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Lincoln Versailles : l'erreur de casting

Par PAUL CLÉMENT-COLLIN - 30/08/2017

Quand on est à la traîne, c’est difficile de rattacher les wagons et de faire un carton. C’est un peu ce qui s’est passé pour la marque « de luxe » du groupe Ford, Lincoln, à la fin des années 70. La Versailles était sa première incursion dans le monde des « compact cars » (oui, compact aux USA n’a pas la même valeur), mais elle n’eut pas le succès escompté !

La crise pétrolière de 1973 avait eu pour conséquence, aux Etats-Unis, la hausse des importations de voitures japonaises ou européennes, plus petites que les grandes américaines, moins gourmandes, et souvent plus performantes. Pour les marques « de luxe » américaines, Cadillac ou Lincoln, voire Chrysler, il s’agissait d’offrir une réponse au succès grandissant des BMW et Mercedes parmi les cadres supérieurs ou les professions libérales qui se détournaient de leurs gros paquebot pour des modèles distingués, élégants et performants. La taille n’était plus un signe extérieur de richesse, et un 6 cylindres en ligne performants remplaçait avantageusement un V8 glouton et anémique. Il fallait réagir.

Le premier à dégainer fut Cadillac, qui, dès 1975, sortait la Séville. Avec cette « petite » Cad’, General Motors s’offrait une arme pour contrer l’invasion européenne. Et d’une certaine manière (bien qu’en deçà des espérances), la Séville répondit aux attentes : elle se vendit à 43 772 exemplaires dès sa deuxième année de production (1976). De quoi faire réfléchir Ford qui décidait alors de se payer elle aussi une « petite » Lincoln.

Lutter contre les berlines européennes, c’était une chose, mais encore eut-il fallu y mettre le budget nécessaire, un poil de conviction, et moins d’arrogance. Chez Lincoln, on considéra pourtant qu’il suffisait de reprendre un modèle existant au sein du groupe (Ford Granada et Mercury Monarch), et de le grimer en voiture de luxe. Le tout en l’affublant du prétentieux nom de Versailles, un nom sensé représenter le luxe, le faste, et sentir bon la vieille Europe.

D’ailleurs, pou enfoncer le clou, cette Versailles recevait une montre à affichage digital signée Cartier malgré son aspect un peu « cheap » digne d’une montre Casio des années 80. Côté carrosserie, la face avant est retravaillée à la sauce haut de gamme, avec une calandre imposante et pour tout dire un peu clinquante, et 4 phares carrés à l’avant, tandis qu’à l’arrière, on simulait une roue de secours moulée dans le coffre. Du vinyle « moussé » sur l’ensemble du toit venait ajouter une touche de luxe à l’ensemble, ainsi que des jantes en alliage léger ! Par rapport aux Granada et Monarch, le châssis était renforcé, les trains roulants revus, et l’isolation phonique renforcée.

Sous le capot, on restait fidèle au V8, un 351ci, soit 5,7 litres développant 137 chevaux (quel rendement!), accouplé à une boîte automatique 3 vitesses. Avec cela croyait-on chez Ford/Lincoln, les européennes n’avaient qu’à bien se tenir, sans parler de la rivale américaine de chez Cadillac. La voiture était lancée en 1977, avec deux ans de retard. Elle sortait non pas des chaînes de Wixom, usine traditionnelle des Lincoln, mais de celles de Wayne, dans le Michigan, ou de Mahwah dans le New Jersey.

Bon, en soi, la voiture n’était pas mal hein, mais affichée à 11 500 $ et vendue dans les mêmes show-rooms que la Monarch à 5000 $ sans apporter beaucoup plus, autant vous dire que le client sentait l’arnaque à plein nez. D’ailleurs, dès 1977, il ne faisait pas un pli que la Versailles aurait à lutter avec sa propre sœur plutôt qu’avec les Séville ou les prestigieuses allemandes, et que la bataille était perdue d’avance. Voyez plutôt les chiffres de cette première année : 15 434 Versailles vendues contre, tenez-vous bien, 127 697 Monarch (qui disposait, il est vrai, d’une version 2 portes).

1978 voyait la (mauvaise) tendance se confirmer, avec 8931 Versailles contre 91 714 Monarch. Ouch, toujours ce rapport de près de 1 à 10. La claque était rude. Pour 1979, Lincoln réagissait avec un nouveau moteur, toujours un V8 mais plus petit (301ci, soit 4,9 litres) pour une puissance équivalente (135 chevaux) et quelques améliorations esthétiques relevant plus de l’anecdote, tel le toit en vinyle désormais réduit à la partie arrière de la voiture, lui donnant un air de faux landaulet ! Du maquillage, certes, mais qui redonnait un coup de fouet à la voiture, avec 21 007 exemplaires vendus contre 75 879 pour la Monarch, tandis que la Séville caracolait toujours avec 53 487 modèles vendus cette année là.

Et puis, patatra, ce fut l’effondrement en 1980. 4784 voitures vendues seulement, de quoi arrêter les frais pour Lincoln qui décidément n’aura pas trouvé la martingale. La Versailles quittait les show-rooms sans avoir laisser un impérissable souvenir. Il faudra attendre les années 2000 pour la marque reviennent sur ce segment avec la LS.


Reste pourtant, avec le recul, une voiture assez amusante pour qui aime les américaines mais voudrait une taille plus adaptée à nos routes européennes : les couleurs de carrosserie ou de sellerie, le kitsch en veux-tu-en-voilà, l’équipement « à l’américaine » (pléthorique quoi), une fabrication soignée et une mécanique fiable et éprouvée avec 8 cylindres tout de même, la Versailles peut-être une option intéressante. Et puis, rien que pour son nom et pour sa ridicule montre Cartier, franchement, ça vaut le coup !

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