Infiniti Q45 : mieux que Lexus ?
Janvier 1989. Annoncées depuis de longs mois, deux impressionnantes limousines font leurs premiers pas au Salon de Detroit. Conçus pour bousculer Classe S et autres séries 7, les flagships des deux premiers groupes nippons ne sont pourtant pas badgés Toyota ou Nissan, mais respectivement Lexus et Infiniti, deux marques premium créés ad hoc par les géants japonais. Si la Lexus LS400 a réussi son pari en devenant la limousine préférée des yankee, sa rivale, encore plus aboutie mais moins consensuelle, a joué les seconds rôles.
1983: l’ogre Toyota lançait une task force pour construire – chuchotait-on en interne – la meilleure berline haut de gamme du monde (lire aussi : Lexus LS400). Rien de moins ! Deux ans plus tard, le comité de direction de Nissan, deuxième constructeur japonais, lance un groupe de travail dénommé « Horizon ». Sa mission: élaborer dans les cinq ans une grande routière destinée à marcher sur les platebandes de Mercedes et BMW. Avec les fameuses série 5,7 et les 300 E et Classe S, les deux poids lourds teutons sont en effet des leaders incontestés depuis vingt ans. S’il reste quelques dizaines de milliers de ventes à Jaguar, Audi, Volvo et Saab, c’est bien le bout du monde. Ne parlons même pas de Peugeot, qui rapatrie en 1989 ses 405 et 505 ricaines (lire aussi: Peugeot 405 US), la queue entre les jambes.
Hold-up à Detroit
L’achèvement des travaux arrive donc au beau milieu de l’hiver 1989, sur les bords du Lac Michigan. Car c’est bien aux États-Unis que tout se joue quand on parle de volumes sur le créneau du haut de gamme, dit « premium », selon la parlance d’aujourd’hui… L’Etoile et l’Hélice y vendent leurs grosses berlines et coupés comme des Brötschen – savoureux petits pains du petit-déj allemand –, le marché yankee arrivant juste derrière la mère-patrie dans leurs statistiques de vente. Pour bousculer ces fières germaines, le pays du soleil levant devra donc aller les « chercher » aux States, la clientèle allemande et, plus largement, européenne restant fidèle aux hauts de gamme avec pedigree, donc historiques. Les stratèges japonais sont sûrs de leur plan: les études internes démontrent que le marché premium américain devrait croitre de 50% dans la prochaine décennie. Appétissant. Appuyées par le très offensif MITI – le ministère de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie –, les marques nippones mobilisent toute leur matière grise à coups de milliards de yens pour créer un produit zéro défaut qui s’emparera de tous les codes du premium. Après tout, ils y sont bien arrivés sur les segments inférieurs. Icônes des berlines moyennes, les Honda Accord et Toyota Camry n’y furent-elles pas les autos les plus vendues aux States dans les années 90, devançant le pick-up Ford F150, icône des rednecks ? Le marché des coupés sportifs n’échappe pas non plus à la marée jaune, les Toyota Supra et Nissan 300 ZX (lire aussi : Nissan 300 ZX Convertible) taillant des croupières aux Corvette et consorts et même aux onéreuses Porsche 944 (lire aussi : Porsche 944). Il y aura aussi la Honda NS-X avec le cheval cabré dans le viseur, mais c’est une autre histoire.
Les japonais font un pari: les acheteurs yankee seront sans doute moins regardants que les européens sur le pedigree d’une voiture, y compris quand il s’agit d’un haut de gamme. Ils visent en priorité leurs propres clients cherchant à monter en gamme mais ne trouvant jusqu’alors aucune nippone à la hauteur. Précision: Honda, le troisième larron, a été le premier à lancer son label « noble » dénommé Acura, dès 1986. Avec un certain succès. Des deux cotés de l’Atlantique, toute la presse spécialisée spécule sur les chances de succès de cette offensive. Interrogés, les managers de Stuttgart et de Munich, voire d’Ingoldstadt (Audi lancera son A8 en 1994, lire aussi : Audi A8) restent circonspects.
La presse succombe
Dès le printemps 1989, Lexus et Infiniti – enfin, Nissan et Toyota of America – prêtent à Car&Driver et Road &Track des prototypes quasi définitifs de LS400 et de Q45. Les filiales US des groupes nippon sont d’ailleurs dirigées par d’authentiques yankees débauchés à prix d’or pour la plupart des Big Three. Si Trump avait occupé la Maison Blanche en 1989, nulle doute que ces PDG auraient fini leur carrière à Guantanamo !
Confrontés aux versions définitives au Salon de Detroit, les journalistes sont encore plus enthousiastes. Les premiers essais enfoncent le clou. Les deux nippones font mouche, en solo ou lors des comparatifs, damnant le pion à toutes leurs concurrentes, teutonnes ou non. Un essayeur de Car & Driver écrira « J’en ai assez d’écrire des superlatifs sur cette voiture ». La messe est dite ! Dans un comparatif géant organisé par ce magazine, la Q45 dominera son monde sur les critères motorisation, transmission, freinage, comportement et même plaisir de conduire, item sensé revenir d’office à BMW. Curieusement, le chapitre « style » est aussi remporté, à égalité avec la LS400. Mais c’est la « Classe S japonaise » qui l’emporte, devant l’Infiniti. Régionale de l’étape, la pauvre Cadillac Seville finit bonne dernière…
Le package de la Q45 impressionne, reprenant la plateforme de la limousine Nissan President (lire aussi : Autech Nissan President Royale), le fin du fin du catalogue nippon. Comme la Lexus LS400, l’Infiniti Q45 est donc une lourde et vaste propulsion mue par un généreux V8 tout alu, à quatre soupapes par cylindres. Si la grande fille de Toyota enfile peu ou prou la robe de la Classe S « W126 », sa rivale ose une ligne fluide et plus personnelle mais rappelant trop une Nissan Maxima par exemple. Très (trop ?) sobre, la face avant a des accents de Ford Thunderbird ou de Scorpio. Comme sur une VW Passat contemporaine, elle se dispense de grille d’aération et arbore un étonnant logo où le signe Infiniti – symbolisant une route pointant l’horizon – est inscrit sur une évocation d’estampe japonaise. Intriguant ! Le généreux postérieur est plus réussi avec ses feux « boomerang ». Dommage que la plastique du splendide concept car Nissan CU-Ex de 1985 n’ait pas plus transpiré sur la Q45… Infiniti ose encore pour l’habitacle mais s’éloigne de l’esprit premium: point de ronce de noyer comme sur la Lexus ou les Mercedes mais une sombre ambiance tout plastique – rembourré, certes – avec une planche de bord en arc de cercle « bio design » toute équipée. Seule la belle sellerie cuir, réalisée sur les conseils de soutien de Poltona Frau, sauve les meubles.
Aux petits soins
Comme sur sa rivale, la qualité de réalisation impressionne. Il faut dire que les Japonais ont assis leur réputation sur des produits « sans soucis ». Ils vont donc simplement pousser le curseur un peu plus loin. Les premières places trustées plusieurs années de suite par Infiniti et Lexus au fameux classement de fiabilité JD Power (devant les allemandes !) sera leur meilleur argument.
Mais Infiniti ne s’arrête pas au seul produit. Comme Lexus, la nouvelle marque japonaise mise sur une relation client de tout premier ordre, s’inspirant des pratiques observées dans l’hôtellerie de luxe. Les premiers concessionnaires disposent de showrooms exclusifs où aucune Nissan n’a droit de cité. Les Q45 y sont mises en scène comme des œuvres d’art, dans une ambiance zen. Un petit verre de saké avant de signer ? La qualité de service passe aussi par une garantie étendue à trois ans (Lexus va jusqu’à quatre !), le personnel de la concession pouvant même venir chez vous ou au bureau pour amener votre noble geisha à la révision. Un ange passe chez Cadillac ou Mercedes…
La mayonnaise sauce yankee prend. La Q45 qui, contrairement à la LS400, ne sera jamais vendue chez nous, trouve son public aux USA, avec quelque 24 000 ventes en 1990. Un succès relatif par rapport aux LS400 qui se vendent deux fois plus. Lexus, qui dispose aussi d’un modèle plus abordable dénommé IS300 et dérivé de la Toyota Camry, vend cette année autant que BMW. Mercedes les devance avec 78 000 ventes mais reste derrière Acura, qui compte une gamme plus large et accessible.
Q évoque « Q Car », terme anglo-saxon pour désigner une voiture hautes performances au look discret. « 45 » rime avec quatre litres cinq, taille du gros V8 de l’Infiniti. Cubant un demi litre de plus que la Lexus et donnant 278 chevaux contre 250, la Q45 est encore plus performante. Si la vitesse de pointe importe peu au pays du cruising à 55 miles à l’heure (mph), elle a tout de même été mesurée à 235 km/h sur les Autobahn par les ingénieurs de développement. Préférant les burn out aux feux rouges, nos oncles d’Amérique vont en avoir pour leur compte avec l’Infiniti, qui signe le 0 à 60 mph – soit 0 à 96 km/h – en 7,5 secondes. Seule la BMW 750i et ses douze cylindres font mieux… Très performante donc cette Nissan anoblie, un peu plus sportive dans l’âme que la LS400 ! Elle proposera bientôt une option quatre roues directrices puis une suspension active antiroulis, respectivement cinq et neuf ans avant Citroën (Activa, lire aussi : Citroën Xantia Activa) et Mercedes (ABC), excusez du peu !
Tout compris
En bonne japonaise mais aussi comme Jaguar, l’Infiniti Q45 en offre pour ses dollars avec force cuir, clim auto, sièges électriques et toit ouvrant. Cette offre quasi all inclusive est donnée, au sens littéral du terme, le ticket d’entrée étant fixé à 38 000 dollars. Un peu moins équipée de série, la Lexus attaque à 35 000 $. Quand on sait qu’une modeste « Baby Benz » 190E – quatre cylindres de de 122 chevaux (sic) – réclame 32 000 talbins verdâtres, on subodore que la déroute des allemands est inéluctable. Cela se vérifiera sur le marché US mais les labels allemands conserveront leur hégémonie sur l’ancien continent. C’est encore vrai à l’heure actuelle. Mais il n’y a pas de place pour tout le monde. Ainsi, Mazda, qui lancera son label de prestige Xedos en 1992 – après tout le monde, donc – devra abdiquer au milieu des années 2000, malgré des produits pertinents comme la sympathique Xedos 6, véritable série 3 nippone (lire aussi : Xedos 6). Si la Lexus LS400 sera un authentique succès, les ventes de l’Infiniti Q45 ne seront jamais mirobolantes, malgré sa somme technologique et ses parti-prix de style. Faute sans doute à une campagne publicitaire ratée, omettant le produit au profit d’ésotériques images de dame nature. Le style, trop éloigné de la race des rivales germaines ou anglaises, a aussi déservi la Q45, la curieuse calandre devenant plus conventionnelle au restylage de 1992. Infiniti tentera de vendre la Q45 en Australie en 1991, mais abdiquera deux ans plus tard. La morale ? Quitte à faire du premium, autant copier-coller la référence étoilée, foi de Lexus !
Texte : Michel Tona