Disons-le : il faut aimer les conducteurs de TT RS. Il faut les aimer car ils seront bientôt morts, à l’instant précis où sera rédigé l’acte de décès de leur automobile fétiche — ce qui ne devrait plus tarder, comme l’a très officiellement annoncé la firme d’Ingolstadt, pressée d’en finir avec cet engin thermique pour frimeurs, cette héritière périmée du siècle de l’essence, du chant des échappements, du design engagé et de la conduite cheveux au vent. Que voulez-vous ? Il faut bien faire de la place pour les innombrables et triviaux SUV électriques qui nous envahissent peu à peu, mastodontes convenus grands pourvoyeurs d’emmerdements dès qu’il s’agit de parcourir plus de 400 kilomètres et dont les systèmes de conduite autonome se proposent — la bonne blague ! — de remplacer les pilotes. Comme tant d’autres automobiles récréatives, la TT sommitale, tout comme ses sœurs de gamme, appartiendra bientôt au passé. Gageons que, d’ici quelques années, ceux qui s’en gaussent depuis déjà vingt-cinq ans finiront par la regretter…
Orgueil et préjugés
Oui, il faut aimer tendrement la poignée d’hurluberlus qui, l’année dernière encore, ont signé un bon de commande et acquitté un malus délirant pour avoir le droit de rouler en TT RS. Et pour les aimer, se glisser dans leur monde, faire nôtre le regard qu’ils posent sur l’univers, épouser leur imaginaire — bref, s’efforcer de les comprendre. Car, sapristi, tout à fait entre nous, qu’est-ce qui peut bien inciter un automobiliste normalement constitué à investir plus de 85 000 euros dans un tel déplaçoir pour poseurs, alors que pour la même somme ils auraient pu, par exemple, s’offrir une Porsche 997 Turbo avec nettement moins de 100 000 kilomètres au compteur ? Si vous trouvez cette comparaison indécente, rappelez-vous cette improbable course-poursuite en l’an 2000, au début de Mission:Impossible 2, au cours de laquelle la TT roadster « 8N » de Thandie Newton résistait au cabriolet 996 de Tom Cruise… Plus sérieusement, et au-delà même des liens familiaux et complexes qui unissent les deux firmes depuis qu’en 1972 un certain Ferdinand Piëch a fait son entrée chez Audi, il y a dans chaque TT (et plus encore dans la plus puissante d’entre elles) comme des relents de Porsche contrariée, des complexes d’infériorité qui refusent de se taire et que l’on combat avec les moyens du bord, en se servant généreusement sur les étagères de chez Volkswagen…
Pour les esthètes à claques
Car tous les puristes obtus — parmi lesquels l’auteur de ces lignes — vous le diront : il y a les « vraies » Audi (comprenez celles à moteur longitudinal), et puis les autres (c’est-à-dire les dérivés de Golf, à moteur transversal et dont la pionnière fut la première A3 en 1996, la 50 étant, pour sa part, considérée comme une parenthèse industrielle vite refermée). Or, depuis ses origines, la TT relève de cette seconde catégorie et, aux yeux des conducteurs sportifs, pèche donc substantiellement par ses modes de transmission : soit nous avons affaire à une banale traction, soit à une intégrale semi-permanente à coupleur Haldex, solution déjà plus satisfaisante que feu le système Syncro mais sensiblement moins convaincante qu’une « vraie » full time, à l’instar des authentiques quattro. Moins jouissive à mener qu’une roturière Mazda MX-5, la TT « 8N » souffrait par surcroît d’un amortissement typique des productions VW/Audi de ce temps-là ; trop raide en compression et trop souple en détente, l’ensemble réussissait l’exploit d’être à la fois inconfortable pour le séant des passagers et relativement inefficace en conduite active, dès lors que la route n’était pas en parfait état. Un peu à la façon d’une Studebaker Avanti ou d’un coupé 504 Peugeot, il n’est pas excessif d’affirmer que l’engin s’avérait plus intéressant à contempler qu’à conduire. D’autant plus que, stylistiquement parlant, Audi avait indéniablement frappé un grand coup !
Admirer ou conduire, il faut choisir
Qu’est-il resté, au fil du temps, du saisissant coup de crayon de Freeman Thomas, pondéré par Peter Schreyer ? Les icônes sont toujours impossibles à remplacer ; alors on leur dessine des successeurs qui s’efforcent de réinterpréter le thème original, en le modernisant sans le trahir. Là encore, c’est peut-être une mission impossible : hormis la 911 — encore elle… —, la Mini et la Fiat 500, l’actualisation s’avère rarement heureuse, y compris lorsqu’elle s’inscrit dans une continuité temporelle (et, par charité, nous ne nous étendrons pas sur les calamiteux resto-mod qui pullulent chez les plus philistins des designers). Somme toute, à ce jeu la TT ne s’en est pas trop mal sortie mais, il faut bien le reconnaître, elle n’a jamais retrouvé la grâce monolithique de ses débuts. En contrepartie, dès la deuxième génération (Typ 8J) présentée en 2006, l’auto a gagné un châssis digne de ce nom, commençant alors d’intéresser ceux qui aiment vraiment conduire et sont capables d’accélérer ailleurs que sur l’autoroute ; ce que démontre l’augmentation significative des puissances disponibles : là où la TT Mk1 ne dépassait pas les 250 chevaux, la TT RS première du nom, dévoilée en 2009, en propose pas moins de 340, voire 360 sur la RS Plus !
Un mouton à cinq pattes
Et cette fois, ce n’est plus le glorieux VR6 qui est mis à contribution, mais bien le nouveau 5-cylindres maison — architecture dont la résonance mémorielle demeure intacte dans le cœur des passionnés de la marque. Bien sûr, le 2,5 litres à quatre soupapes par cylindre, installé transversalement dans la TT RS comme il l’est dans les modèles apparentés (RS3 et compagnie), n’a rien à voir avec son aïeul dont les premières montées en régime remontent à 1976, greffé à l’époque dans une très sage berline 100 évoquant davantage Stefan Derrick que Ethan Hunt. Et, au sein du groupe Volkswagen, c’est un moteur que l’on ne trouvera initialement que chez Audi — du moins jusqu’à ce que Cupra s’en empare pour son Formentor, navrant jouet pour parvenus et authentique totem de la vulgarité contente d’elle-même. Il y a de quoi s’en consterner car, sacrebleu, les motoristes ont fort bien travaillé. L’EA855 coche toutes les cases : musical, puissant, coupleux, il revendique magistralement sa singularité et, une fois implanté sous le capot de la TT, il transforme cette petite embarcation pour plaisanciers hédonistes en sportive irréfutable. Certes, les chevaux ne font pas tout mais la partie cycle est largement à la hauteur, avec une agilité et une efficacité dans les itinéraires sinueux qui ont dû laisser rêveur plus d’un conducteur des premières itérations de l’engin !
La beauté du geste
Il suffit d’examiner la fiche technique de la RS actuelle, désormais à son couchant, pour mesurer les ambitions qu’Audi a pu nourrir à son sujet. 400 ch et 480 Nm, voilà qui encourage à des comparaisons devenues carrément fratricides — car, entre-temps, Porsche est devenu une filiale de VW et les partages de composants avec la firme aux anneaux sont devenus chaque année plus nombreux, mais toutefois pas à ce niveau de gamme. À l’heure où ces lignes sont écrites, les 718 ont évidemment conservé leur moteur central arrière et, contrairement à l’Audi, dédaignent la transmission intégrale, y compris lorsque les 500 chevaux du flat-six issu de la 992 GT3 se chargent de les déplacer. Juste en face de la TT RS, on trouve les Cayman et Boxster GTS, strictement équivalents en matière de puissance brute mais au couple légèrement moins favorable. Les chronos de la TT sont meilleurs, mais d’un cheveu ; l’écart demeure imperceptible au volant et, de toute façon, l’essentiel n’est pas là ; les deux autos n’évoluent tout bonnement pas dans le même microcosme. Un quart de siècle d’efforts n’aura pas suffi à hisser la petite Audi, même dans ses variantes les plus impétueuses, dans les parages charismatiques des cousines stuttgartoises. Il y a des choses qui ne se décrètent pas et le duo Boxster/Cayman en sait quelque chose, lui qui se vend aujourd’hui moins que la 911 en dépit d’un positionnement tarifaire plus amical et qui, dans certaines conversations de bistrot, continue de subir les sarcasmes éculés des porschistes en carton. Demain, la TT va mourir et ensuite les 718 vont s’électrifier mais, grâce à la générosité de Bruxelles, vous aurez encore jusqu’en 2050 pour vérifier si l’Audi vaut mieux que sa réputation. Ensuite, et a priori pour toujours, à Ingolstadt comme à Zuffenhausen, ce sera la panne des sens…
Texte : Nicolas Fourny