Taxis G7: la multinationale qui avait peur d'Uber
Difficile d’écrire et de faire normalement des articles aujourd’hui tant le web bruisse du conflit entre chauffeurs de taxis et Uber. Comme certains de mes confrères blogueurs (lire aussi : Miss280ch: honte aux taxis voyous, stop aux amalgames sur les VTC), j’ai une certaine expérience des taxis parisiens (j’ai vécu près de 32 ans à Paris), dont je vous épargnerais les détails (ça serait trop long). J’ai une toute petite expérience d’Uber, mais j’ai pu aussi constater le service incroyable proposé, ce service que l’une de mes consoeurs loue à raison (lire aussi : En Voiture Carine: lettre d’amour à mon VTC). Mais là n’est pas le débat.
Ce qui m’a fait bondir aujourd’hui, outre le blocage scandaleux de tout Paris pour servir des intérêts économiques discutables, c’est l’interview sur France Info de Serge Metz, patron des taxis G7, parlant de concurrence déloyale (à écouter ici : Interview de Serge Metz par France Info). Entendre parler le patron d’une multinationale crachant du cash comme personne se positionner en victime d’une autre multinationale plus maline que lui, c’est assez piquant.
En amateur d’histoire automobile, forcément, entendre la G7 se positionner en victime me fait doucement marrer. Surtout que dans ce conflit, on met bien en avant les artisans (ayant dépensé de façon idiote à cause d’une pénurie organisée plus de 200 000 euros pour leur plaque censée être gratuite), qui auraient du mal à s’en sortir (si ce métier était si peu rémunérateur, pourquoi alors s’endetter pour cette fameuse plaque à 200 k?). Ou comment réduire le monde des taxis à ces artisans, minoritaires, en omettant de parler de ces milliers de chauffeurs salariés d’une multinationale centenaire ou loueurs de véhicules et de plaques de cette même compagnie.
La G7 victime d’une concurrence déloyale ? Allons, restons sérieux. Créée en 1905 par le Comte Waleski (un descendant de Napoléon) et par le Baron Rognat, la Compagnie française des automobiles de place, soutenue par la Banque Mirabaud (une banque genevoise encore en activité aujourd’hui) n’a dès le départ rien à voir avec une société philanthropique ! Elle deviendra G7 suite à l’immatriculation accordée à ses taxis par la préfecture.
On connaît sa participation glorieuse à la bataille de la Marne en 1914, les fameux « taxis de la Marne », mais on connaît moins son histoire, digne d’une success story. Par le biais de rachat successifs, la compagnie se retrouve filiale de Simca, et un de ses cadres profite de la volonté du constructeur de s’en désengager pour racheter la belle endormie. Il s’agit d’André Rousselet, qui n’a rien à voir avec le monde des Bisounours.
L’homme est un financier, et un habile marketeur. Il fera de la G7 en son temps ce qu’est en train de devenir Uber aujourd’hui : une société bouleversant le marché à coup d’innovations technologiques et d’offres marketing intelligentes. J’imagine comme les chauffeurs de taxi indépendants ont dû être contents de voir arriver, en 1964, la première centrale de réservation de taxi par téléphone et radio-téléphone : une sorte d’application Uber avant l’heure. Mais au lieu de créer le bordel que l’on voit aujourd’hui, cette innovation obligera les compagnies concurrentes (les taxis bleus) à suivre (puis à se faire racheter par la G7 acquérant un quasi monopole) et les indépendants à s’affilier. Comment verrouiller le marché à moindre frais.
André RousseletEn 1985, c’est l’heure aussi de rénover le service, en proposant aux entreprises le service « Club Affaire » sur abonnement, une manne qui permettra les abus que l’on connaît aujourd’hui grâce à Agnès Saal, qui après s’être fait pincée pour des notes faramineuses lors de sa présidence de l’Ina, se voit rattrapée par la même idiotie avec le Centre Pompidou (lire aussi : Le Monde: Agnès Saal aurait dépensé 38 000 euros en taxis au Centre Pompidou).
Entre temps, Rousselet a déjà fortune faite, et n’hésite pas à devenir le pourfendeur des monopoles en créant Canal Plus sur un modèle totalement nouveau en France : le cryptage et l’abonnement. Le tout soutenu par le camarade Mitterand, pas toujours aussi à gauche qu’il ne le prétend quand il s’agit d’aider les vieux copains capitalistes. A l’époque, on crie à la concurrence déloyale : ironie du sort, c’est aujourd’hui la G7, toujours propriété de la famille Rousselet, qui pousse les même cris via son PDG Serge Metz devenu porte parole d’une profession qui lui rapporte des millions.
Je n’ai pas fait une enquête très poussée, je l’avoue. Je suis juste allé regarder les comptes publiés sur le site de la G7 pour me faire une idée. Les comptes sont présents jusqu’en 2012. A cette date, le chiffre d’affaire du groupe en propre s’élève à 318 millions d’euros, pour un résultat net de 23 millions. Si ce chiffre d’affaire comprend aussi la location de voiture (Ada) fragilisée par Blablacar, on s’aperçoit aussi qu’il comprend certes la centrale de réservation, l’activité en propre de taxis, mais aussi la vente de matériels destinés aux taxis. Autant dire que pour la G7, qui se cache derrière toute une profession, l’enjeu est énorme (lire aussi :Chiffres G7).
Car si Uber prenait l’ascendant (ce qui risque de se passer vues les réactions sur le net), c’est tout le business bien rôdé d’une firme ultra rentable qui s’effondrerait, attaquée sur deux fronts par les nouveaux entrepreneurs du web. Si d’un côté Uber et de l’autre Blablacar s’imposaient, que resterait-il à la G7 ? Alors, il devient facile de comprendre l’implication que peut avoir la vieille centenaire derrière ce tohu-bohu ! Car la belle ne supporte pas de voir qu’elle est à la traîne, elle qui avait jusque là réussi à s’imposer à coup d’innovations.
En même temps que la G7 fustige Uber, et jette de l’huile sur le feu en manipulant les chauffeurs salariés (dépendant de G7), locataires (louant à la G7) ou artisans (pas si mal lotis), elle retrouve la gniac d’antan en se réinventant. Serge Metz annonce ainsi qu’il va lancer un nouveau service destinée à la clientèle « jeune » rentrant bourrée de soirée (quasi sic), comme on peut le lire sur le Huffington Post (lire aussi : Huffingtonpost: La G7 propose des services moins chers pour les jeunes). La G7 qui a aussi lancé l’application WeCab, le taxi partagé, ou e-Cab, une appli haut de gamme ! Comme quoi ! Une saine réaction mais qui fait de la G7 un suiveur plutôt qu’un leader comme avant !
Je n’ai rien contre la G7, belle entreprise française, souvent innovante et pertinente, mais qui s’était sans doute endormie sur ses laurieurs, et qui se retrouve attaquée par plus malin qu’elle (l’arroseur arrosé quoi!). Mais peut-être était-il temps d’en parler pour compléter la connaissance du monde des taxis volontairement rendu opaque par un système compliqué, archaïque, servant les intérêts de quelques acteurs, pas forcément chauffeurs !
[EDIT] En complément, un article très intéressant de l’Obs sur la G7, ressorti opportunément 3 heures après la publication de cet article…: Comment le roi des taxis compte contrer Uber au détriment des clients !