Volvo 244 DLS : "Ich bin Millionär"
En faisant revivre hier sur les réseaux sociaux l’article sur l’arnaque aux 1000 Volvo nord-coréenne (lire aussi : L’arnaque aux 1000 voitures), je ne pensais pas qu’il rencontrerait à nouveau un tel succès. Cela m’a alors refait pensé à une petite anecdote concernant une fois encore la marque suédoise, qui s’est déroulé cette fois-ci en Allemagne de l’Est.
Connaissez-vous la Volvo 244 DLS ? Non ? Pourtant, il s’agit bien d’un modèle « officiel » de chez Volvo, sans doute l’un des plus rares de la série 240/260. Sa biographie casse déjà tous les records : produit pendant une année seulement (1977), à 1000 exemplaires seulement (si c’est pas de la série limitée ça), commercialisé pendant un seul mois, et seulement à Berlin Est (et pas ailleurs en RDA), et à un prix prohibitif de près de 50 000 Ostmarks (pour comparaison, une Trabant en valait 12 000!). Pour pouvoir l’acheter, il fallait pouvoir justifier d’avoir été propriétaire d’une Trabant ou d’une Wartburg pendant plus d’un an (lire aussi : Wartburg 353). En bref, il s’agit de l’opération marketing la plus loufoque de tous les temps !
A la décharge de Volvo, ce n’est pas sa filiale Ouest-allemande qui l’a organisé, mais bien le ministère de la Propagande de la RDA. Qu’est-ce que c’est que cette histoire de fou me direz-vous ? C’est une histoire assez simple en fait. Les « nantis » du régime, les hauts dignitaires et grand commis de l’Etat avaient tendance à trouver la production nationale pas assez « haut de gamme » ni moderne, et ne se satisfaisaient pas des modèles des pays frères (Tatra, Zil, Volga), pas assez valorisant ni d’une très grande qualité. Erich Honecker lui-même, au pouvoir depuis 1976, ne jurait que par Volvo et Citroën (lire aussi : La Stasi roulait en Citroën).
Impossible cependant d’importer les belles berlines, BMW ou Mercedes, produites dans «l’autre Allemagne », ni d’acheter américain. Restaient donc les pays non-alignés comme la Suède (qui en outre se présentait comme « socialiste », même s’il n’avait rien à voir avec celui pratiqué en RDA). D’ailleurs, la Suède l’avait prouvé en 1974 en Corée du Nord : elle n’était pas contre s’implanter dans les pays communistes. C’est ainsi qu’un accord fut trouvé (la RDA paiera ces 1000 Volvo en « échange marchandise », autant dire du troc!), et que ces 1000 Volvo furent importées à Berlin-Est.
Ce modèle spécifique se caractérise par son côté hybride : la 244 DLS dispose de la finition et de la face avant de la 264, mais du moteur 4 cylindres B21 de 2,1 litres et 107 ch de la 244. Seuls quelques coloris étaient proposés : blanc, bleu, jaune (moutarde), rouge et vert (foncé). Des couleurs très en vogue dans cette Allemagne des années 70. Si officiellement tous les allemands de l’Est pouvaient s’inscrire pour acheter une 244 DLS, en réalité, vu le prix mais surtout la discrétion de l’opération (qui ne fut jamais annoncée dans les médias, juste par le bouche à oreille), seuls quelques privilégiés purent se la procurer, artistes, fonctionnaires, membres haut placés du Parti ou militaires de haut grade.
Notez bien sur cette photo d’époque l’immatriculation « IBM »D’ailleurs, les Volvo devinrent vite un sujet de plaisanterie dans tout Berlin-Est. La petite ville de Wandlitz, à 30 km au nord de Berlin où les pontes du régime étaient logés dans une sorte de « zone pavillonnaire surveillée » fut rapidement surnommée Volvograd. Surtout, toutes les Volvo furent vendues et immatriculées en même temps, ce qui fait que leurs plaques commençaient toutes par les trois lettres IBM, ce que les berlinois traduisirent vite par « Ich bin Millionär » (« je suis Millionnaire » en allemand). Malgré tout, pendant longtemps, ces berlines sûres, modernes et confortables furent très recherchées en seconde main. En 1988, une occasion fortement kilométrée pouvait se vendre 70 000 Ostmarks.
L’autre raison qui motiva le ministère de la propagande à acheter des Volvo relevait plus de la communication. Berlin-Est était une vitrine de la RDA, et il semblait plus logique de présenter un visage ouvert vers l’Ouest. Il fut donc décidé de panacher un peu les automobiles dans les rues berlinoises. Ces Volvo en furent l’exemple, mais on trouvai aussi des Citroën GS (utilisées notamment pas la Stasi), venant d’un pays, la France, qui ne faisait plus partie de l’OTAN : l’honneur était sauf.
La 264 Top ExecutiveD’ailleurs, pour ses très hauts fonctionnaires ou ses ministres, la RDA importa aussi plusieurs exemplaires (payés eux en monnaie sonnante et trébuchante) de la Volvo 264 Top Executive fabriquée par Bertone en Italie puis par Nilsson en Suède : une version limousine de la 264, dont un exemplaire fut même transformée en Landaulet. Pour compléter ces achats, plusieurs exemplaires de la Volvo 245 Transfer furent achetés aussi au début des années 80 (version allongée du break 245).
La 245 TransferAujourd’hui, il reste bien peu d’exemplaires en bon état de cette Volvo 244 DLS, mais on en trouve à vendre particulièrement en Allemagne, et à des prix très variables (j’ai trouvé des annonces à 3000 euros, mais une autre à 12 900 euros). Si l’envie vous prend de chercher une voiture vraiment rare et historiquement intéressante, à vos ordinateurs !