Russo-Baltique Impression : la renaissance avortée de la marque du Tsar
La renaissance d’une marque est toujours une aventure fascinante, mais l’exercice est souvent périlleux, et rarement couronné de succès. L’histoire automobile est jalonnée de ces phoenix éphémères, de ces tentatives ratées, comme la période italienne de Bugatti (lire aussi : Bugatti EB110), ou la tentative de relance d’Iso-Rivolta (lire aussi : Iso Rivolta Grifo 90), ou même celle d’Isotta-Fraschini (lire aussi : Isotta-Fraschini T8 et T12) , trois exemples parmi tant d’autres échecs. La Russie n’échappe pas à la règle : elle aussi dispose de fous furieux, d’ingénieurs ou de designers désireux de connaître la gloire, et d’investisseurs prêts à perdre des sommes folles pour satisfaire leur ego ; voilà donc l’histoire du coupé Russo-Baltique Impression qui devait séduire une quinzaine de riches magnats russes et relancer cette antique marque lettone.
Tout commence à Moscou en 2002, lorsque la société A:level lance un concours de design ouverts à tous les designers, étudiants ou professionnels, afin de créer un coupé s’inspirant des années 30. A cette époque, A:level s’était fait connaître grâce à son évocation de Volga sur base BMW série 8 à moteur V12 (lire aussi : A:level Volga V12). Une entreprise plutôt sérieuse, travaillant avec soin. C’est un designer géorgien, Zviad Tsikolia, qui remporte le concours. Avec l’aide d’autres designers, une maquette à l’échelle 1 va être réalisée. Cette maquette va séduire un certain Victor Taknovym (ou Victor Taknov), millionnaire et propriétaire des droits sur la marque Russo-Baltique. Il va investir 2 millions de dollars dans le projet.
Faisons une petite parenthèse : la marque Russo-Baltique fut créée en 1907 (du moins la division automobile d’une société fabriquant des wagons de chemin de fer à Riga depuis 1869). Rapidement, la marque va devenir la préférée du Tsar Nicolas II qui l’autorisera à arborer l’aigle bicéphale, symbole impérial, sur ses bouchons de radiateurs. Les Russo-Baltiques pénètrent ainsi dans le garage du Tsar, alors dirigé par l’ingénieur et mécanicien français Adolphe Kégresse. Ce dernier, pour permettre au Tsar de circuler même en hiver, va modifier un modèle Russo-Baltique C24/40 en y ajoutant des chenilles à l’arrière, créant ainsi ce qu’on appellera « l’auto-chenille ». Ce système breveté sera revendu à Citroën où Kégresse dirigera à partir de 1919 le département « tout-terrain » : vous connaissez la suite, avec les fameuses « Croisières », noire d’abord, puis jaune, et enfin blanche (nous y reviendrons). Bref, avec la révolution bolchévique de 1917, Russo-Baltique est nationalisée. La production d’automobiles durera encore quelques années, mais finira par s’arrêter en 1926.
Une Russo-Baltique C24/40 transformée en auto-chenille par Adolphe Kegresse pour le compte du Tsar Nicolas IIRevenons à nos moutons. La marque Russo-Baltique ne connaîtra jamais les années 30, mais Taknovym qui dispose de la marque voit en ce coupé évocateur de cette époque un bon moyen de faire renaître la marque dont il dispose des droits. En 2005, A:level et Taknovym vont faire appel à la société allemande GREG GmbH, spécialiste de la réalisation de concept-cars pour les constructeurs allemands, et fabricant de pièces de haute technologie pour la Formule 1 et le DTM. C’est dans ses ateliers près de Munich que va être réalisé le premier prototype du coupé Russo-Baltique, dénommé Impression.
Durant l’année 2006, l’équipe de GREG va donc donner vie à l’Impression. La base sera la Mercedes CL65 AMG, qui fournira châssis et moteur, un V12 de 555 chevaux. La carrosserie restera assez fidèle au projet initial et à la maquette réalisée par A:level. A noter tout de même des portes à ouverture en élytre inversées. Le carbone est prépondérant, sauf à l’intérieur où le bois précieux un peu tape à l’oeil se marrie avec le cuir. Pas de ciel de toit dans l’Impression, mais un immense toit en verre. L’ensemble est un peu tapageur, un peu clinquant, mais pas forcément moche. Enfin, c’est bizarre quoi, sans pour autant choquer.
En tout cas, la voiture est prête pour sa première présentation officielle, à l’été 2006, au concours d’élégance de la Villa d’Este. Nos amis russes sont confiants, et pensent même pouvoir commencer une production en série. Au moins un client aurait déjà signé, il en faudrait deux autres au moins pour lancer la production. Déjà, on imagine une série limitée à 15 exemplaires, et le lancement d’une GT 2 places plus accessible dans la foulée. L’Impression sera aussi exposée au Salon de Genève 2007… puis on n’en entendra plus parler.
L’Impression est présentée à la Villa d’Este en 2006Que s’est-il passé ? Russo-Baltique comptait séduire les nouveaux milliardaires russes en jouant sur la corde patriotique. C’était sans compter la crise de 2008 qui fit fondre bien des fortunes russes. Sans oublier les disgrâces de certains oligarques auprès de Poutine, les obligeant à la discrétion, à l’exil, à la spoliation parfois, voire même à la prison pour certain : bref, le marché escompté se réduisait à peau de chagrin, et le projet fut purement et simplement abandonné… Jusqu’à ce qu’il réapparaisse dans le courant des années 2010 d’une façon bizarre : on retrouve désormais le fameux coupé Russo-Baltique Impression sur le site internet du fabricant de 4×4 blindés du plus mauvais goût Dartz (lire aussi : Dartz). Une Vodka « Russo-Baltique » est aussi proposée sur le site de Dartz, marque lettone qui se revendiquait elle-aussi descendante de l’antique marque de Riga.
Par quel hasard le concept-car Impression s’est-il retrouvé dans l’escarcelle de Dartz ? Mystère. Ce qui est sûr c’est qu’aucun autre exemplaire n’aura jamais été construit, aussi n’espérez pas trop pouvoir un jour l’acquérir. Mais en Russie, rien n’est jamais sûr puisqu’on trouvait à vendre le dernier prototype de Zil dans les petites annonces il n’y a pas si longtemps (j’y reviendrai bientôt)
La Russo-Baltique Impression sur le site de Dartz