Renault 16 TX : mamie fait de la résistance !
Il m’arrive de pouvoir tester des autos neuves, ou de me balader dans des autos anciennes, mais pouvoir tester une automobile ancienne aussi neuve qu’à sa sortie d’usine, cela ne m’était jamais arrivé. Pourtant, je vous le garantie, la R16 TX qui m’a servi de monture hier après-midi était encore plus rutilante qu’en tombant des chaînes de Sandouville en 1973 : moquettes impeccables, carrosserie sans rayures ni bosses, plastiques et sellerie sentant le neuf, chromes brillants et compartiment moteur aussi propre que possible, sans tâche ni noirceur. Non vraiment, la R16 TX que j’avais entre les mains était parfaite.
Par quel miracle une voiture de cet âge (42 ans tout de même) pouvait se retrouver dans cet état ? Tout simplement parce que la belle était passée entre les mains expertes des membres de l’équipe Renault Classic, structure basée à l’usine Renault de Flins et chargée d’entretenir le patrimoine automobile du constructeur français. Et croyez-moi, rentrer dans cet atelier, c’était comme rentrer dans un magasin de jouets : R5 Turbo, Espace F1, Alpine et Interlagos, Formules 1, et bien entendu une tripotée de R16 toutes plus neuves les unes que les autres, ainsi que leurs prototypes (étude à 4 portes dits projets 114, prototype de coupé/cabriolet…). Et encore n’était-ce qu’une petite partie des véhicules en attente ou en cours de restauration.
La R16 est une affaire d’homme, à tel point que Publicis utilisera une photo de Yves Georges et son équipe pour annoncer le projet !Si l’atelier était plein de ces R16 (des Supers, des TS, des TA, de TX et même un modèle export ou un modèle 3 places revenant du Monte Carlo historique qui se planquait discrètement sur le parking au milieu de modèles anonymes et modernes), c’était parce que cette année se fête les 50 ans d’un modèle devenu mythique. Et si j’étais là, c’était pour profiter de la superbe campagne du Vexin et des boucles de la Seine pour tester « comme une moderne » ce modèle révolutionnaire pour Renault.
Petit flash back dans les années 50 ! En 1955, Pierre Dreyfus prend les rênes de la Régie Renault suite à la mort du PDG Pierre Lefaucheux après un accident de voiture. Il n’est pas ingénieur, mais juriste, et apporte avec lui une nouvelle vision de l’entreprise, mettant au centre l’homme plus que la technique. Il lui donnera un nouveau souffle en attirant de jeunes talents venus d’horizons variés. Parmi eux, Yves Georges qui deviendra le patron du Service Etudes. En 1958, conscient de l’échec de la Frégate, alors le haut de gamme chez Renault, et désireux de lancer un véhicule capable de consolider les positions du constructeurs aux Etats-Unis notamment, Dreyfus donne le feu vert pour l’étude du projet 114. Le brief est simple : une voiture de standing « 6 glaces », destinée essentiellement à séduire une clientèle américaine alors que les ventes de Dauphine commencent à s’essoufler là-bas.
Avec un tel carnet de route, les propositions du service études vont naturellement s’orienter vers une berline tri-corps, à moteur 6 cylindres en ligne à l’avant et propulsion, classique et statutaire. Mais la tournure que prend le projet 114 ne plaît pas au dynamique président de Renault, qui finira par signer son arrêt de mort en février 1961. Pour autant, Dreyfus n’a pas fait une croix sur un véhicule coiffant la gamme, mais son esprit disruptif le pousse à explorer d’autres horizons. Il demande alors à Yves Georges et à ses équipes de réfléchir autrement, à imaginer « la voiture qu’ils aimeraient avoir », laissant une part de liberté et d’imagination à des ingénieurs et designers qui n’attendaient que cela. Ce qu’il veut ? Prendre le contre-pieds de la concurrence et proposer quelque chose de nouveau !
Le lancement réussi de la Renault 4 donne alors des idées du côté de Billancourt : pourquoi ne pas décliner le concept dans une version plus grande, plus statutaire (moins camionnette quoi!), et plus performante ? C’est ainsi que démarre l’aventure du projet 115. Reste un souci de taille : Renault a perdu du temps avec le projet 114, et Dreyfus demande à Georges de se débrouiller pour rattraper le temps perdu. Et notre camarade, galvanisé par un président novateur et des équipes motivées, va trouver les solutions pour raccourcir les délais. D’une part, il récupérera tout ce qu’il était possible de récupérer du projet 114 pour raccourcir les études (le 6 en ligne créé pour le 114 sera amputé de 2 cylindres pour donner naissance en un temps records à un 4 cylindres alu par exemple), et surtout, il révolutionnera la conception automobile en réalisant les études et l’ingénierie simultanément (méthode qui sera par la suite appliquée par tous les constructeurs).
C’est donc vers une modèle totalement nouveau que s’oriente Renault : traction avant, moteur central avant, ligne « bi-corps » avec une cinquième porte à l’arrière (la porte de service qu’on appellera plus tard hayon). A l’intérieur, la voiture s’adapte aux nouvelles demandes des utilisateurs, qu’ils soient des villes, des champs ou de la banlieue, cette terre nouvelle qui n’a à l’époque rien à voir avec ce que l’on connaît aujourd’hui. Pas moins de 6 possibilités d’aménagement sont proposés, ce qui en fait la première voiture « modulaire » : une voiture à vivre en somme !
Le dessin si particulier mais aujourd’hui si familier de la Renault 16 sera l’oeuvre de Gaston Juchet. Contrairement aux idées reçues, Philippe Charbonneaux, à qui l’on attribue souvent la paternité de l’oeuvre, n’aura qu’un rôle de consultant, contribuant notamment au dessin de l’arrière, afin de lui ôter toute image « d’utilitaire » d’un hayon trop abrupt. Malgré un style novateur, la R16 reste une « 6 glaces » et doit pouvoir séduire une clientèle bourgeoise.
Lancée en 1965 (soit tout juste 4 ans après le lancement du projet 115, un temps record au lieu de 6 habituellement), la Renault 16 mettra quelques temps à s’imposer tant elle innove en beaucoup de points. Mais petit à petit, elle prendra une place de choix dans le cœur des français, offrant une réelle alternative à sa rivale la Peugeot 404, bien plus classique de conception. Elle sera par ailleurs élu voiture de l’année en 1966 devançant la Rolls Royce Silver Shadow, excusez du peu. A tel point même qu’elle restera en production jusqu’en 1980, date à laquelle la dernière Renault 16 TX tombera des chaînes après 1 845 959 exemplaires.
Ce n’est qu’en 1973 qu’apparaîtra la version la plus huppée de la 16, la fameuse TX. Et comme je suis snob, c’est bien entendu celle-là que j’ai choisie : moins pure que les premières, mais correspondant plus à mon standing. Rendez-vous compte : fermeture centralisée des portes, vitres électriques à l’avant, autant de petit plus qui font la différence. Sous le capot, le 1,6 litres développe 93 chevaux pour un poids contenu à 1060 kg. Ca paraît rien aujourd’hui, mais c’était quelque chose dans les années 70. En option, on pouvait rendre la voiture encore plus premium avec des sièges en cuir, un système à air conditionné, ou le toit ouvrant.
A la conduite, passées les premiers kilomètres à digérer les particularité de la voiture (direction non assistée qui « fait les bras », surtout dans les virages serrés qui montent à la route des Crêtes au dessus de la Roche-Guyon ; dosage du freinage non assisté lui aussi ou de l’accélérateur ; gestion de la boîte de vitesse « au volant », très agréable et bien guidée une fois qu’on en a compris le fonctionnement), on finit par la trouver étonnamment moderne. Performante, souple, voire moelleuse, rageuse si l’on monte dans les tours, elle s’insère très facilement dans une circulation « moderne » (même si elle n’est pas faite pour la circulation urbaine d’aujourd’hui), on en descend après plus de 100 km avec le sourire jusqu’aux oreilles. Ou comment découvrir une nouvelle façon de conduire sans pour autant souffrir le martyr. C’est un excellent moyen de remonter le temps sans trop se sentir largué.
Si j’ai de nombreux souvenirs des retours de week-end à Louveciennes dans la R16 TX de la mère d’un ami, je n’en étais que le passager, à une époque où elle était encore une voiture relativement récente. Désormais, je m’aperçois de l’évidente modernité de ce modèle TX. Cette expérience de conduite m’a confirmé qu’elle peut être une bonne base pour un collectionneur néophyte, désireux de s’initier à la restauration et à l’entretien d’une « ancienne » tout en bénéficiant d’un véhicule utilisable au quotidien. Profitez en pendant que la côte est encore basse !