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Porsche 993 : Évolution. Regarde-moi qui change !

Par Nicolas Fourny - 16/01/2023

C’est bien connu, la Porsche 911 est immortelle. Elle évolue, certes, mais parcimonieusement. Elle existe depuis cinquante-sept ans et ne mourra jamais. Cela étant, lorsqu’on se décide à abandonner les poncifs et les propos convenus, une autre réalité ne tarde pas à apparaître ; une factualité dépourvue de tout romantisme et qui se contente de correspondre à l’implacable énoncé des faits : disons-le tout net, la 911 est morte. Elle est même morte plusieurs fois, à vrai dire — mais s’est toujours arrangée pour ressusciter, son constructeur faisant semblant de poursuivre un récit jamais interrompu, et ses nombreux fans faisant semblant d’y croire. C’est ce qui s’est par exemple passé en 1988, quand le Typ 964 a fait son apparition ; il était inédit à 85 % mais ressemblait furieusement à son devancier et, en dépit des impressionnants progrès réalisés d’une génération à l’autre, rien d’autre ne comptait vraiment. Les manufacturiers ordinaires dissimulent souvent des châssis hors d’âge sous des carrosseries toutes neuves mais, à Zuffenhausen, on fait exactement l’inverse depuis des décennies : on conçoit régulièrement des automobiles totalement nouvelles auxquelles les stylistes confèrent une apparence soigneusement préservée. Pour autant, lorsque le Typ 993 fut présenté, à l’automne de 1993 justement, les gardiens du temple durent avaler leur Wiener Schnitzel de travers car, pour la première fois, l’auto s’affranchissait de certains schèmes esthétiques et techniques que l’on croyait pourtant immuables. Comme on va le voir, il s’agit peut-être de la Porsche 911 la plus passionnante à inventorier, tant elle associe presque intimement les contraintes de son héritage aux premiers indices d’un avenir qui frappait déjà à la porte — mais on ne le savait pas encore…

Rien ne sert de mourir

Le titre de cet article est emprunté à un poème de Paul Valéry, auteur décédé en 1945 et qui n’aura donc connu de la maison Porsche que la KdF-Wagen et ses avatars militarisés. Toutefois, si son âme voyage encore dans notre monde en feu, peut-être s’est-elle intéressée au destin de certaines générations d’automobiles, lesquelles pourraient reprendre à bon droit certaines de ses strophes, dédiées à une forme particulière d’immortalité. De fait, comme chacun sait, la 911 a bien failli mourir pour de bon, dans la seconde moitié des années 1970 ; il s’en est même fallu de peu pour que les « PMA » parviennent à trucider froidement leur ancêtre — ce qui, avec le recul du temps, est assez piquant si l’on considère que, de nos jours, ce sont justement les modèles à moteur avant — Panamera, Macan et Cayenne — qui assurent l’essentiel des ventes de la firme, indifférents aux bougonnements des puristes…

La 911 « 993 » se décline en coupé, cabriolet (en haut) mais aussi Targa avec toit en verre (en bas)

Toujours est-il qu’ayant survécu aux sinistres plans du professeur Fuhrmann, la 911 redéploya alors vigoureusement sa gamme, faisant dès lors feu de tout bois tandis que les 924944 et 928 passaient au second plan. Retour du cabriolet abandonné depuis la 356, victoires au Paris-Dakar, création de la 959, arrivée de la transmission intégrale puis du Speedster — durant toute la décennie 80, la sportive de Stuttgart ne fit jamais relâche. À cet égard, il suffit de se plonger dans l’ouvrage de référence du regretté Paul Frère, Éternelles Porsche 911 (éditions E.P.A.), pour apprécier la fréquence, la complexité et la diversité des évolutions du modèle, lesquelles aboutirent donc, il y a un bon quart de siècle, à la 993 !



La meilleure 911, c’est toujours la prochaine

Pour n’importe quelle autre voiture, la 993 aurait pu être vulgairement considérée comme un profond restylage de son prédécesseur, assorti d’une sérieuse remise à jour technique. Cependant, avec la 911 rien n’est jamais aussi simple et, à la vérité, la nouvelle venue poursuivait résolument le travail de métamorphose entamé cinq ans auparavant. Et, cette fois, la mutation s’avérait flagrante avec, en premier lieu, un regard sérieusement revisité. L’inclinaison des projecteurs, dont l’angle n’avait pas changé depuis la première 901 de 1963, avait en effet subi une abrasion significative, tandis que la poupe présentait elle aussi une physionomie profondément revisitée. Indéniablement favorables aux qualités aérodynamiques de l’auto, ces modifications heurtèrent un certain nombre de passionnés — dont la ferveur est parfois si ardente que l’on pourrait les croire dépositaires du design comme du contenu technique de la voiture ; ils oublient que c’est justement en se renouvelant de façon régulière que la 911 a pu survivre. Et la « neuf quatre-vingt-treize » comportait de très nombreux progrès, Porsche la présentant une fois encore comme une auto presque entièrement nouvelle.

Ainsi, si le flat-six était repris de la 964 et conservait sa cylindrée de 3 600 cm3, sa puissance gagnait 22 chevaux (272 désormais), tandis que le couple atteignait 330 Nm à 5 000 tours/minute, c’est-à-dire des valeurs à l’expansion mesurée. Au vrai, l’essentiel était ailleurs et concernait d’abord la transmission avec, pour la première fois, une boîte à six rapports, et ensuite les trains de roulement, avec une suspension arrière entièrement nouvelle. L’essieu postérieur à cinq bras, baptisé LSA (pour Leicht Stabil Agil, soit léger, stable et… je crois que vous avez compris), très largement inspiré de l’essieu dit « Weissach » réalisé pour la 928, ainsi que des travaux réalisés pour le prototype de la berline 989, représentait de la sorte une amélioration décisive en termes de maniabilité et, donc, de stabilité, le nouvel ensemble permettant de réduire assez sensiblement la tendance naturelle au survirage qui caractérise le modèle.



La légendaire 993 : les ailes du désir

Produite durant seulement quatre ans, avec le recul du temps la 993 peut être envisagée sous plusieurs prismes — elle a à la fois été un modèle de transition en attendant la révolution qu’a symbolisé la 996, qu’elle annonçait sous certains aspects, mais aussi un flamboyant aboutissement. Elle a aussi instauré la tradition des variantes multiples, toujours en vigueur à l’heure actuelle ; le coupé a rapidement été rejoint par un cabriolet, puis par une Targa au concept remanié, basé sur un toit ouvrant panoramique et entièrement vitré ; ce dernier aura perduré jusqu’à la génération 997 incluse.

La Porsche 911 (993) Turbo et son aileron distinctif

Sous le capot arrière non plus, la quiétude ne fut pas de mise. Si la version de base ne connut qu’une modeste augmentation de puissance en 1995 — 13 chevaux en sus, dus à l’adoption du système d’admission variable baptisé VarioRam —, on assista, cette même année, au retour de la Turbo, laquelle marqua les esprits par sa sophistication, adoptant la transmission intégrale et un moteur à double suralimentation délivrant pas moins de 408 chevaux, et même 450 sur la Turbo S, soit exactement la puissance de la 959. Par la suite, la Turbo légua sa carrosserie aux ailes sensuellement élargies aux Carrera S et 4S, à notre sens — mais c’est là un avis très subjectif — les versions les plus désirables de cette série, conservant l’attrait de la ligne classique des 911, sans le volumineux aileron fixe des Turbo, tout en renforçant leur charisme avec une éloquence susceptible de réjouir les esthètes au moins autant que les frimeurs…

La dernière vraie 911 ? Mon œil !

Pour leur part, les amateurs d’exclusivité, de performance, voire de dépouillement, ne furent pas davantage négligés et, aujourd’hui, ce sont les versions « extrêmes » qui sont les plus convoitées. La RS (3,8 litres de 300 chevaux, un peu plus de mille exemplaires produits), la GT2 ou encore la rarissime Turbo 3.6 cabriolet (reprenant le moteur 360 chevaux des dernières 964 Turbo) se chargèrent d’animer la gamme en des temps difficiles pour la firme. L’arrêt des 968 et 928, en 1995, laissa en effet la 911 seule représentante d’un constructeur qui s’enfonçait dans la crise. L’analyse des statistiques de vente de l’époque est très révélatrice : avec moins de 20 000 unités écoulées durant l’exercice 1995-1996, Porsche se situait alors à environ 10 % de ses performances actuelles ! Il faudra l’avènement du Boxster 986, puis de la 996, qui élargirent considérablement la clientèle de la marque, pour sortir celle-ci de l’ornière puis, sous la férule de Wendelin Wiedeking, assurer le développement que l’on sait.

L’étonnante Porsche 911 GT2

À cette aune, la 993 s’apparente sans conteste à la fin d’une époque ; celle des machines conçues avant tout pour les porschistes patentés, celle aussi d’une organisation industrielle désuète et coûteuse. La diversification voulue par Wiedeking, synonyme de conquête d’une nouvelle clientèle et d’une rentabilité accrue, a accompli le tour de force de transformer l’entreprise, sa stratégie globale, ses process de conception et de fabrication, le tout sans abîmer son identité. Très différente de ce qu’elle était lorsque la 993 sortait de ses ateliers, Porsche a néanmoins su préserver un très précieux héritage. N’écoutez pas ceux qui — de moins en moins nombreux, il est vrai — vous expliquent que les vraies Porsche ont forcément un moteur refroidi par air (il faudrait en dire un mot aux concepteurs de la 959…). Il n’en demeure pas moins qu’irréfutablement, la 993 constitue un jalon dans l’histoire de la marque parce que son successeur marqua une authentique rupture, essentiellement sur le plan esthétique.

C’est sans nul doute ce qui, ces dernières années, a entraîné sa cote vers des altitudes stratosphériques, même si l’on observe un repli depuis quelque temps. Le modèle incarne un très séduisant compromis, avec un habitacle fidèle aux prolégomènes de la 911 et une ligne qui, malgré ses rénovations successives, reste étroitement corrélée au dessin originel de « Butzi » Porsche, tout en proposant des performances et des qualités routières encore très convaincantes dans l’absolu. Il est donc encore possible de rouler au quotidien dans une Porsche « à air », l’auto affichant par-dessus le marché une fiabilité générale très satisfaisante, à condition bien entendu de lui apporter les soins qu’elle mérite. L’offre est abondante et les professionnels compétents ne manquent pas ; de plus, en France comme en Allemagne, le réseau officiel propose lui aussi, de temps à autre, des 993 à vendre. En définitive, l’auto peut s’adresser tout autant aux collectionneurs qu’à ceux que la modernité à tout crin laisse de marbre et qui sauront être sensibles aux subtils remugles vintage qu’elle promène avec elle. Serez-vous du nombre ?

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