Lagonda Taraf: la grande illusion !
Lorsque Aston Martin présenta sa berline 4 portes (et 4 places) Rapide, j’étais persuadé qu’on tenait là la vraie concurrente de la Porsche Panamera sortie un an avant (2009 pour l’Allemande, et 2010 pour l’Anglaise). Son style, dans la lignée des Aston à 2 portes, tranchait avec le look un peu pataud de la Panamera, et si la Rapide se positionnait essentiellement en haut de gamme, avec pour seul choix moteur un V12, il semblait clair que la teutonne avait du souci à se faire… Enfin c’était ce que je croyais.
Pour faire face à une demande forcément forte, Aston Martin fit appel à un prestataire extérieur, Magna Steyr (producteur autrichien du Peugeot RCZ, lire aussi : Peugeot RCZ): la direction prévoyait 2000 exemplaires par an au bas mot, impossibles à produire à Gaydon. Las, un an à peine après le lancement de la « grande » Aston Martin, il fallait se rendre à l’évidence : les objectifs ne seraient jamais atteint, et la production, revue à la baisse (prévision de 1250 exemplaires) fut rapatriée en Angleterre.
Malgré une version « upgradée » dénommée S, la Rapide ne tint même pas ces nouveaux engagements. Si les chiffres globaux ne sont pas dévoilés par la marque britannique, on connaît les immatriculations en Europe : 165 exemplaires en 2014, 197 en 2015, après un pic à 472 voitures vendues en 2011 ! On peut sans crainte envisager que l’ensemble des Rapide produites annuellement ne dépasse pas les 1000 exemplaires : une sortie de route pour Aston ! Surtout qu’en 2015, Porsche produisait (pour l’ensemble des marchés) 17 207 exemplaires (source : Auto-Journal du 21/07, article excellent de l’ami Brice Perrin). Un camouflet !
Pour la petite marque anglaise, il fallait reprendre la main, grâce à une opération industrialo-financière habile : transformer la Rapide, mal aimée, en objet de désir s’achetant à coup de millions d’euros tout en confirmant la légitimité sur le secteur des berlines ultra luxueuses. Ce sera alors la Taraf, née en 2014, fuitée en 2015, réservée au Moyen Orient puis « accessible ailleurs dans le monde » et limitée à 200 exemplaires (lire aussi : La Lagonda dévoilée à Oman) !
Même plate-forme que la Rapide mais rallongée (la VH), même moteur (le V12 de 5.9 litres et 560 chevaux) mais un nouveau nom (Taraf) sous une autre marque (la très légitime Lagonda sur le créneau des limousines de luxe et sportives), et surtout avec une nouvelle carrosserie hybride, croisement de la Rapide et de la Lagonda des seventies (lire aussi : Aston Martin Lagonda). On retrouve un air de la Lagonda d’antant dans les lignes fuyant vers l’arrière, tandis que l’avant plus moderne semble être un affinage de la calandre de la Rapide S !
L’opération est bien menée : fuites dans la presse savamment orchestrées, essais au Sultanat d’Oman faussement secrets, et prétendue limitation des ventes au Moyen Orient. Puis, « devant le succès d’estime », on élargit la zone de vente sans précision aucune. Le tarif fuite lui aussi d’une concession britannique, où un exemplaire est annoncé à près de 700 000 £ (soit 1 million d’euro). On flatte l’emirati avec une couleur Gold lors de sa présentation, tandis qu’on la joue plus discret au Salon de Genève 2015 avec un exemplaire gris en retrait sur le stand Aston Martin ! A l’intérieur, tous les délires sont possible grâce au département Q (lire aussi : Q, le bespoke façon Aston), et feront s’allonger la facture.
La production, limitée à 200 exemplaires officiellement, a commencé début 2015 et doit s’achever fin 2016. Quid de la réalité des ventes ? Peu importe, « l’opération Taraf » aura permis à la vénérable marque anglaise de faire oublier la mévente de sa Rapide et prenant pieds pour pas cher (et sûrement, vu le tarif, de façon rentable) sur le marché du super luxe trusté par Bentley et Rolls Royce (et abandonné par Mercedes et sa Maybach, faute de ventes suffisantes). On en voit en tout cas rarement, si ce n’est parfois à Londres mais grâce à ce coup de com’ (mais aussi ce coup commercial), Aston Martin Lagonda sort la tête de haute malgré l’échec Rapide, et ça, c’est un beau coup de prestidigitation !