Innocenti Koral : l’énergie du désespoir
La vie du petit constructeur italien Innocenti n’a jamais été un long fleuve tranquille. Spécialisé dans la production de petits véhicules comme la Mini puis la Nuova Mini dans son usine de Lambrate (où fut fabriqué le célèbre scooter Lambretta), Innocenti dut sans cesse trouver de nouveaux propriétaires pour survivre. Passée sous la coupe de British Leyland Motors Corporation puis d’Alejandro de Tomaso dans les années 70, la marque milanaise finit sa course dans le giron de Fiat en 1990. La puissante société turinoise décide de lui assigner une nouvelle mission : devenir la griffe low-cost du groupe avec l’Innocenti Koral, une voiture serbe maquillée en italienne.
Après la dure année 1976 qui avait vu les Anglais de BLMC battre en retraite sur le dossier du petit constructeur italien, c’est finalement l’industriel argentin de Tomaso qui reprend avec l’aide de la Gepi (société étatique dédiée au sauvetage des entreprises italiennes) la marque Innocenti, l’usine de Lambrate et la prestigieuse marque Maserati. Pour Innocenti, il a une vision claire de l’avenir de la marque : persister dans les petites voitures économiques avec la réussie Nuova Mini, mais aussi faire tourner l’usine de Lambrate grâce à un autre modèle, pourvoyeur de marges, la Maserati Biturbo. Cette dernière doit concurrencer la BMW Série 3 (E21) dans le domaine des compactes sportives et luxueuses. Les volumes de production attendus impliquent d’autres locaux que ceux de Maserati à Modène : Lambrate, tant en taille qu’en compétence, est l’endroit idéal.
De Tomaso à Fiat
En cette fin des années 70, l’avenir semble donc un peu plus radieux chez Innocenti. De Tomaso n’a pas tant de réserves financières que cela, mais il a des idées. Il booste Innocenti avec une version explosive de la Nuova Mini, l’Innocenti Mini De Tomaso. En 1981, les premières Biturbos sont assemblées à Lambrate et en 1982, Innocenti change de fournisseur pour ses moteurs en signant un partenariat avec le constructeur japonais Daihatsu. Hélas, les déboires de la Maserati Biturbo fragilisent l’empire de l’ancien pilote argentin. Innocenti souffre alors d’un sous-investissement chronique, obligeant la direction à renouveler sans cesse la Nuova Mini jusqu’en 1993, 20 ans après son lancement.
À la fin des années 80, de Tomaso se résout à demander l’aide de Fiat pour sauver ce qui peut l’être. Ce qui intéresse les financiers de Turin, c’est surtout Maserati, qui pourrait être un excellent complément de Ferrari. Innocenti n’est qu’une marque supplémentaire sans véritable atout et qui entre en concurrence avec certains modèles Fiat, mais aussi avec Autobianchi (avec son A112). Pourtant, les hommes de Fiat vont dans un premier temps tenter de sauver ce qui peut l’être. Tandis que la production de la Mini continue, on réfléchit à installer un moteur Fire sous le capot en lieu et place du 3 cylindres Daihatsu. Projet abandonné puisque la priorité est donnée à l’Autobianchi/Lancia Y10. Tandis que la Mini se meurt lentement, Fiat va faire produire à Lambrate quelques Panda, histoire de maintenir l’activité. Désormais, on sait comment positionner Innocenti : ce sera la marque low-cost du groupe, la marque dédiée aux jeunes désargentés (ou économes, au choix).
Faire du neuf avec du vieux
Plutôt que de renouveler la Mini, Fiat va faire du neuf avec du vieux. Depuis 1980, l’entreprise serbe Zastava (dont Fiat détient à l’époque 18 %) produit à Belgrade la Yugo, une petite voiture reprenant un dessin refusé par Fiat pour la Uno et utilisant un moteur italien issu de la 126, en 903 cc (45 chevaux) ou 1 116 cc (55 chevaux). Cette petite voiture au look un peu suranné a connu son petit succès aux États-Unis grâce au bagout de Malcolm Bricklin et possède un atout majeur : coûter moins de 7 millions de lires, soit le prix d’un véhicule d’occasion à l’époque en Italie.
L’Innocenti Koral 45/55 (c’est le nom de la Yugo italienne) est commercialisée à partir de juin 1990. Les ambitions sont mesurées : la direction envisage 10 000 ventes en année pleine. Les Koral 45 et 55 reçoivent le concours d’une version cabriolet à partir de 1991, sobrement appelée Koral Cabrio. Dans le même temps, le badge Innocenti permet la commercialisation de l’Elba, un break 5 portes fabriqué au Brésil. Si la stratégie est intéressante, la mayonnaise ne prend pas.
La guerre interrompt sa carrière
Malgré un tarif relativement bas, la Koral ne séduit pas la jeunesse, comme escompté. Il faut dire que son design est daté et semble plus ancien que celui de la Nuova Mini pourtant en fin de carrière. Mais c’est aussi la guerre en ex-Yougoslavie qui va porter un coup fatal à l’Innocenti Koral. À partir de 1992, le conflit mené par la Serbie au sein de la Bosnie-Herzégovine entraîne la mise au ban international de Belgrade. Les exportations des Koral siglées Innocenti sont d’abord perturbées puis impossibles, entraînant la fin de la Koral sur le marché italien. Fiat tentera de maintenir un temps la marque en activité malgré l’arrêt de l’usine de Lambrate, avec une version de la Uno appelée Mille, en vain. En 1997, la disparition de la marque est actée.
Aujourd’hui, les Innocenti Koral sont peu connues en dehors de l’Italie. Elles sont aujourd’hui devenues rares, même sur les routes transalpines. Peu vendues, surtout en cabriolet, les Koral sont devenues des graals pour les collectionneurs masochistes amateurs de bizarreries automobiles. Aussi, si vous tombez sur cet étrange modèle siglé du i italique, n’hésitez pas une seconde.