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Le plus bel âge de la Lamborghini Gallardo

Par Nicolas Fourny - 16/01/2024

« Développé chez Audi, le dix-cylindres n’essaie pas de dissimuler ses origines mais il suffit de prendre le volant de l’auto pour être rassuré quant à son caractère »

On a peine à le croire quand on contemple les premiers exemplaires du modèle, mais la Gallardo a fêté ses vingt ans au printemps dernier ! Celle qui, pour des raisons que nous développons ci-après, a été sans doute le modèle le plus important dans l’histoire de Lamborghini, arbore toujours une insolente modernité, que l’on s’intéresse à son design, à ses qualités routières et bien sûr au cœur de l’engin – c’est-à-dire ce V10 d’anthologie qui, comme le reste de la voiture, doit tout à l’ingénierie germanique. Pour autant, il ne s’agit en aucun cas d’une Audi recarrossée ; la firme allemande a très intelligemment su préserver l’identité de son vassal italien en concevant une berlinette en tous points respectueuse de l’ADN Lamborghini, tout en bannissant les approximations d’une créature artisanale comme la Jalpa, lointaine devancière de la Gallardo. C’est précisément ce qui a assuré le succès de la formule et a permis à la marque d’atteindre une nouvelle clientèle mais, deux décennies plus tard, quel regard les collectionneurs d’aujourd’hui doivent-ils porter sur l’auto ?

La monoculture est un danger

La Silhouette présentée en 1976 puis la Jalpa qui lui succéda cinq ans plus tard n’ont jamais réellement convaincu et n’ont pu faire que de la figuration en face des Ferrari 308 et 328, écoulées à près de 20 000 unités en quinze ans là où les « petites » Lamborghini ne trouvèrent péniblement qu’un peu plus de 450 acheteurs jusqu’en 1988. Pas facile d’exister à l’ombre d’une Countach qui prenait alors toute la lumière, nous direz-vous ? Sans aucun doute mais, à la vérité, les qualités intrinsèques des huit-cylindres de la marque étaient également en cause, imposant des coûts d’utilisation et de réparation élevés ainsi, et surtout, qu’une fiabilité que les esprits les plus bienveillants qualifieront de discutable. Retombée dans une stricte monoculture après l’abandon de la Jalpa puis du très baroque LM002, la gamme de Sant’Agata Bolognese semblait devoir se résumer aux berlinettes à moteur V12, construites à quelques centaines d’exemplaires par an et dont les rivales n’étaient pas légion – on pense spontanément aux Ferrari BB puis Testarossa, à la McLaren F1, à l’éphémère Bugatti EB110 ou, de façon plus ponctuelle, à la Porsche 959 ; soit un spectre concurrentiel aussi restreint que la clientèle potentielle de ces supercars et dont l’étroitesse comportait, à terme, un risque existentiel pour Lamborghini.

L'espoir vient de Bavière

Pourtant, au milieu des années 1990, le projet Calà, issu du prototype P140, abouti et prometteur, semblait parti dans la bonne direction. Il s’agissait alors de (re)descendre en gamme en flanquant la sulfureuse Diablo d’un modèle plus abordable et – déjà – animé par un dix-cylindres. Un prototype dessiné par Giorgetto Giugiaro et entièrement fonctionnel fut même exposé lors du Salon de Genève 1995… Malheureusement, les vicissitudes liées à la destinée mouvementée de Lamborghini – qui changea trois fois de propriétaire en dix ans – ne permirent pas à l’auto d’atteindre le stade de la commercialisation. On en était là lorsque, par le truchement d’Audi, le groupe Volkswagen finit par mettre la main sur l’entreprise. Rappelons qu’à cette époque, Ferdinand Piëch s’était lancé dans une véritable boulimie d’acquisitions en tous genres à l’issue de laquelle, en plus de la firme italienne, Bugatti et Bentley rejoignirent elles aussi le portefeuille des marques détenues par VW. Suivant l’exemple de Ford, qui avait su remettre Aston Martin puis Jaguar à niveau tout en préservant leur identité, Audi allait sauvegarder celle de Lamborghini, en trois étapes décisives : corriger les errances de la Diablo afin de lui assurer une fin de carrière aussi sereine que possible ; préparer la succession d’icelle en renforçant la crédibilité de la marque dans le segment des supercars ; enfin, concrétiser le projet d’un modèle d’accès, susceptible de rivaliser valablement avec Ferrari ou Porsche… et surtout de se vendre correctement !

Le hasard n’a plus de place dans une Lamborghini

Quand il essaya la Gallardo pour la première fois, à la grande époque de Top Gear, Jeremy Clarkson s’avoua quelque peu déçu par le manque de flamboyance de l’engin, en dépit de ses indéniables qualités de fond. Car, cette fois, la nouvelle Lamborghini ne se contentait pas des chronos ébouriffants auxquels les Italiens nous avaient habitués – généralement suivis d’un affolement généralisé des manomètres puis de l’allumage de témoins d’alerte annonciateurs de sérieux emmerdements. Bien au contraire, rigoureusement conçue et construite, bénéficiant d’une qualité de finition plus germanique que transalpine et ergonomiquement irréprochable, l’auto avait gagné en rectitude ce qu’elle avait sans doute perdu en matière de poésie mécanique. De la sorte, il était désormais possible de démarrer le moteur sans demander, la sueur au front et les mains moites, si la voiture n’allait pas prendre feu dans les minutes qui allaient suivre ou si la balade dominicale n’allait pas piteusement s’achever sur le plateau d’une dépanneuse. Une Lamborghini pour tous les jours, en somme – les seules restrictions d’usage se limitant désormais aux contraintes d’une garde au sol peu compatible avec les innombrables ralentisseurs dont bien des rues étaient déjà parsemées. Mais aussi une authentique sportive, tout à fait capable d’engager la conversation avec une Porsche 996 GT2 ou une Ferrari 360 Modena, cette dernière constituant, comme on pouvait s’en douter, la cible privilégiée de la Gallardo !

Une nouvelle dimension

Développé chez Audi, le dix-cylindres n’essaie pas de dissimuler ses origines ; ses valeurs d’alésage et de course sont les mêmes que celles du V6 3 litres bavarois, largement répandu en ce temps-là sous les capots des A4 et A6. Il en reprend aussi l’angle d’ouverture de 90° – certes pas le plus favorable pour un V10, mais il suffit de prendre le volant de l’auto pour être rassuré par son caractère, en tous points conforme aux promesses d’une fiche technique qui semble calibrée pour terrasser la 360 Modena. La Gallardo dispose ainsi de 500 ch, soit exactement 100 de plus que sa rivale ; le couple atteint pour sa part la confortable valeur de 510 Nm à 4500 tours/minute (versus 372 Nm à 4750 tours pour la Ferrari). Bien sûr, et malgré une construction en aluminium chère à qui vous savez, la Lamborghini s’avère plus lourde de 40 kilos que la voiture de Maranello, en raison de la présence – imposée en début de carrière – d’une transmission intégrale distribuant 70 % de la puissance sur le train arrière. Capable dès l’abord de dépasser les 300 km/h et habillée d’une carrosserie due au talent de Luc Donckerwolke, à la fois suggestive et modernisant habilement les fondamentaux de la marque, la Gallardo va immédiatement connaître le succès ; Lamborghini en produira plus de 14 000 exemplaires en dix ans – un record absolu pour la firme, que la Huracán, qui a pris le relais en 2013, a d’ores et déjà battu.

La raison peut aussi être passionnante

Au-delà de la performance commerciale, qui a littéralement fait basculer le destin de Lamborghini, passé d’une production artisanale et confidentielle à la rigueur de process industriels très éloignés des divagations d’autrefois, la Gallardo a pour principal mérite d’avoir établi la légitimité de son constructeur dans un segment de marché qu’il n’avait jamais réussi à investir réellement, faute de moyens pour assurer une qualité de production digne des caractéristiques de ses voitures. Idéales pour frimer à basse vitesse sur les Champs-Élysées, les Lamborghini ont longtemps été des créatures aussi fantasmatiques que fragiles et difficilement utilisables, en particulier lorsque l’on s’avisait de les pousser dans leurs retranchements, ce que d’ailleurs peu de propriétaires osaient faire. La Gallardo, qui a emprunté le meilleur de l’ingénierie allemande pour y parvenir, a choisi un tout autre chemin, sans rien perdre de ses capacités de séduction et sans jamais cesser d’évoluer (il faudrait un livre entier pour en détailler les innombrables variantes et séries limitées, en berlinette ou Spyder, en quatre ou deux roues motrices). Ceux qui la trouvent trop sage n’ont en général pas pris la peine d’effectuer un galop d’essai son volant et, aujourd’hui encore, les berlinettes à moteur central de ce calibre ne sont pas si répandues – même s’il se trouvera toujours des cuistres pour faire remarquer qu’une puissance de 500 ch est presque devenue banale de nos jours. En attendant, ces chevaux-là ont le bon goût de demeurer absolument thermiques, si vous voyez ce que je veux dire… à vous de savoir en profiter, d’autant que l’offre est abondante sur le marché !

4961 cm3Cylindrée
500 chPuissance
309 km/hVmax



Texte : Nicolas Fourny

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