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Alfa Romeo 4C : esbrouffe à l’italienne ?

Par PAUL CLÉMENT-COLLIN - 12/03/2020

En 2006, Alfa Romeo lançait la phénoménale 8C histoire de rappeler au monde entier le glorieux passé de la marque. En 2013, le trèfle la divisait par deux pour nous offrir la 4C, histoire de faire croire à une relance en fanfare. Comme beaucoup d’alfistes (du moins de coeur) j’ai cru au retour du Biscione que semblait confirmer le lancement de la Giulia deux ans plus tard. Malheureusement, la 4C ne sera qu’un faire-valoir de la politique clairement financière d’un Sergio Marchionne, certes charmeur et roublard, mais qui n’aura jamais su relancer le cuore sportivo de la marque !

De la 916 à la Brera, en passant par la 8C

Rappelons un peu les faits : Alfa Romeo s’était brillamment relancée à la fin des années 90 avec la GTV 916 pour l’image, et la 156 pour les volumes. La grande 166 faisait de la figuration, comme toutes les grandes berlines européennes face à des allemandes de plus en plus dominantes, mais offrait une alternative intéressante, tant techniquement que stylistiquement. La petite 147 assurait les volumes grâce à l’aura d’une 156 agréablement dessinée par Walter da Silva. Un sans faute ? Pas tout à fait car le 13 mars 2000, Fiat signait un accord avec le géant d’alors, General Motors qui entraînera la perte du trèfle. Ça, mais aussi d’autres choses.

Malgré une GT convaincante, la marque ne crut pas bon de venir titiller le marché des citadines avant 2008, avec la MiTo… Pire, la 166 sera laissée sans descendance la même année. La 159, héritière stylistique (et plutôt réussie) de la 156 récupérait des moteurs Holden insipides, du moins dans une Alfa : qui a connu un Busso ne peut pas dire le contraire ! Pour remplacer les légers et jolis roadsters et cabriolets GTV, on optait pour un style clivant (et les mêmes motorisations que la 159) avec la Brera. Quant à la 8C, elle ne pouvait que faire de l’image et sûrement pas du chiffre d’affaires.

La 147 n’en finissait pas de vieillir pour être remplacée par une Giulietta tout en rondeur, loin des canons de la marque (un peu comme la MiTo qui, elle aussi, durera, durera, durera). Malgré les bons résultats financiers, et les accords miraculeux avec Chrysler-Jeep pour valoriser un nouvel ensemble financier hors du commun, Alfa était déjà en perdition. En 2001, les ventes d’Alfa Romeo en Europe (son principal marché) représentent encore 205 000 véhicules : en 2009, date de l’accord Fiat/Chrysler, elles ne sont plus qu’à la moitié, avec 110 000 exemplaires écoulés. Pire, en 2013, année de lancement de la 4C qui nous intéresse, il n’y a plus que 64 000 clients en Europe : une hémorragie.

Revenir aux fondamentaux

Le début des années 2010 est un calvaire pour l’alfiste : la GT s’arrête, tout comme la Brera et son dérivé Spider, la 147 vieillissante laisse sa place à une Giulietta fort peu convaincante, la 159 n’en finit pas de durer sans moteur pour entretenir la flamme, la 8C tire peu à peu sa révérence : que reste-t-il de la marque en 2013 ? Des cendres, déjà, d’autant que la 159 quitte la scène sur la pointe des pieds sans être remplacée. Les trous dans la gamme sont béants : rien entre la MiTo et la Giulietta (un rôle tenu en son temps par la 145) et surtout rien au-dessus.

Autant dire que le lancement de la 4C, à défaut de faire du volume, annonçait un feu d’artifice, croyait-on ! En réalité, et malgré les promesses sans cesse renouvelées du management et de Marchionne lui-même, comme Anne, ma soeur Anne, on ne voyait rien venir. Et c’est là tout le génie du charmant Sergio : sortir une pure Alfa pour faire patienter à peu de frais ! Voilà comment la 4C vint sur le marché : pour faire patienter clients comme financiers (et si on y réfléchit, l’artifice avait déjà été utilisé avec la 8C, comme quoi ! D’ailleurs, d’autres l’avaient fait avant eux, comme Rover avec les Rover 75 V8 et ZT 260 V8, voire avec la MG XPower SV).

Une 4C comme cache-misère ?

La 4C est-elle donc un cache-misère pour autant ? Dans les faits, oui, car elle permettait de faire oublier les trous béants dans la gamme grâce à une actualité excitante : il suffisait de voir la mine ravie des amis journalistes de l’époque pour le comprendre. Séduire, encore séduire, mais sans aucune ambition de marché. Le choix d’un châssis en carbone permettait, par exemple, de justifier qu’il ne s’en produise pas plus de 1 000 par an, la faute à l’approvisionnement : à la même époque, Alpine commençait sa renaissance avec autrement plus d’ambition.

Le lien avec l’Alpine A110, alors en plein développement, se fait naturellement. Quand l’une, italienne, prenait la voie de l’artisanat, l’autre, française, faisait le choix d’une industrialisation plus poussée, alors même que l’image d’Alfa Romeo se révélait infiniment plus forte que celle d’Alpine. La raison ? Des moyens limités sans doute, obligés par les contraintes financières qui voient Fiat croquer Chrysler à 100 % quasiment dès 2014. Autant de ressources non affectées à des projets comme celui de la 4C.

Certes, mais est-ce que la 4C, pour autant, est une mauvaise voiture : non, trois fois non, c’est même une superbe réussite (avec sans doute très peu de moyens). Reprenant un cubage mythique (1 750 cc), offrant 240 chevaux pour un poids très contenu, avec un châssis en carbone ultra rigide, la voiture propose un haut niveau de performance (pour la gamme et le prix, bien qu’elle reste chère). Mais il s’agit d’une voiture d’élite, réservée à des conducteurs aguerris, mais fatigante pour les autres. Une belle Alfa, certes, mais loin des belles Giulia “boîte aux lettres” aussi joueuses que pratiques des années 60. Il s’agissait alors d’un roadster pur et dur, demandant une certaine concentration : aux antipodes du Coupé GTV 916, traction certes, mais plaisante aussi pour le néophyte.

Trop sportive, pas assez polyvalente ?

L’erreur fatale de la 4C est sans doute là : avoir voulu faire trop bien, trop contenter l’alfiste convaincu, prêt à concéder beaucoup de choses. Erreur fatale vous dites ? En fait non, car tout cela était à mon sens totalement prémédité. La 4C était dès le début, aux yeux de Marchionne, un cache-misère masquant les trous dans la gamme, le temps que la Giulia “NG” arrive en 2015. C’était aussi un outil de conquête des USA, en pensant (naïvement) qu’il y existait une clientèle capable d’apprécier de tels engins (oui mais en tous petits volumes). La 4C tire lentement sa révérence aujourd’hui (201 ventes en Europe en 2019 contre 1 179 en 2016, année “record”) et bien peu de gens l’ont croisée dans les rues : au même moment, Alpine remplit le carnet de commande de son A110 bien plus polyvalente (et qui ne réduit sa production que pour revenir à des volumes “normaux” après avoir sur-produit pour répondre à la demande).

Que reste-t-il de la 4C, comme d’autres parleraient de nos amours ? Une formidable voiture, pour qui aime conduire (et se faire mal) : un tapecul performant, radical, rare et donc désirable. Un must pour l’amateur du trèfle, un rêve pour le quidam, en réalité une voiture très peu utilisable au quotidien, mais charmeuse jusqu’au bout de ses jupes et spoilers ! Aujourd’hui, malgré un Stelvio réussi et une Giulia désirable, Alfa vend (pour 2019) 54 365 voitures en Europe : un score proche de Saab au pire moment de sa vie. La probable fusion 50/50 de FCA et de PSA pourrait sauver la marque, mais une chose est sûre : la 4C aura loupé le coche, cela fait donc d’elle une voiture collector dès aujourd’hui !

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