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Renault 6 : La voiture de Giscard

Par Jean-Jacques Lucas - 05/09/2022

« 77 PK 63 » (plaque jaune), était-elle vert anglais ou bleu marine ? La famille Giscard d’Estaing usait d’une Renault 6, en service dans sa demeure patricienne de Varvasse sur la commune de Chanonat (Puy-de-Dôme). Le cliché photographique de Gérard-Aimé pour l’agence Gamma-Rapho est bien connu, suivant la petite berline entre Chanonat et Chamalières, au matin du 8 avril 1974. Elle penche du côté droit et une silhouette de profil se détache dans l’habitacle. Olivier Todd, biographe critique en son temps du président Giscard d’Estaing, avait aussi évoqué cet humble équipage dans La Marelle de Giscard (éditions Robert Laffont, 1977). On était venu le quérir en R6, peut-être Edmond Giscard d’Estaing, mais ce n’est que de mémoire, dans une gare proche. Sujette à moquerie au temps de sa carrière, voiture de pépé à casquette et à la conduite somnolente, toujours vue comme coincée entre la Quatrelle et la R16, cette auto a tout de même trouvé sa clientèle entre 1968 et 1980 en France, prolongée jusqu’en 1986 en Espagne, avec une production dépassant 1,74 million d’exemplaires, proche du 1,85 million d’exemplaires de la R16 (1965-1980).

Le projet 118 donnera naissance à la Renault 6Le projet 118 donnera naissance à la Renault 6

Du projet 118 à la Renault 6

Concordance des temps, lorsque paraît la Renault 16 en 1965, Renault entreprend le projet 118, autrement dit celui de la Renault 6. C’est l’époque de l’apostasie du tout-à-l’arrière. La foi demeure, mais au prix d’un reniement pour les modèles d’usage quotidien. Renault renonce au moteur à l’arrière pour y promouvoir l’accès le plus vaste au profit de l’habitabilité, du volume de chargement, sans verser dans la vocation utilitaire. Le compromis entre la berline et le break, le parti pris de la multimodalité constituent le leitmotiv de l’orientation des Renault, hormis le projet 117 de la Renault 12, affecté à une autre définition productive et commerciale. L’année du lancement de la R6, en 1968, Renault a déjà lancé l’étude de la petite compacte 3 portes, le projet 122 devenu la R5 commercialisée en mars 1972. La production de la Dauphine a cessé en 1967, celle des Floride et Caravelle en 1968. La production de la R10 dure encore jusqu’en 1971 et la R8 est assemblée en France jusqu’en 1973. Il est vrai que Simca maintint la production de la 1000 « tout-à-l’arrière », avec notamment ses fameuses déclinaisons Rallye, jusqu’en 1978.

Renault 6 au milieu d'un troupeau de brebis

Chez Renault, le « Billancourt », bloc « B », de l’ingénieur Fernand Picard, matrice du plus vigoureux « Ventoux », avait équipé dans sa version 845 cm3 les Dauphine, dès 1956, dont les Gordini R1091. Ce bloc a été adapté pour la R4 de 1964 et traversa les âges automobiles en animant la R5 L, entre 1977 et 1984. En 28 années, il était passé de l’arrière à l’avant,  d’une vocation vigoureuse à une autre de service. Le bloc « B » s’inclina devant le « Cléon-Fonte », autre monument historique de la Régie, appelé aussi « Sierra » (bloc C) qui atteignit l’âge canonique de 42 années (1962-2004). Une chaîne commandant l’arbre à cames du 845 cm3 de la R6 originelle avait remplacé la pignonnerie en usage sur la Dauphine. Le moteur restait bien un solide bloc en fonte au vilebrequin à trois paliers. La boîte de vitesses équipait aussi la R4 depuis octobre 1967 et les deux arbres à cardan des roues avant, légèrement en flèche, participaient de la réduction du rayon de braquage. La rationalisation industrielle fait durer les modèles de grande diffusion une bonne décennie chacun, mais leurs composants traversent plusieurs générations de modèles moyennant quelques améliorations, modifications et adaptations techniques. Le L4 « Billancourt » (58×80) sort 38 ch SAE à 5 000 tr./min. (ou 34 ch DIN, soit 4 ch de plus que la R4 1963-1968) avec un couple maximal de 5,8 mkg SAE à 3 000 tr./min.

Renault 6 dans la rue avec une femme adossée à la porte conducteur

En septembre 1970, la R6 connaît l’évolution technique la plus notable de son histoire. Le modèle initial est secondé par la version TL au moteur de 1 108 cm3 (70×72), vilebrequin à 5 paliers,  développant quelques 32 % de puissance supplémentaire (45 ch DIN à 5 000 tr./min ou 48 ch SAE), puissance augmentée encore de 2,5 ch en 1973 avec un couple de 8 mkg à 3 000 tr./min. Désormais, ce moteur plutôt souple se débrouille mieux dans le trafic et peut s’éloigner des voies de la ruralité qui lui semblaient désignées. Mais, à cette époque, on traversait la France en 4L ou en Ami 6 en automobiliste, en usager d’une voiture en toutes circonstances. La R6 (845 cm3) fut soumise à l’essai par Jean-Paul Thévenet pour le magazine L’Automobile (n° 271, décembre 1968, p. 16 à 23). Il  avait constaté, toujours à Montlhéry et avec deux personnes à bord selon l’habitude du journal, 123 km/h en pointe, soit 10 km/h de plus que la R4, et mesuré 23’’6/10 au 400 m d.a et 44’’ 5/0 aux 1 000 m d.a., comparaison inopportune à faire aujourd’hui avec les modèles de base des constructeurs. Leurs puissances sont au moins doubles de celles de la 845 cm3. Le journaliste-essayeur avait relevé l’optimum de 35 km/h en 1ère, 70 km/h en 2ème, 100 en 3ème. Le tout pour une consommation située entre 7 et 8,5 litres aux 100 km. Où l’on mesure aussi les gains de productivité des moteurs modernes à l’aune du rapport entre leur rendement et leurs besoins énergétiques. Outre le châssis plate-forme de la R4, la première R6 dispose alors de freins à tambour et de suspensions proches de ce véhicule précurseur par son architecture. La 1 108 cm3 de 1970 reçut des freins à disques à l’avant et une boîte-pont modifiée, correspondant à la puissance supplémentaire à assurer. Ce faisant, le réservoir gagnait 25 % de contenance  en passant à 40 litres. La puissance et l’autonomie augmentées requalifiaient l’usage et le rayon d’action possible de la R6.

Deux Renault 6, l'un de face et l'autre de dos

Elle a comme un « faux air » de…

Air connu, poncif éculé, la R6 était assimilée à une grande R4 et à une petite R16. Elle complétait une gamme graduée, de berlines à 4 portes à moteur et traction avant, à l’arrière ouvrant par un hayon sur un volume modulable. Cependant, en décembre 1968, Jean-Paul Thévenet insistait pour signifier l’autonomie formelle de la R6 : « On l’a dit et redit chez  Renault, ce nouveau modèle ne veut absolument pas être une Renault 4 Grand Tourisme ou TS, pas plus qu’une R16 miniaturisée ou sous-développée » (L’Automobile, n° 271, p. 16). La R6 y est présentée comme un outil de la mobilité doté d’avantages solides : « L’analogie esthétique frappante avec la Renault 16 et puis, le fait que le volume extérieur et les cotes d’habitabilité correspondent pratiquement à ce que l’on rencontre habituellement chez les voitures d’une cylindrée nettement supérieure, de telle sorte que l’on a véritablement l’impression d’être en présence d’une 1100, beaucoup plus qu’une 850 ce qui, bien entendu, rend ici le rapport  habitabilité/cylindrée très intéressant et l’épargne fiscale non dédaignable ». L’acheteur et utilisateur en a donc pour son argent. Mais le hiatus réside entre la modestie mécanique, fut-elle naguère « gordinienne », et le motif très sixties du besoin d’espace. Une R6, c’est un peu comme les appartements clés en main, les logements de Sarcelles ou de la Cité des 4000, à la Courneuve. C’est plutôt spacieux, en regard des gourbis anciens, clair et « fonctionnel ». Le vocabulaire de l’architecture modulaire et sérielle croise celui de l’automobile de très grande série désormais. Sa mécanique, même retouchée, marque le pas, sans pour autant affecter la vaillance d’usage.

Renault 6 jaune fluo prête pour un départ en vacances

D’évidence, le dessin de la R16 est manifeste au moins dans trois directions :  les trois vitres latérales habillant l’habitacle, ainsi rendu lumineux avec ce vitrage périphérique, le modelé des élévations latérales du toit et du capot avant, et l’élévation arrière brisée. Mais elle partage aussi avec la R4 le seuil direct de chargement dont est dépourvue la R16 et la transformation simplifiée de la partie arrière, même si le remontage de la banquette semblait exiger sur cette première version du doigté et de la patience. Elle reprend à la R16 la moulure centrale du capot prolongée sur le toit, mais sans arches latérales, la moulure de ceinture de caisse épousant la courbure du montant arrière et la calandre à plan centré et, au passage, les poignées de porte en section de baguettes droites surmontant l’encoche. De même, l’arche réduite de roue arrière souligne la malle et énonce le porte-à-faux comme l’agrandissement d’un logement. Cependant, il n’est pas interdit de voir des signes précurseurs du dessin de la pimpante R5 dont les études avaient commencé en 1968. L’aile arrière, justement, conserve ce tracé d’arche réduite et tendue. Sur la R5, la grille d’évacuation d’air de l’habitacle glisse du côté du montant arrière sur son angle arrondi, descendu plus bas. Le pare-chocs bouclier en résine de la R5 le rejoint, remonté, et le petit feu d’angle de la R6 est déjeté et allongé au-dessus de la ligne de caisse. Le hayon de la R5 est tendu, sans pliure, ouvrant sur l’arrière sans seuil, comme sur la R4. Cette pliure de hayon de la R6, continuant le tracé périphérique de la tôlerie sous la ceinture de caisse, homogénéise l’auto et l’épaissit, la tasse, la fait presque vieillotte vue de l’arrière, justement parce que le hayon descend jusqu‘au pare-chocs. Le parti de la R4 associé au dessin de la R16 constitue un compromis peu énergique au plan visuel, efficace au plan pratique, mais qui est résolu sur le dessin de la R5 de 1972. Et un hayon en deux parties, associant lunette arrière amovible ouvrant vers le haut et porte de coffre ouvrant vers le bas, aurait probablement exigé plus d’encombrement technique et conduit à un surcoût inopportun. Au reste, le dessin de hayon de la R6 n’est pas sans évoquer celui du projet « F » inabouti de Citroën, quasi contemporain de sa genèse.

Renault 6 bordeaux de trois quarts arrière

Les trois dessins de la Renault 6

La Renault 6 des origines, avec sa face avant raide, verticale, signe sa parenté avec la R4 et, dès les premiers prototypes, a plutôt l’air d’un Kübelwagen que d’une berline. Le vaste pare-brise bombé et incliné tient de la R16 et de l’imminente R12 de 1969, mais au profil ici bien plus incliné. La première R6 est coquette, avec juste ce qu’il faut de jonc chromé à la gouttière du pavillon, ou d’inox sur les bas de caisse, aux poignées de portières, pour les enjoliveurs des roues à voile plein, et à l’habillage de la calandre. Le modèle 1971, celui de la version 1 108 cm3, le « Cléon-Fonte » de l’ingénieur René Vuaillat, a besoin d’air. Aussi la plaque minéralogique est-elle descendue sur le pare-chocs, entre les deux butoirs de caoutchouc, et une grille à trois registres verticaux de trois ouvertures vient seconder la calandre et abonder le radiateur désormais situé juste derrière. L’échappement de la 6 cv passe à l’arrière, au contraire de la sortie latérale de la 845 cm3, 5 cv. Devenue prognathe, cette version de la Renault 6 est distinguable par un détail. « C’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup » chantait France Gall en 1980 (« Il jouait du piano debout », Michel Berger), mais les jantes ajourées, ventilant les disques avant du nouveau modèle et installées aussi par symétrie à l’arrière, équipent en 1972 la R5 TL. La troisième étape de la Renault 6 modifie le tableau avant. Pour 1974, la calandre de plastique noir est tendue, perd le motif de symétrie axiale issu de la R16, cernée par les deux optiques désormais carrées, à l’instar de ceux de la R16 TX de la même année. Le pare-chocs avant perd les butoirs, absorbe les clignotants blancs puisque la calandre efface la bande de tôle inférieure.

Renault 6 TL jaune de face

Des détails, comme toujours, distinguent les millésimes, comme l’éclairage de plaque arrière repris de la R5 en 1977. La version initiale, celle au 845 cm3, disparaît du catalogue à la fumée des cierges en juin 1979. En mai 1980, la R6 n’est plus disponible sur le marché français, mais les usines d’Argentine et de Colombie continuent la production jusqu’en 1984 et la fabrication est assurée en Espagne jusqu’en 1986. Et s’il est deux ou trois signes distinctifs de la R6, il faut les chercher dans l’aménagement intérieur. La version de base ne dispose que d’une banquette à l’avant, tandis que les sièges à dossiers inclinables sont en option. Le meuble de bord, muni de son motif récurrent de bois imité, dégage un petit écran de tachymètre rectangulaire derrière le volant à très fines branches s’approchant de la verticale. On se souvient des trois basculeurs échelonnés dans le pan coupé à gauche et surtout du levier de vitesse coulissant, sortant du tableau de bord. Citroën et Renault conservaient ce dispositif ayant l’avantage de dégager le plancher avant. Venu de la R4, la R5 de base le conserva jusqu’en 1977.

Renault 6 de profil

S’il faut repérer la R6, est-il raisonnable de la voir coincée entre la R4 et la R16, ou de la considérer comme un instrument précurseur de la R5 ? Il peut paraître fastidieux d’égrener des lignes de mensurations, mais il est vrai que la R6 est bien située entre l’une et l’autre, à 3 850 mm de longueur contre 4 260 mm (R16) et 3 656 mm à la R4. En largeur, il faut comparer les 1 540 mm aux 1 630 mm de la R16 et 1 485 mm de la R4. Celle-ci les toise à 1 532 mm contre 1 500 mm à la R6 et la R16 cote à 1 450 mm. Mais il est une singularité technique qui les rassemble : l’empattement différencié entre côté droit et côté gauche est partagé avec la R4 et la R16. Pour la R6, il donne 2 443 mm à droite et 2 395 mm à gauche. Cependant, placer la R6 et la R5 sous l’angle des dimensions les associe un tantinet. La R5 mesurait 3 521 mm de longueur (33 cm, à un cheveu près, de moins que la R6 tout de même), mais 1 525 mm de largeur (soit 15 mm de moins que la R6). Elle était moins haute de 10 cm (1 400 mm contre 1 500 mm), tandis que l’empattement les rapprochait, 2 404 mm pour la R5 et 2 443 mm (à droite, le plus long) pour la R6. Par ailleurs, l’on voit bien que la R5 était plus courte, plus large, moins haute et à l’empattement plus long que la R4.

Renault 6 rouge vue de trois quarts avant

« Un compromis berline-break plein d‘intérêt, formule autour de laquelle la concurrence est peu acharnée »

À l’usage, Jean-Paul Thévenet avait qualifié la R6 de « Voiture à vocation paisible, mais qui ne dédaigne pas les bonnes moyennes pour peu que l’on veuille recourir a

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