

Dans ce monde chaotique où les certitudes absolues se font rares, il est cependant une assertion difficilement contestable, à l’heure du downsizing, de la généralisation des turbos et de l’électrification triomphante : il n’y aura plus jamais de M3 à moteur V8 ! Il y a une quinzaine d’années – c’est-à-dire une quasi-éternité – les choses étaient bien différentes et l’augmentation continue du nombre de cylindres, associée à des capacités thoraciques de plus en plus importantes, semblait la voie à suivre pour que survivent, le plus longtemps possible, les « gros » moteurs. Avec le recul du temps, l’apparition de la M3 de quatrième génération n’aura été qu’un magnifique chant du cygne après lequel BMW dut, comme les autres constructeurs européens, accepter les diktats de la dépollution, aboutissant à la conception de moteurs plus petits et systématiquement suralimentés. Ceux-ci n’ont certes pas démérité en termes de performances pures, mais peuvent-ils rivaliser avec le charisme du V8 S65 ? Poser la question, c’est y répondre…



D’un chef-d’œuvre à l’autre
À chaque fois qu’une génération de BMW M3 s’apprête à tirer sa révérence, la question est toujours la même : vont-ils réussir à faire mieux ? Interrogation ô combien prégnante et qui, à la vérité, concerne tous les manufacturiers capables de concevoir des automobiles de ce calibre. À ce niveau de performance et de sophistication mécanique, la tâche s’avère aussi ardue que passionnante pour l’ingénieur comme pour le styliste – Porsche l’avait d’ailleurs, en son temps, fort bien résumée par le truchement du slogan « Se dépasser, la seule course qui ne finit jamais » – d’autant qu’elle recèle un épineux dilemme : faut-il s’inscrire dans une continuité rassurante ou, au contraire, tenter la disruption ? Dans le cas de la M3, après une E46 qui, somme toute, se contentait d’optimiser les caractéristiques de sa devancière, la division M du constructeur munichois a choisi la seconde option lorsqu’il s’est agi de renouveler la Série 3 sommitale. Oh, bien sûr, la rupture n’a pas été totale, loin s’en faut : à leur apparition, les M3 E92 (pour le coupé), E93 (pour le cabriolet) et E90 (pour la berline) sont toujours des machines tout à la fois redoutablement rapides et d’une polyvalence inaccessible à une 911 – modèle auquel je songe tout à fait fortuitement, chacun l’aura compris…
L’avènement du V8
Sur ce plan, la recette mise au point au début des années 1990 pour la génération E36 n’a pas fondamentalement changé : la M3 demeure l’une des très rares automobiles agrégeant des performances dignes d’une bonne GT contemporaine et des aspects pratiques – habitabilité, confort général, capacité d’emport – qui lui permettent d’assurer un service quotidien avec une grande docilité. Pourtant, le coupé présenté à l’automne 2007 transige, pour la première et unique fois dans l’histoire du modèle, avec une tradition indissociable de la firme : le glorieux six-cylindres en ligne qui faisait les beaux jours de la M3 depuis quinze ans cède la place à un V8 inédit à ce niveau de gamme chez BMW, répondant ainsi à l’offensive lancée par Mercedes-Benz avec sa confidentielle C 55 AMG dévoilée trois ans plus tôt et elle aussi dotée d’un huit-cylindres. On pourra toujours objecter que la philosophie de la C-Klasse, exclusivement disponible avec une boîte automatique, n’est pas tout à fait comparable à celle de la M3 ; de fait, la génération E90 est, à ses débuts, proposée uniquement avec une boîte manuelle ; il n’empêche que la comparaison entre les deux voitures vient spontanément à l’esprit, tandis que les caractéristiques du nouveau V8 BMW rappellent l’autre Bavarois du plateau – j’ai nommé le 4,2 litres blotti depuis 2006 sous le capot de l’Audi RS4…

La guerre des trois
Car, indéniablement, la nouvelle M3 – que BMW va, à partir de 2008, équiper pour la première fois d’une transmission DKG (pour Doppelkupplungsgetriebe) à double embrayage, heureusement disponible en option – entend rendre coup pour coup à ses deux compatriotes et son nouveau moteur constitue l’outil idéal pour y parvenir. Au demeurant, BMW pouvait-il se cantonner à son six-cylindres historique sans paraître renoncer à la course à l’armement initiée par ses principaux rivaux ? L’ère des turbos n’a pas encore commencé et c’est l’époque où, dans Sport Auto, on peut lire que les Mercedes ressemblent de plus en plus à des BMW et où, chez Audi, la RS4 « B7 » a semblablement gagné deux cylindres en renonçant aux turbos de l’ancien modèle… Au reste, la RS4 et la M3 se rejoignent en termes de puissance pure : 420 ch à Ingolstadt comme à Munich – mais la BMW l’obtient à 8300 tours/minute, c’est-à-dire 500 tours plus haut que l’Audi. Présentée elle aussi en 2007, la nouvelle Mercedes C 63 AMG, pour sa part, a choisi d’écrire une partition très différente avec un groupe d’anthologie, qui use d’une cylindrée 55 % plus élevée que le moteur BMW pour offrir 457 ch et, surtout, un couple digne d’un big block américain, sans pour autant renoncer aux hauts régimes. Pourtant, et en dépit d’une puissance moindre, la M3 s’avère plus équilibrée que la Mercedes, plus facile à maîtriser, plus subtile dans ses attitudes dès que la route se met à tourner – et aussi, ajouterons-nous avec un soupçon de perfidie, moins gourmande en pneumatiques…
Si j’avais un marteau
Si la C 63 est un marteau, la M3 est un scalpel. Et son V8 – lui aussi atmosphérique – se comporte de façon très différente du moteur AMG. S’il n’a rien à voir avec le S62 que l’on a notamment connu dans la M5 E39, il ne s’agit pas non plus d’un groupe totalement nouveau, puisqu’il dérive en droite ligne du V10 de la M5 E60 connu depuis 2004. Les deux moteurs partagent course, alésage et un certain nombre de composants mais, au-delà de l’écart de puissance, c’est le double VANOS propre à la M3 qui fait la différence, avec un couple maximal de 400 Nm disponible dès 3900 tours, là où celui de la M5 se perche 2200 tours plus haut ! À l’usage, la séduction du S65 opère dès les premiers instants ; ce V8 aussi éphémère qu’exclusif – il disparaîtra du catalogue BMW dès 2013 et n’aura animé que la M3 – est, plus encore que le S50 de la M3 E36 et avec une tessiture très différente, susceptible d’accepter tous les styles de conduite, du plus paisible au plus entreprenant. Esthétiquement plus discrète que la tonitruante E46 – notons toutefois que la M3 berline reprend, en exclusivité, le museau du coupé –, l’auto pourrait presque passer pour une sorte de sleeper dont les années n’ont pas périmé les ressources. Aujourd’hui encore, ses chronos (équivalents à ceux d’une Porsche 997 Carrera S) demeurent impressionnants dans l’absolu, même si les M3/M4 actuelles tirent 90 ch supplémentaires de leur « six pattes » suralimenté et poussent donc la plaisanterie nettement plus loin… À l’heure actuelle, cette génération de M3 n’est pas rare sur le marché ; les versions « courantes » (nous aborderons prochainement les M3 E90 « spéciales ») sont accessibles à partir de 40 000 euros, les plus beaux exemplaires pouvant prétendre à 10 000 euros de plus ; le rapport prix/performances/plaisir ne connaît donc guère d’équivalent. Notre conseil : choisissez-la avec la boîte manuelle !






Texte : Nicolas Fourny