Citroën Ami8 : un sparadrap dans la gamme
Ne nous y trompons pas, l’Ami8 est un modèle de circonstance plus qu’un plan prévu de longue date. Tout découle de l’Ami6 qui vient combler en 1961 le vide chez Citroën entre la populaire 2CV et la grande DS. Cela ne suffit pourtant pas, et la marque aux chevrons conserve une gamme très déséquilibrée par rapport à la concurrence, alors que le marché se segmente de plus en plus. La marque aurait pu habilement combler les manques avec Panhard, rachetée totalement en 1965. Pourtant, Pierre Bercot, le patron d’alors, préfère tuer la marque du quai d’Ivry que de combler les trous avec des modèles qui ne viendraient pas de Javel. Face à la baisse des ventes de l’Ami6 (surtout dans sa version berline) et en attendant la GS un peu plus haut dans la gamme, Citroën va donc bricoler une “nouvelle” voiture : l’Ami 8.
Stylistiquement, l’Ami6 dessinée par Flavio Bertoni est particulièrement originale, avec sa vitre arrière inversée, mais l’effet de surprise passé, les ventes s’essoufflent. Pire, le dessin vieillit prématurément et dénote au milieu des 2CV et DS au style “fastback” ou du moins “deux volumes”. D’ailleurs, les constructeurs du monde entier ne s’y sont pas trompés, et seul Ford avec l’Anglia (popularisée depuis par Harry Potter) aura adopté la même configuration. Sur le marché français, les carrosseries “deux volumes” ont le vent en poupe, surtout chez Renault avec les Renault 3 et 4, la Renault 16 et la Renault 6 (à partir de 1968). Si Peugeot reste très conservateur avec ses voitures à coffre, Simca en revanche s’y met à partir de 1967 avec la 1100.
Une nouvelle berline mais très peu de moyens
Alors que d’énormes moyens sont engagés par Citroën dans les projets de moteurs à piston rotatif (M35 et future GS Birotor) mais aussi dans le projet G (future GS) et le projet L (future CX) préfigurant la montée en gamme de la marque, il ne reste pas grand chose pour redresser la barre entre la Dyane (qui doit à terme remplacer la 2CV qui pourtant, ironie du sort, lui survivra) et la DS tout juste restylée. Heureusement le break Ami6 se vend plutôt bien, preuve qu’une ligne plus sage pourrait être la solution idéale, un bon sparadrap.
C’est Robert Opron qui va superviser la nouvelle Ami qui prendra le chiffre 8 comme pour mieux faire croire à une montée en gamme. Sans aller jusqu’au hayon comme chez Renault, Opron va opter pour une solution simple et efficace : une pente douce du toit jusqu’au cul. N’allons pas jusqu’à dire que l’Ami8 ressemble à une sportive, mais cette configuration lui donne une allure plus moderne et surtout moins baroque que l’Ami6.
L’Ami8 existe aussi en break (en haut) et break Service (en bas)Ami6 restylée
Malgré un volume plus important, l’Ami8, tout comme l’Ami6, n’est tout bonnement qu’une grosse 2CV. Avec son bicylindre M28 de 602 cc et 35 chevaux (SAE) seulement, difficile de réaliser des pointes de vitesse mais il reste une clientèle fidèle pour ce genre de véhicule placide. Les ventes reprennent, d’autant qu’une version break (très proche de l’Ami6) complète l’offre à son lancement en mars 1969.
L’Ami Super est équipée du 4 cylindres Boxer de la GSAinsi commence la carrière de l’Ami8, comme une transition en douceur, un restylage de circonstance. Chez Citroën, on pense que les jours seront meilleurs prochainement, malgré l’échec de la fusion avec Fiat. Cependant, on sait aussi que l’Ami8 est à la peine face aux Renault 6, Simca 1100, Peugeot 204 et 304. La GS est désormais sur les routes (depuis 1970) et il serait temps de muscler un peu l’Ami 8. C’est ainsi qu’est lancée l’Ami Super en 1973, dotée du 4 cylindres Boxer de la GS, un 1 015 cc de 55 chevaux. De quoi offrir un bond en performances, certes, mais aussi en consommation. La crise pétrolière de 1973 suite à la guerre du Kippour rendra l’offre beaucoup moins rentable que prévu. L’Ami Super ne restera au catalogue que jusqu’en 1976. L’Ami 8, elle, fera de la résistance jusqu’en 1978.
De l’Ami8 à la Visa
Entre temps, Citroën est passée sous la coupe de Peugeot. Grâce aux premiers “partages de plateformes”, l’offre s’élargit : La 2CV est épaulée par la LN, la GS prend son rythme de croisière, la CX aussi, la marque gagne à nouveau de l’argent (son redressement est spectaculaire sous la houlette des Peugeot) et on songe enfin à donner une descendance à l’Ami8. Ce sera la Visa, sur une base de Peugeot 104. En 1978, la dernière Ami8 tombera des chaînes après 755 925 exemplaires : moins que l’Ami6, mais un score honorable pour une rustine.
Aujourd’hui, les 2CV voient leur cote s’envoler, tandis que les Dyane montent aussi. L’Ami6 si baroque conserve un noyau de fidèle et coûte elle aussi relativement cher, grâce sans doute au dessin de Bertoni. L’Ami8, elle, végète alors qu’elle arbore toutes les “qualités” et les “défauts” de la 2CV : bicylindre (sauf l’Ami Super, on l’a dit), haute sur patte, louvoyant sur les routes, passant partout, distillant ce charme inimitable des Citroën d’entrée de gamme, le tout pour un tarif trois fois moindre qu’une Ami6. Le plaisir n’est pas qu’une question de look.