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Porsche Cayenne : bien plus cool que vous le pensez

Par Nicolas Fourny - 26/04/2023

« Dans l’absolu, la démonstration demeure impressionnante aujourd’hui encore et les accélérations de l’engin peuvent vite devenir addictives, d’autant que les acousticiens stuttgartois ont soigneusement travaillé la tessiture du V8 »

Bien des gens, issus de milieux très divers, le répètent sans discontinuer depuis déjà vingt ans : le Cayenne cumule à peu près tous les défauts. « Ce n’est pas une vraie Porsche », grognent les puristes. « C’est une voiture de beauf », persiflent les amoureux du Range Rover. « Les gros SUV devraient être interdits », soupirent les Khmers verts. « C’est moche », regrettent les esthètes. Apparemment, les seuls qui sont satisfaits dans l’affaire — hormis bien sûr le constructeur de l’engin —, ce sont les pompistes, les assureurs et les garagistes (car, grief ultime, la fiabilité du bestiau n’aurait pas grand-chose à voir avec celle d’un Toyota Land Cruiser). Deux décennies après son apparition, la première génération de Cayenne est désormais accessible au plus grand nombre et, que cela plaise ou non, ne tardera plus à être considéré comme un authentique youngtimer. Il nous a donc paru judicieux de réexaminer son cas…

 

C'est une Porsche à moteur avant qui a sauvé la boutique

Au fil de son histoire, Porsche a souvent tenté de s’extraire de la monoculture 911. Il y eut tout d’abord la 914 de 1969, développée en partenariat avec VW — échec cuisant —, puis la série des « PMA » — 924, 944, 968, 928 —, qui connurent un certain succès commercial mais ne parvinrent pas à détourner les porschistes invétérés de l’icône à moteur arrière. De sorte qu’au mitan de la décennie 1990, Zuffenhausen se retrouva dans une position délicate, de retour à son point de départ après l’abandon de ses derniers modèles à moteur avant. C’était toutefois compter sans la détermination et le talent d’un manager d’exception nommé Wendelin Wiedeking. Arrivé à la tête de l’entreprise en 1993, l’homme l’a si profondément transformée qu’il n’est pas excessif de parler d’une véritable révolution lorsque l’on détaille l’ampleur des changements qu’il a mis en œuvre, qu’il s’agisse des processus de fabrication, du plan produit ou de la stratégie. C’est sous son égide que Porsche est devenu le constructeur le plus rentable du monde, réussissant l’exploit de multiplier les volumes de production par 10 en quinze ans, sans que cela nuise le moins du monde à son image de marque. Et s’il est un modèle qui personnifie la substance de ce bouleversement, c’est bien le Cayenne, premier SUV lancé par la firme en 2002, et qui provoqua dès lors — c’est le moins que l’on puisse dire — des réactions contrastées…

L'intrus qui venait de Leipzig

Tout le monde est d’accord : le premier tout-terrain de luxe, c’est bien le Range Rover de 1970 (bien qu’il faille reconnaître que l’habitacle des premiers exemplaires était tout de même très loin d’offrir un agrément comparable à celui d’une Jaguar). La matrice des SUV premium européens est donc venue de la froide et secrète Angleterre, mais il a tout de même fallu attendre plus d’un quart de siècle pour voir surgir les premiers rivaux véritables du Range, sous la forme de la Mercedes-Benz ML et du BMW X5 — les Jeep Grand Cherokee et Land Cruiser HDJ 80 ne jouant pas tout à fait dans la même catégorie. À l’aise partout et tout aussi capable de jouer les franchisseurs que les limousines (du moins quand il n’était pas en panne), le Range avait rapidement séduit une clientèle de happy few peu concernée par les expéditions sur les pistes africaines mais soucieuse de pouvoir rallier les chemins gadouilleux de Sologne ou les verts pâturages du Kent sans être stoppée par la première ornière venue. C’est à cette même tribu que s’adressaient les nouveaux venus, désireux de capitaliser sur la réputation de leurs blasons respectifs et, au vrai, personne ne remit en cause la légitimité de Mercedes ou de BMW sur ce segment. Néanmoins, il n’en fut pas de même lorsque la presse spécialisée commença à évoquer un projet de 4×4 Porsche, conçu de surcroît avec Volkswagen ! Comment un constructeur de voitures de sport pouvait-il envisager de produire l’un de ces gros breaks surélevés, dont le poids et le centre de gravité étaient à l’évidence incompatibles avec l’amour du pilotage qui constituait l’ADN de la marque ? Y avait-il une place (sur le marché et dans le cœur des porschistes) pour une voiture banalement dotée de cinq portes, comme n’importe quelle familiale généraliste ? Porsche allait-il se contenter d’apposer son logo sur un trivial dérivé de Passat ou d’Audi A6 ? Ces questions, je me les suis également posées et l’honnêteté me commande d’écrire qu’au Mondial de l’Automobile 2002, la découverte du Cayenne ne m’enchanta pas particulièrement de prime abord. Jusqu’à ce que je commence à pratiquer véritablement l’auto…

Une vraie Porsche (et un vrai tout-terrain)

Car, à l’instar de la Renault 12 Gordini, de la Bentley Continental GT ou de la Lada Niva, le Cayenne est typiquement le genre de bagnole dont les contempteurs les plus virulents sont ceux qui ne l’ont jamais réellement conduite. Or, lorsqu’elle est bien entretenue, bien chaussée et appréhendée avec le respect qu’elle mérite (ce qui représente déjà, certes, beaucoup de conditions), il se trouve que c’est une machine extraordinairement compétente. Du point de vue des performances chiffrées, il est vrai que le VR6 d’entrée de gamme, très à l’aise dans une Golf R32, est un peu tendre pour faire face au poids de l’auto mais, pour leur part, les 340 ch du V8 atmosphérique chargé d’animer le Cayenne S apparaissent comme un excellent compromis ; d’un souffle, ils sont capables d’emporter ces 2,2 tonnes d’acier, d’aluminium, de verre et de cuir jusqu’à des vitesses qui pourraient vous valoir de sérieux ennuis de ce côté-ci du Rhin (sans parler des versions Turbo, fortes de 450 ch au minimum, et jusqu’à 550 ch sur la Turbo S). Oui, je sais, on a fait bien plus puissant depuis lors — chez Porsche comme chez ses concurrents — mais, dans l’absolu, la démonstration demeure impressionnante aujourd’hui encore et les accélérations de l’engin peuvent vite devenir addictives, d’autant que les acousticiens stuttgartois ont soigneusement travaillé la tessiture du V8. Impressionnante : le mot fatidique est lâché ; c’est probablement le qualificatif qui convient le mieux à cette carrosserie au typage improbable, avec son mufle de 996 greffé tant bien que mal sur une physionomie plutôt quelconque par ailleurs. Pas si encombrant qu’il en a l’air (somme toute, les types 955 et 957 n’atteignent pas les 4,80 mètres de long), le Cayenne en impose pourtant en toutes circonstances, que vous cabotiez sur le boulevard Saint-Germain ou que vous surgissiez avec autorité dans les rétroviseurs d’une paisible berline lancée aux allures réglementaires sur l’autoroute de l’Ouest. Il n’y a guère plus efficace pour faire le ménage sur la file de gauche mais, en définitive, ce n’est pas tant la vélocité de la voiture qui surprend que sa facilité de conduite, et pas seulement en ligne droite. L’équilibre général du châssis, le PASM (Porsche Active Suspension Management) et la transmission intégrale autorisent des vitesses de passage en virage qui forcent le respect compte tenu du gabarit et du poids, même si cela se paie par une fermeté de suspension qui ne conviendra pas à tous. Et, lorsque l’on quitte le goudron, le festival continue : contrairement à un Lexus RX, les capacités de la voiture ne se limitent pas à escalader les trottoirs. Naturellement, il n’est guère fréquent de croiser un Cayenne couvert de boue jusqu’aux vitres et en train de s’extraire d’un sous-bois après une longue randonnée bucolique mais il n’en demeure pas moins que l’ingénierie Porsche avait méticuleusement fignolé le bazar avec, entre autres, un blocage manuel du différentiel arrière et des barres anti-roulis déconnectables, le tout rassemblé au sein du bien nommé Advanced Offroad Technology Package.

Une Porsche abordable (... à l'achat)

Alors, d’où vient cette réputation sulfureuse qui lui colle aux pneus ? Nous pourrions formuler un grand nombre d’hypothèses mais, un peu comme dans le cas de la Bentley susnommée, c’est la vulgarité d’une bonne part des acheteurs successifs du modèle qui viennent en premier à l’esprit. Le scénario est, hélas, bien connu : forcément acquise par des clients aisés lorsqu’elle est neuve, la voiture tombe ensuite entre les mains d’autres individus de plus en plus impécunieux au fil des reventes. Ces gens qui ne songent qu’à s’amuser quelques mois durant en tirant comme des brutes sur une mécanique extrêmement complexe, avant de s’en débarrasser dès que des voyants s’allument au tableau de bord et que des réparations coûteuses se profilent à l’horizon, ont causé beaucoup de tort à l’image du Cayenne, souvent perçu par le grand public comme une caisse de voyous, de trafiquants en tous genres ou, plus simplement, de péquenauds désireux d’intimider les foules mais qui, comme dans une célèbre chanson de Jacques Brel, « aimeraient bien avoir l’air, mais n’ont pas l’air du tout ». Indéniablement, c’est le genre d’auto qu’il n’est pas toujours facile d’assumer socialement, si vous êtes sensible à ce genre de préoccupations ; dans la jungle urbaine, la moitié des passants vous prendront pour un boomer irresponsable et les autres pour un frimeur dépourvu de goût. Mais si le jugement d’autrui vous indiffère et que vous avez les reins suffisamment solides pour assumer sa maintenance, nul doute qu’un Cayenne soigneusement sélectionné — dossier d’entretien à jour dans le réseau Porsche, pas plus de deux propriétaires avant vous, pas de préparation mécanique douteuse — puisse vous procurer beaucoup de plaisir. À vous de savoir dépasser les apparences…





Texte : Nicolas Fourny

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