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Citroën GT : la supercar virtuelle aura tutoyé la série
PAUL CLÉMENT-COLLIN - 10 mars 2018Rarement un Concept-car aura fait autant parlé de lui même deux ans après avoir été présenté. La « GT by Citroën » fait partie de cette catégorie de voiture spectaculaire que tout afficionado de la marque, mais aussi tout amateur de voitures, aurait aimé voir produite en série. Une option qui aura été étudiée pendant près de deux ans avant de recevoir le tampon « affaire classée ». L’étonnante GT de Citroën, née virtuelle, ayant finalement pris corps grâce à la passion de quelques hommes, aura fait parler dans les chaumières. Elle rejoindra pourtant la réserve du Conservatoire Citroën après avoir entretenu l’espoir chez bien des fans.
Tout commence avec un jeune designer japonais, du nom de Takumi Yamamoto. Diplômé en design industriel à l’université de Tokyo, puis en design automobile à l’université de Coventry, il était entré au sein du centre de style de PSA Peugeot-Citroën à la fin de ses études, en 2001. A partir de 2006, notre jeune ami intègrait à Vélizy les équipes en charge du design extérieur de Citroën, sous la direction de Jean-Pierre Ploué.
Le designer japonais avait, en plus de son talent et d’un goût certain pour David Bowie, une caractéristique particulière : celle d’être un ami d’enfance de Kazunori Yamauchi. Ce nom ne vous dit peut-être rien, mais pourtant, vous avez déjà sûrement joué avec l’une de ses créations au moins une fois dans votre vie. Car cet ami d’enfance n’est autre que le créateur du jeu de simulation Gran Turismo, et du studio Polyphony Digital qui l’édite pour le compte de Sony et de sa console Playstation.
Dès 2003, les deux amis réfléchissent donc ensemble à la possibilité d’une étonnante Citroën à intégrer dans Gran Turismo, et c’est en dehors de toute demande hiérarchique que Takumi Yamamoto va plancher sur l’extraordinaire GT. Pour cette voiture, Takumi va certes reprendre quelques éléments du style Citroën de l’époque, mais surtout imaginer une voiture totalement nouvelle, la marque française n’ayant jamais produit de Supercar. Cette absence d’histoire va permettre à Takumi de s’affranchir de toute référence, et d’offrir une ligne à couper le souffle.
Dire que la GT est belle serait excessif, même si avec le temps, on a fini par s’y habituer, mais ses proportions, la puissance exprimée par ses lignes, tout concourt à rendre cette voiture époustouflante, et assez désirable. Suffisamment en tout cas pour provoquer l’enthousiasme chez certains qui y verront enfin la possibilité de voir une marque française produire une Supercar crédible. Mais nous n’en sommes pas encore là.
Takumi et Kazunori avait bien l’idée de placer la GT dans le futur opus de Gran Turismo. Pour cela, il fallait l’autorisation de Citroën, et c’est ainsi que Takumi finira par présenter son travail à Jean-Pierre Ploué. La GT devait prendre place dans Gran Turismo 5 Prologue, au milieu de 36 autres véhicules, tous issus de la série. Cette présence dans le jeu avec un voiture aussi extraordinaire représentait pour Citroën une excellente publicité. L’accord était donc donné pour que la GT apparaisse dans le jeu (aux côtés d’une C4, pourquoi se priver), mais aussi dans le suivant, la version complète appelée Gran Turismo 5, dont GT5 Prologue n’était qu’une mise en bouche.
Surtout, Jean-Pierre Ploué, le patron du style, fut enthousiasmé par le concept proposé par Takumi Yamamoto. Alors que la GT est désormais présente dans GT5 Prologue sorti en décembre 2007 au Japon, Ploué va imposer l’idée d’en produire un concept-car prévu pour le salon de Paris 2008. Dès janvier 2008, la décision était prise, et les premiers travaux commençaient. Entre les débuts et le premier roulage en septembre 2008, seulement 8 mois s’étaient écoulés.
Dès le départ, il y eut cependant un écueil : dans le jeu, la GT était virtuellement innovante, avec une pile à hydrogène permettant de faire tourner 4 moteurs pour une puissance totale de 789 chevaux. Il était impossible de transposer cela dans la réalité, alors que Citroën désirait un concept-car roulant. La solution la plus simple fut de revenir à un moteur thermique plus classique. Cependant, Citroën ne disposait d’aucun moteur digne d’une telle supercar. Il fallut donc chercher ailleurs son bonheur. Ce sera finalement chez Ford qu’on ira se faire dépanner : on retrouvera sous le capot le V8 Triton de 5.4 litres et 640 chevaux, le même qu’on trouvait alors dans la Ford GT (lire aussi : Ford GT 2005), une voiture qui pesait 145 kg de plus que la Citroën GT (1400 contre 1545), mais boosté avec 80 chevaux de plus (officiellement). De quoi assurer de belles performances à cette dernière, avec 330 km/h en vitesse de pointe. Un moteur dont on taira au début l’origine, laissant planer le doute (certains journalistes parlèrent d’un V8 BMW).
La Citroën GT fut finalement prête et roulante en septembre 2008, et le public en vit pour la première fois les proportions (4,96 m de long, 2,08 m de large et 1,09 de hauteur seulement) sur le stand Citroën du Salon de Paris 2008. N’ayons pas peur des mots : la GT fit véritablement sensation, entretenant les espoirs des plus fous, ravissant les autres. Rapidement, des rumeurs commencèrent à courir sur l’éventuelle production en série de la fabuleuse GT.
Dans un premier temps, Citroën fut catégorique : la GT resterait un concept-car. Mais la rumeur enflait, tandis qu’en interne, certains se battaient pour réaliser un coup médiatique et publicitaire remarquable, Ploué en tête. Une petite production en série, même déficitaire, aurait un impact formidable sur l’image de Citroën. Petit à petit le doute s’installait, jusqu’à ce qu’un article du New York Times révèle la possibilité d’une production en toute petite série. Citroën confirmait alors réfléchir à la mise en production de la GT.
Certains, optimistes, parlèrent d’une série de 50 exemplaires, avant que les rumeurs ne s’accordent sur le chiffre de 6 exemplaires au prix unitaire de 2,1 millions de $. De quoi exciter les plus chauvins d’entre nous à l’époque. Malheureusement, la conjoncture en décida autrement. La crise de subprime de 2007 commençait à toucher la France et le potentiel, certes mesuré, des 6 exemplaires devint incertain. En outre, se posait le problème du moteur : emprunter le V8 Ford pour le concept-car était une chose, mais l’installer en série semblait plus compliqué. PSA affirma rapidement d’ailleurs se heurter au problème de la fourniture moteur, mais pas seulement : il fallait un partenaire pour monter une voiture qui nécessitait une production spécifique, à la main. Autant d’écueils à la mise en route d’un tel projet.
Enfin, à la même époque, Citroën lançait un projet qui rapidement mobilisa moyens et équipes : le lancement de la gamme DS, avec la DS 3 puis les DS 4 et 5 (lire aussi l’histoire de DS), qui apportait image et volume, contrairement à la GT. L’opération était alors abandonnée, au grand dam des amateurs de Citroën !
La GT recevra une déclinaison Racing dans l’opus suivant de Gran TurismoTakumi Yamamoto, lui, resta jusqu’en 2012 au design de Citroën sous la direction de Gilles Vidal, avant de quitter l’entreprise pour rejoindre… Polyphony Digital, boîte de son pote d’enfance, comme directeur du design. Fin 2016, il quittait le studio japonais pour lancer sa propre structure. En 2017, il fit parler de lui en présentant son concept (virtuel) DB, une voiture hommage à son idole David Bowie, dont certains éléments rappellent la GT by Citroën.
La DB, dessinée par Takumi Yamamoto et hommage au chanteur David BowiePour les amateurs de la GT, ne reste donc plus qu’une solution : la manette de jeu, la console et Gran Turismo. Ou bien attendre une hypothétique mise en vente du prototype par Citroën Héritage (après tout, quelques protos ont bien été proposés à la vente en fin d’année dernière, lire aussi : Citroën vend une partie de ses réserves).
Images : Citroën et Takumi Yamamoto