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Porsche 944 Turbo : celle qui aurait pu tuer la 911

Par Nicolas Fourny - 12/03/2024

« Là où la 911 impose un mode d’emploi très particulier, la 944 profite d’un bien meilleur équilibre naturel dû au système transaxle »

De nos jours, certains font encore la fine bouche devant les « PMA » (Porsche à moteur avant) produites de 1976 à 1995 – curieusement, les mêmes font nettement moins de bruit au sujet de la Panamera… Et la 944 n’est pas la moins vilipendée du lot, en dépit de qualités de fond unanimement saluées à l’époque (sauf bien entendu par les gardiens du temple autoproclamés, qui lui reprochaient le soi-disant manque de noblesse d’une mécanique qui plus est refroidie par eau et positionnée à l’avant). La passion pour les automobiles de caractère obéissant, c’est bien connu, à des critères substantiellement irrationnels, même la version Turbo ne fut pas épargnée par la morgue des puristes, fort mécontents de constater que la 944 ainsi gréée dominait la Carrera 3.2 contemporaine à tous égards, sauf bien entendu pour ce qui concerne le caractère et la tessiture de son moteur… Cela justifie-t-il une cote qui, aujourd’hui encore, demeure singulièrement plus attractive que celle de son aînée ?

La fin d’un règne… ou pas

« Mort à la 911 ! » peut-on lire à la une de l’Auto-Journal en février 1985, alors qu’André Costa y publie son banc d’essai de la toute nouvelle 944 Turbo. Il faut dire que la fiche technique de la nouvelle venue ne peut que susciter des comparaisons qui ne sont pas à l’avantage de la 911 de ce temps-là – c’est-à-dire la Carrera 3.2 présentée en 1984 et dont le flat-six développe alors 231 ch sans catalyseur ou quatorze de moins pour les voitures dépolluées (en fonction des marchés, Porsche donne alors le choix à sa clientèle). Pour sa part, le quatre-cylindres 2,5 litres de la 944, suralimenté par un turbocompresseur KKK, délivre 220 ch à 5800 tours/minute, ce qui lui permet dorénavant d’atteindre les 245 km/h qui correspondent très exactement à la vitesse de pointe de la Carrera… Tarifée 295 260 francs sur le marché français – environ 87 000 euros de 2022 –, la 944 Turbo coûte à peu près le même prix que la 911 mais peut revendiquer une modernité alors inaccessible à l’icône de la marque ; l’ABS et la direction assistée font ainsi partie de l’équipement de série, qui comporte également un système de chauffage efficace et des projecteurs utilisables (autres babioles dont les conducteurs de 911 se passent alors depuis déjà vingt ans).

Tradition ou modernité ?

Et puis, bien sûr, le pilotage des deux modèles n’a absolument rien à voir. Là où la 911, alors seule représentante – avec les Alpine A310 puis GTA – des sportives à moteur arrière, impose un mode d’emploi très particulier induit par une répartition des masses substantiellement déséquilibrée, la 944 profite d’un bien meilleur équilibre naturel dû au système transaxle dans lequel la boîte de vitesses, rejetée à l’arrière, est reliée au moteur par un tube rigide. Ce dispositif caractérise l’ensemble des « PMA » depuis les origines – les 924, 928 puis 944 ont été élaborées sur la base de ce schéma technique, certes séduisant sur le papier comme à l’usage mais qui présente néanmoins un terrible défaut : il réfute sans vergogne les fondamentaux chers à Ferdinand Porsche comme à son fils Ferry et sur lesquels toutes les Porsche de route (à l’exception de la 914) ont reposé depuis la création de la firme. De la sorte, au milieu de la décennie 70, la présentation de la 924 engendre des réactions très diverses ; les amateurs de sportives jusqu’alors incapables de s’offrir une Porsche approuvent le lancement d’un modèle plus abordable tandis que, pour leur part, les thuriféraires de la 911 vomissent leur indignation en considérant, dès l’abord, que les « PMA » ne sont tout bonnement pas de vraies Porsche !

Faites entrer l’accusée

C’est là le début d’un procès dont l’instruction, dans certains milieux, n’est toujours pas terminée près d’un demi-siècle plus tard. Naturellement, la gestation pour le moins complexe de la 924 – à l’origine un projet développé par le bureau d’études Porsche pour le compte de Volkswagen, puis récupéré par la firme de Zuffenhausen en son nom propre quand Wolfsburg décida de l’abandonner –, son moteur d’origine Audi et sa puissance limitée à 125 ch nourrissent les critiques, et tant pis si les performances de l’ensemble s’avèrent somme toute correctes pour la catégorie et si le comportement routier de la voiture est unanimement salué par la presse spécialisée. Archétype du modèle de conquête, la 924 va remporter un grand succès commercial mais en s’adressant à une clientèle très différente de celle de la 911, y compris après le lancement de la version Turbo en 1978. Tout le monde n’a pas forcément envie de réapprendre à conduire pour pouvoir maîtriser sa voiture dans certaines circonstances et, de surcroît, sur le marché nord-américain – crucial pour Porsche – les enjeux de promotion sociale liés au nom de la marque prennent souvent le pas sur les exigences du pilotage en tant que tel.

Deux salles, deux ambiances

Présentée à l’automne de 1981 et directement dérivée de la 924 GTP de course, la 944 est commercialisée à un moment particulier de l’histoire de Porsche et surtout de la 911 qui, après avoir été laissée plus ou moins à l’abandon par la direction de la firme dans l’espoir de voir les « PMA » supplanter l’ancêtre, entame une véritable renaissance que symbolise le concept car « 911 Studie » – un cabriolet Turbo à quatre roues motrices, qui annonce donc précisément l’avenir du modèle – présenté la même année au Salon de Francfort. De son côté, la 944 constitue une évolution profonde de la 924, dont elle se différencie principalement par son moteur, désormais 100 % Porsche ; en substance et pour dire les choses très vite, il s’agit en effet d’un V8 de 928 privé d’une rangée de cylindres. Forte de 163 ch, l’auto marque un progrès significatif par rapport à la 924 mais, alors que la 911 SC laisse la place à la Carrera 3.2, la 944 va poursuivre son développement avec la Turbo qui nous intéresse aujourd’hui, fomentant une forme de concurrence interne qui peut cependant se concevoir. En réalité, les performances chiffrées ne font pas tout et, à ce moment-là, les dirigeants de Porsche ont intégré le fait qu’en dépit de ses multiples archaïsmes la 911 demeure strictement intouchable, tandis que, par la grâce du turbo, la 944 peut quant à elle reprendre ses distances avec l’offensive lancée par Nissan ou Toyota, dont les 300 ZX et Supra, très peu goûtées en Europe, jouissent en revanche d’une certaine popularité aux États-Unis…

La sous-estimation, ça a du bon

La 944 Turbo, par ailleurs ardemment soutenue par son constructeur par le biais d’un championnat monotype baptisé « Turbo Cup », connaîtra diverses évolutions, à commencer par une augmentation de la puissance, portée à 250 ch à partir du millésime 1989 ; puis, en 1991, un cabriolet développé par le carrossier américain ASC enrichira brièvement la gamme, supplantée par la 968 à la fin de la même année – un modèle qui, si l’on excepte les marginales Turbo S et Turbo RS, se vouera quasi exclusivement au gros 3 litres atmosphérique inauguré par la 944 S2 avant de se faire proprement occire par la redoutable BMW M3 E36… À l’heure actuelle, la 944 Turbo continue d’être injustement sous-cotée, ce qui réjouit les connaisseurs insensibles au snobisme. Il suffit de consulter la cote LVA pour s’en convaincre : une 944 Turbo 250 ch vaut 34 000 €, versus 65 000 € pour un coupé Carrera 3.2 doté de la boîte G50. Mais le charisme ne s’évalue pas à l’aide d’un chronomètre et le mythe 911 reste insurpassable. Toujours dans l’Auto-Journal, André Costa parla d’« un rêve un peu froid » et ce titre résume à lui seul le drame de l’engin, sans doute trop parfait, trop rationnel, manquant de poésie et d’hérédité conceptuelle. En définitive, entre la légende absolue que charrie une voiture statufiée pour l’éternité et l’implacable rigueur d’une machine conçue selon des critères dont la contemporanéité n’est pas incompatible avec un authentique plaisir de conduire, c’est à vous de choisir !

 

2479 cm3Cylindrée
250 chPuissance
260 km/hVmax



Texte : Nicolas Fourny

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