Avions Voisin C25 Aérodyne: un parfum d'Art déco
Salon de Paris, octobre 1934. La foule se presse vers le stand Citroën pour admirer la nouvelle (at)Traction qui marquera durablement l’automobile française. Avec les 7,11 ou 15, Citroën, dans sa logique industrielle et commerciale, est aux antipodes d’un autre constructeur français qui lui aussi, créé la sensation sur le salon en présentant sa C25 Aérodyne : Gabriel Voisin !
Deux constructeurs sérieusement touchés par la crise de 1929, mais dont les réponses pour sortir de l’ornière étaient radicalement différentes. Du côté de Javel, on croit en l’automobile de masse, produite à la chaîne, répondant à chaque créneau de marché par une version adéquate : celle qu’on appelle « Traction Avant » se décline en de multiples versions, de la 7 à la 15, légère ou familiale… Du côté d’Issy les Moulineaux, à quelques encablures, la stratégie est radicalement différente. Les automobiles « Avions Voisin » n’ont jamais été des voitures de grande série, la société ne dépassant jamais, même au moment de sa splendeur dans les années 20, les 1000 exemplaires par an. Avec la C25 Aerodyne, on rentre dans la haute couture, avec sa ligne surprenante, sa taille qui semble démesurée aujourd’hui, et ses délicats détails, comme ce toit ouvrant coulissant actionné par un moteur situé dans le coffre.
Si la C25 surprend aujourd’hui par sa ligne, c’était déjà le cas à l’époque. Le prototype Aérodyne présenté en octobre 1934, fut dessiné par Noël Noël (cela ne s’invente pas) et s’inspire des « maîtres » de Gabriel Voisin : Le Corbusier ou Mallet-Stevens. D’ailleurs, la villa Savoye construite à Poissy par Le Corbusier pour la famille fondatrice des assurances Gras-Savoye, est bien souvent illustrée avec des automobiles Avions Voisin, dont les styles se marient parfaitement. Toute une époque !
Mais revenons en arrière pour mieux comprendre Gabriel Voisin et cette C25 Aérodyne. Tout commence au début du siècle. Gabriel, qui a fait les Beaux-Arts à Lyon, est un des pionniers de l’aviation naissante. Mu par la passion, il va réaliser dès 1905 un vol de 600 mètres au dessus de la Seine. En 1907, il créé avec son frère Charles l’entreprise « Voisin Frères » pour développer cette nouvelle industrie. Malgré la mort de ce dernier en 1912 dans un accident de voiture, Gabriel va continuer l’oeuvre, vendant des aéroplanes à des riches amateurs de sensations fortes. Désormais nommée « Avions Voisin », la petite entreprise va prendre un essor inédit par la force des choses : la guerre de 1914 va accélérer notablement le développement de l’aviation, et donc des Avions Voisin.
Cependant, contrairement à d’autres industriels, Gabriel Voisin est un pur, et un patriote. Malgré la fabrication de près de 10 000 engins pendant le conflit, il ne va pas faire fortune, puisqu’il met un point d’honneur à ne se faire payer qu’à prix coûtant, refusant de s’enrichir sur le dos des soldats. Cette attitude lui vaudra la légion d’honneur, mais sûrement pas l’argent nécessaire à développer durablement son entreprise qui, même au mieux de sa forme, sera toujours limitée financièrement. Cela donne enfin une idée du personnage, droit, exigeant, voire intransigeant !
D’ailleurs, c’est au lendemain de la guerre que Gabriel réoriente l’entreprise vers l’automobile, tout en gardant le nom d’Avions Voisin. La première voiture, la C1, apparaît en 1919, début d’une longue lignée de voitures, de l’accessible C4 aux plus luxueuses C24 au début des années 30 ! D’ailleurs, c’est sur ce créneau du haut de gamme que Voisin va rapidement se concentrer : les tarifs exorbitants lui permettent de mettre en application ses choix techniques ou stylistiques.
L’aventure était belle, mais il faut toujours qu’il y ait un hic. Ce hic viendra en deux temps : tout d’abord l’incendie de ses ateliers contribueront à mettre à genou Voisin, qui, mal assuré, ne sera pas remboursé. Enfin, la crise de 1929 porte un coup rude à tous les industriels de l’auto, mais particulièrement à ceux qui, comme Voisin, se concentrent sur le luxe. Pour tenir, il va s’associer avec la marque belge Imperia, accord qui tournera vite court, et avec des financiers qui prennent le contrôle de l’entreprise, tout en laissant Voisin à sa tête.
Avec la C25, Voisin veut frapper un grand coup et reprendre son rang. Comme à son habitude, et ce depuis les années 20, Voisin ne livre pas de châssis à des carrossiers (à de rares exceptions) mais conçoit et dessine l’ensemble de la voiture. Il faut dire qu’il s’intéresse énormément, en ancien aviateur, aux questions d’aérodynamisme, sans pour autant rompre totalement avec la tradition, en témoigne cette calandre et ces phares encore présents sur l’Aérodyne malgré une carrosserie profilée.
La C25 Cimier reprend un arrière plus traditionnel !Avec l’Aérodyne, Voisin expérimente et propose des solutions novatrices pour l’époque : de la banquette arrière rabattable, une nouveauté pour l’époque, au toit ouvrant électrique d’un seul tenant, laissant le pare-bris « flottant » une fois ouvert, en passant par le réglage des amortisseurs au tableau de bord, ou la boîte de vitesse électrique (en fait mécanique à deux vitesses, puis deux vitesses électro-magnétique commandées par Over-drive) ! Seul souci ? Voisin n’a pas les moyens de développer un moteur spécifique pour sa C25 Aérodyne, et on va retrouver le 6 cylindres sans soupape de la C24 sous le capot, avec 90 ch pour 3 litres. La motorisation sera le point faible des Voisin des années 30, Gabriel ne s’intéressant pas tellement aux moteurs, mais plus à l’environnement (boîte de vitesse, aérondynamique etc). Sans moyen pour développer un nouveau moteur, il doit se contenter de l’existant : problème, ce « sans soupape » coûte cher à fabriquer. Cercle vicieux !
La C28 Aérosport, avec sa carrosserie « ponton » !Vous vous en doutez, la C25 Aérodyne sera un échec, et restera rarissime même à l’époque : outre le prototype de 1934, seuls 6 autres modèles seront fabriqués en 1935. Les châssis restant (28 châssis en tout avaient été produits) donneront naissance à une berline plus conventionnelle, la C25 Cimier, qui perdait son toit ouvrant et cet arrière « streamline » pour une malle classique (un peu plus d’une vingtaine d’exemplaires produits), qui évoluera en C28 Clairière. La C28 Aérosport quant à elle, inaugurera ce que l’on appelle les carrosseries « ponton », mais ne sera produite qu’à 14 exemplaires. Finalement la marque tentera de se relancer avec la C30, propulsée par un moteur américain, un Graham-Paige, dont le châssis, étudié par André Lefèvre, inspirera beaucoup celui de la DS. La guerre interrompit toute activité, tandis qu’au retrour de la paix, les Avions Voisins ne sont plus qu’un bureau d’étude qui proposera de nombreuses solutions de mobilité dont je vous reparlerais, jusqu’à la fin de l’entreprise en 1958.
La C28 Clairière !Reste aujourd’hui cette belles Avions Voisin, et notamment cette C25 Aérodyne qui semble non pas sortie d’un autre temps, mais plutôt d’un autre monde, parallèle, façon Gotham City ! Sa ligne étrange, ses solutions techniques, sa stature et sa majesté, tout en fait un véhicule d’exception. Voisin aurait pu devenir l’équivalent de Rolls Royce aujourd’hui, l’histoire en a voulu autrement. !
Grâce à mes lecteurs, un petit lien Youtube en plus, pour vous donner une idée de la majesté de la voiture: