui finira pas se retrouver presque telle quelle dans l’industrie automobile. Chapeau Bellini !

Car tout commence, comme un artiste, par des croquis quasiment dessinés sur le coin d’une nappe en papier d’une brasserie parisienne, ou d’un Café italien plutôt. Des traits simples, d’enfants, comme on en a tant gribouillé. Il y a des réminiscence de Fiat 600 Multipla (une voiture italienne, rappelons-le), mais surtout une volonté de mettre l’utilisation (dormir, rouler, baiser, partager) avant la fonction (aller d’un point A à un point B). Le plaisir n’est plus mis au même niveau : la conduite en tant que telle devient accessoire, c’est pour tout le reste que la Kar-a-Sutra est faite. Adieu concours de quéquettes sur la puissance du moteur, voici venu le temps de la voiture lupanar !

Au moins, cette Kar-a-sutra n’oubliait-elle pas l’essentiel… L’amour, le partage et le plaisir, ce que bien des SUV oublient aujourd’hui… reflet de cette époque et de notre époque !

Images: Bellini.it

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