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Maserati Merak : une GT à bout de souffle

Par Nicolas Fourny - 02/08/2023

« Quand on les compare de l’extérieur, les différences stylistiques entre la Merak et la Bora relèvent du détail et le béotien les confondra volontiers car, jusqu’au montant B, les deux autos sont à peu près identiques, au design de leurs jantes près »

Ultime représentante d’un style échappé des sixties, la Merak aura vaillamment survécu jusqu’en 1983 ; elle fait partie de ces Maserati conçues sous la férule de Citroën et dont les fanatiques du Trident sont à peu près les seuls à se souvenir. Insuffisamment aboutie mais diablement attachante, victime à la fois des péripéties ayant affecté son constructeur, d’un contexte économique défavorable et d’une identité mal définie, l’auto, dont a peine 1800 exemplaires furent construits en onze ans de production, tarde à se ménager une place au soleil dans le cœur des collectionneurs d’aujourd’hui. Et pourtant, ainsi qu’on va le voir, il s’agit d’une grand tourisme de haute lignée, en tous points digne d’intérêt !

Un pedigree

Dans la longue histoire de Maserati, les modèles à moteur central ne sont pas légion. Venue tardivement a cette formule avec la Bora de 1971, la firme de Modène a provisoirement refermé ce chapitre dès le début de la décennie suivante, lorsque l’avènement de la tentaculaire famille des Biturbo l’entraîna dans un tout autre univers. De sorte qu’en l’espèce, la mémoire d’un certain nombre d’amateurs se montre souvent lacunaire et la seule berlinette à moteur V6 de la marque — jusqu’à la présentation de la MC20, bien entendu — n’y a laissé qu’une trace trop fugitive pour ne pas se dissiper comme les volutes d’un rêve indistinct, aux insaisissables contours. Au demeurant, issue de ce qu’un esprit malveillant pourrait facilement assimiler à un bricolage hâtif, en apparence la Merak n’est substantiellement rien d’autre qu’une Bora privée de deux cylindres ; une analyse approfondie laisse cependant apparaître une réalité moins binaire, plus complexe et qui l’éloigne, sans contestation possible, de l’infamante catégorie des ersatz sous-motorisés à laquelle une lecture superficielle de sa fiche technique pourrait inciter à la rattacher…

Des chevrons à Modène

Ce sont les visiteurs du Salon de Paris 1972 qui eurent le privilège d’assister à la première apparition de la Merak. À ce moment-là, c’est le Quai de Javel qui contrôlait Maserati et, comme chacun sait, les ressources ingénieriales des Italiens avaient été largement mises à contribution par Citroën dans le but de développer une SM aussi ambitieuse que difficile à vendre. Toutefois, ainsi que nous vous l’avons déjà narré, l’influence du bureau d’études de la rue du Théâtre avait également franchi les Alpes et, de la sorte, la Bora — première Maserati de route à moteur central — comportait plusieurs caractéristiques typiques des « Hydroën » de l’époque, combinant ainsi certaines des fabuleuses inventions de Paul Magès aux spécificités d’une machine dont le huit-cylindres surclassait sensiblement les aptitudes de la SM. Des citroënismes dont, à ses débuts, la Merak fut encore plus prodigue puisque son moteur, son système de freinage et sa planche de bord furent directement repris de la voiture française. En exploitant la base de la Bora, l’idée consistait à élaborer une déclinaison moins puissante d’icelle, tout en conservant une esthétique très proche ; il n’était bien sûr pas question de dessiner une carrosserie distincte et la Merak (que l’on aurait pu nommer Bora V6) reprit donc l’essentiel de la physionomie de son aînée, ce qui ne saurait constituer un reproche dans l’absolu mais qui a néanmoins nui à l’identification spontanée du modèle par le public visé.

Deux cylindres en moins, deux places en plus (ou presque)

Quand on les compare de l’extérieur, les différences stylistiques entre la Merak et la Bora relèvent du détail et le béotien les confondra volontiers car, jusqu’au montant B, les deux autos sont à peu près identiques, au design de leurs jantes près. C’est vers l’arrière que la Merak exprime ses spécificités : aux généreux vitrages de la Bora, la six-cylindres préfère des dérives ajourées et un capot plat précédé d’une lunette verticale, qui n’est pas sans rappeler celle d’une 308 GTB. Toutefois, à cet égard la Maserati se montre moins gracieuse que la Ferrari ; aux galbes étudiés de la lucarne de sa rivale, la Merak oppose un pan coupé strictement rectiligne. Moins massive que la Bora lorsqu’on la contemple de trois-quarts arrière, sa sœur de gamme accroît encore le contraste esthétique déjà relevé sur son aînée — les rondeurs suggestives de la partie avant pouvant être considérées comme disharmonieuses vis-à-vis des angles vifs de l’arrière. En ouvrant la portière — l’auto conservera jusqu’au bout ses poignées de portes à palette d’origine Citroën —, on découvre une 2+2 dont l’aménagement variera sensiblement tout au long de la carrière du modèle. Après la cession de Maserati à Alejandro de Tomaso, en 1975, certains composants d’origine française furent progressivement abandonnés mais les premières Merak à conduite à gauche reçurent un mobilier de bord extrêmement proche de celui de la SM, avec laquelle la berlinette transalpine partageait aussi un V6 dont la fragilité a fait couler beaucoup d’encre depuis cinquante ans. Ici, il s’agissait de la version 3 litres dont les cotes se retrouvaient très exactement dans les SM à boîte automatique, soit 2965 cm3 pour une puissance « au frein » de 190 ch. Un peu tendre, nous direz-vous, en comparaison des 255 ch « officiels » de la Dino 308 GT4 qui, même si certains d’entre eux n’existaient que dans l’imagination des rédacteurs de sa fiche technique, lui autorisaient des performances d’un tout autre niveau. Par charité, nous ne ferons qu’effleurer la variante 2000 GT, développée pour 1977 en raison de la fiscalité délirante affectant les voitures de plus de deux litres de cylindrées sur le marché italien et limitée à 170 ch…

Un très joli brouillon

Il est évident que l’on ne choisit pas ce genre d’auto en fonction de critères triviaux, tels ceux relatifs à l’habitabilité, mais les soi-disant places arrière de la Merak — là où le plus encombrant V8 de la Bora avait dicté une cellule rigoureusement biplace — relèvent tout de même de la plaisanterie pure et simple ; vous pourrez tout juste y déposer une veste, à moins qu’un cul-de-jatte ne figure parmi vos amis. Qu’importe, au fond ? C’est de toute façon à son conducteur que l’engin réserve les sensations les plus réjouissantes. Réjouissantes, oui, mais pas aussi exaltantes que l’agressivité stylistique de la voiture pourrait le suggérer. Devant ce museau effilé, ces surfaces vitrées parcimonieuses et ce profil dont la hauteur évoque celle d’une barquette de compétition (113 centimètres sous la toise !), l’on pourrait facilement se laisser griser, d’autant que la musicalité naturelle du V6 s’exprime ici plus librement que dans la Citroën. Malheureusement, il n’est pas nécessaire de rouler longtemps pour comprendre que l’agilité ne figure pas au premier rang des qualités de la Merak qui, en dépit d’une architecture à moteur central a priori plutôt favorable à ce genre d’exercice n’apprécie pas beaucoup qu’on la brutalise. Lourde et bâtie sur un empattement relativement long de 2,60 mètres, l’auto n’est guère à son aise dans les itinéraires sinueux, à moins d’adopter un style de conduite plus paisible que dynamique — mais dans ce cas, autant rouler en Ami 6. Plus à l’aise sur autoroute, la Maserati apprécie les grandes courbes bien plus que les virages serrés et ne se montre réellement plaisante que sur un revêtement irréprochable. Mais dans tous les cas, la générosité de l’instrumentation n’est pas là que pour le folklore : les différents manomètres vous seront précieux pour contrôler en temps réel l’état de santé facilement chancelant du six-cylindres qui mugit dans votre dos…

C’est une emmerdeuse (et ça va vous plaire)

Les défauts de mise au point de ce bloc — pourtant conçu sous la férule de Giulio Alfieri — sont connus et documentés depuis des lustres et il est rarissime de pouvoir dépasser les 80000 kilomètres sans devoir procéder à une réfection forcément onéreuse. Il existe des solutions pour le fiabiliser mais son utilisation n’a pas grand-chose à voir avec celle d’un flat-six Porsche, par exemple. Ce n’est pas un moteur que l’on démarre le matin sans vigilance ni arrière-pensées ; il faut être attentif en permanence et la pression d’huile en constitue le point de préoccupation majeur. Au prix de ces quelques précautions (et d’un entretien évidemment exigeant), la Merak est en mesure de vous procurer des plaisirs d’un autre temps, comme seule une machine aussi exotique sait en délivrer. Après tout, les berlinettes dessinées par Giugiaro et nanties d’un V6 de noble extraction, ça ne court quand même pas les rues ; très différente de la Bora malgré les apparences, l’auto a beaucoup à se faire pardonner, ce qui signifie qu’il vous faudra en tomber réellement très amoureux pour supporter ses caprices, sa cyclothymie, sa vulnérabilité. Mais c’est justement là que ses sortilèges vous attendent : à chaque fois que vous irez la retrouver, fût-ce dans le plus obscur des parkings souterrains, les mille détails qui font sa singularité vous bouleverseront comme au premier jour. Quand elle vint au monde il n’y avait que peu d’amateurs susceptibles d’acheter une telle voiture, manquant notoirement de mise au point puis construite par une firme aux ressources aléatoires, ce qui se ressentait inévitablement en termes de qualité de fabrication. Quarante ans après l’arrêt de sa production, les choses n’ont guère changé et la cote de la Merak se cantonne à des niveaux bien plus raisonnables que ceux des voitures de Maranello. C’est assurément un choix de connaisseur averti, mais pas seulement : si un jour vous craquez pour elle, vous saurez que vous appartenez sans contestation possible à la tribu des romantiques incurables !

190 chPuissance
240 km/hVmax
2965 cm3Cylindrée



Texte : Nicolas Fourny

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