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Rolls-Royce Phantom VI : noblesse oblige !

Par Nicolas Fourny - 04/02/2025

« La Phantom se vit de préférence depuis le somptueux petit salon que constituent les places arrière, c’est-à-dire là où l’on peut réellement profiter de l’empattement extra-long de l’engin »

Si vous vous demandez où les designers de Rolls-Royce Motor Cars sont allés chercher leur inspiration pour concevoir la lignée des Phantom contemporaines apparue en 2003, il vous faudra remonter jusqu’en 1955, année de l’apparition de la Silver Cloud – laquelle donna ensuite naissance aux Phantom V et VI, limousines d’apparat dont la carrière ne s’acheva qu’en 1990. Dernière Rolls à châssis séparé, la Phantom VI aura tout de même survécu un quart de siècle à sa matrice ; à sa disparition, l’auto s’apparentait à une sorte de sympathique dinosaure que l’on eût pu croire promis à l’immortalité mais qui n’était que l’ultime gardien d’une tradition agonisante et que son constructeur ne parvint pas à remplacer réellement jusqu’à son rachat par BMW. Modèle archétypal s’il en est, cette authentique aristocrate continue de hanter les Royal Mews, les aventures de la famille Windsor ou les garages de collectionneurs éclairés. Et peut-être même, si vous traînez un samedi après-midi du côté de chez Harrods, aurez-vous la chance d’en voir une rouler…

Les derniers feux d’une aristocrate

De fait, de nos jours les Phantom VI sont moins rares, dans les rues de Londres, que les Austin Allegro – l’un des innombrables modèles présentés après la naissance de l’auguste limousine, mais disparus bien avant elle. Dévoilée en 1968, l’auto – mais personne ne le sait alors – est venue conclure une très longue histoire, qui avait commencé quatre décennies plus tôt avec l’introduction de celle qui s’appelait alors « New Phantom » mais que la postérité se remémorera sous la dénomination apocryphe de « Phantom I ». Acmé de la gamme Rolls-Royce, cette série, interrompue par la guerre avec l’arrêt de la Phantom III (seul modèle à moteur V12 de la marque jusqu’au lancement de la Silver Seraph en 1998), renaît en 1950 avec la très élitaire Phantom IV, nantie d’un moteur huit-cylindres en ligne aux origines roturières mais dont, paradoxalement, seuls les têtes couronnées et chefs d’État peuvent faire l’acquisition. La carrière de la Phantom IV s’interrompt dès 1956 et, après un hiatus de trois années, la Phantom V vient lui succéder. Cette fois, il ne s’agit plus d’un modèle spécifique mais d’un développement de la Silver Cloud II présentée la même année et qui, par rapport à sa devancière, se caractérise par l’adoption d’un V8, promis lui aussi à une très longue carrière. La Phantom V se distingue principalement de la Cloud par son empattement, porté de 3,22 (pour la Cloud châssis long) à 3,66 mètres, l’ensemble atteignant ainsi la longueur faramineuse de 6,04 mètres ! Produite jusqu’en 1968, la Phantom V tire sa révérence après que 832 exemplaires ont été construits.

La Silver Cloud ne voulait pas mourir

« La tradition est une forme de consolation quand on a compris que l’éternité n’existe pas », a écrit un journaliste américain dont, présentement, le nom m’échappe. Présentée à l’automne de 1968, la Phantom VI matérialise, par ses caractéristiques propres, la fin d’un âge d’or et, pour son constructeur, les contradictions d’une époque tiraillée entre le progrès technique et la survivance d’un certain nombre d’archaïsmes, garants d’une majesté incompatible avec la relative standardisation imposée par la Silver Shadow commercialisée trois ans auparavant. Rappelons que celle-ci, avec sa construction monocoque, ses quatre freins à disques et sa suspension à correction d’assiette sous brevet Citroën, tournait résolument le dos à la sénescence de la Cloud, dont le châssis séparé, les freins à tambours et les amortisseurs à levier fleuraient davantage l’avant-guerre que les seventies qui s’annonçaient déjà. Grand succès commercial pour Rolls, la Shadow a cependant sonné le glas pour un carrossier comme James Young, après plus d’un siècle d’existence, tandis que Mulliner et Park Ward n’ont dû leur salut qu’à leur reprise par Rolls-Royce, qui les a réunis sous une même raison sociale en 1961. Contre toute attente – et même contre toute logique –, la Phantom sixième du nom se tient soigneusement à l’écart de l’avant-gardisme de la Shadow et, tout au contraire, choisit de prolonger les substrats de la Cloud, les volutes surannés de sa carrosserie et les fantaisies qu’autorise la fabrication très artisanale de l’objet, assemblé non pas dans l’usine de Crewe, mais dans les ateliers londoniens de Mulliner Park Ward (MPW), lesquels ne fermeront leurs portes qu’en 1991.

Les adieux à la reine

En réalité, en cette fin des années 1960, la fête est déjà finie et, en vingt-deux ans de présence au catalogue, seuls 374 châssis Phantom VI seront construits, dont l’immense majorité seront carrossés en limousine par MPW, dans un design pratiquement identique à celui des dernières Phantom V. Le reste sera réparti entre quelques landaulets, deux cabriolets commis par Frua dans un style évoquant tout à la fois le coupé Camargue et « FAB 1 » – la délirante Rolls à six roues de Lady Penelope dans la série Thunderbirds –, sans parler des créations grotesques construites dans les années 90 selon les navrants desiderata du sultan de Brunéi. Pour notre part, nous préférons garder intacte l’image classique de la Phantom VI, figure familière des retransmissions télévisées en mondovision car étroitement associée au destin de la famille royale britannique, puisque la reine Elizabeth II en posséda deux exemplaires, dont l’un lui fut offert en 1977, à l’occasion du jubilé célébrant les vingt-cinq premières années de son règne. Immédiatement reconnaissable à son toit surélevé et à son vitrage panoramique à l’arrière, cet exemplaire est le plus célèbre de tous ; la Reine l’a fréquemment utilisé jusqu’à sa mort et l’auto – qui a joué le rôle de No.1 State Car jusqu’en 2002 – a même fait partie de son cortège funèbre en 2022, formant, aux côtés de la Phantom IV de la Reine mère, des deux Bentley State Limousine et du corbillard aux formes étranges réalisé sur une base de Jaguar XJ, un équipage pour le moins baroque, retraçant de façon émouvante les soixante-dix ans de règne de la souveraine.  De leur côté, les amateurs de soap operas se rappelleront sans doute la Phantom VI immaculée de Joan Collins dans Dynasty

Six mètres de bonheur un peu contraint

Au vrai, la Phantom VI est probablement l’antithèse la plus parfaite des Shadow et Spirit qui furent ses sœurs de gamme. En comparaison d’icelles, conçues pour un usage quotidien et (presque) aussi maniables qu’une Mini de la grande époque, la préférée de feue Sa Majesté s’avère difficilement utilisable – et pas seulement en raison de ses mensurations hors normes. En premier lieu, le poste de conduite est à réserver à un chauffeur de petite taille, compte tenu de la très faible amplitude des réglages de son siège ; et même si votre gabarit vous permettait de prendre place derrière le volant, ce serait une horrible faute de goût que de conduire vous-même cet engin, de toute façon davantage conçu pour promener ses occupants à allure réduite que pour sillonner les départementales. Selon la Revue Automobile, qui en a publié l’essai en 1987, le V8 Rolls (6230 cm3 jusqu’en 1979, 6750 cm3 ensuite) peut emmener les 2,7 tonnes de la voiture de 0 à 100 km/h en moins de quinze secondes, mais à quoi bon ? Véhicule d’apparat destiné à dorloter ses passagers, la Phantom se vit de préférence depuis le somptueux petit salon que constituent les places arrière, c’est-à-dire là où l’on peut réellement profiter de l’empattement extra-long de l’engin et oublier, pour un temps, la laideur et la grossièreté du monde extérieur. Capable, aujourd’hui encore, d’inspirer le respect des âmes civilisées autant que la haine des rageux de tout poil – l’actuel prince de Galles et son épouse en furent d’ailleurs les victimes au bord de l’une des Phantom VI royales –, cette auto à la fois datée et intemporelle pourra, si vous avez la place nécessaire pour la garer à l’abri et les moyens de l’entretenir, vous apporter des bonheurs aussi désuets que charmants. Le tout sans vous ruiner (du moins à l’achat) : en 2023, la maison Aguttes a ainsi vendu un très bel exemplaire de 1971 pour 80 000 euros (hors frais). Pour une authentique voiture de monarque, ce n’est vraiment pas cher payé…

6750 cm3Cylindrée
220 chPuissance
165 km/hVmax



Texte : Nicolas Fourny

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