Cisitalia 202 : révolutionnaire et méconnue
Aussi étonnant que cela puisse paraître, la Cisitalia 202, malgré sa conception révolutionnaire, sa ligne à couper le souffle, ses performances en compétition et sa présence permanente au MoMA de New York (Museum of Modern Art), est relativement méconnue. Le temps passe et ceux qui furent marqués à l’époque par cette belle italienne se font de moins en moins nombreux, sans compter sa production très limitée entre 1947 et 1953. Voici donc l’histoire de la Cisitalia 202, née des rêves de grandeur automobile de Piero Dusio.
Né en 1899 à Scurzolengo, petit village du Piémont, Dusio se rêve d’abord en footballeur professionnel, entamant sa carrière à la Juventus de Turin entre 1919 et 1923. Mais une blessure au genou l’empêche vraiment de percer, ne jouant que 15 matchs avec l’équipe A. Il met un terme à sa carrière sur un dernier match face à Crémone perdu 1-0. Malgré cet échec, Piero Dusio ne se laisse pas abattre et va se lancer à corps perdu dans le business textile. De vendeur pour une marque suisse, il va devenir entrepreneur, créant sa propre société de toile cirée en 1927. Rapidement, il va se diversifier vers les vêtements sportifs, les raquettes de tennis, les vélos de course et surtout les uniformes militaires, qui feront sa fortune après une important contrat passé avec Mussolini pour fournir l’armée italienne.
La Cisitalia D46 de course servira de base à la 202 de route.De la Juventus à l’automobile
Sportif dans l’âme, Dusio va profiter de sa fortune pour devenir un gentleman driver de talent : il gagne les Mille Miglia en 1937 dans sa catégorie, finit 3ème au général en 1938 et gagne l’ascension du Stelvio la même année. La guerre interrompt les compétitions automobiles, mais pas les parties de football. Dusio prend la présidence de la Juventus en 1940. Il le restera jusqu’en 1947. C’est pendant ses années de guerre qu’il songe sérieusement à créer sa propre marque automobile. Il lance Cisitalia (Consortium Industriel et Sportif Italia), destinée à accueillir ses activités sportives et automobiles. En 1943, Dusio renomme même le club Juventus-Cisitalia.
La fin de la guerre permet à Dusio de lancer enfin son ambitieux projet automobile. A ses côtés, on trouve des hommes tels que Carlo Abarth, Rudolf Hruska (à qui l’on doit la Simca 1000 et l’Alfasud), Dante Giacosa (auteur de la Fiat 500 Topolino) et même Ferry Porsche avec lequel il est très ami. Ensemble, ils vont créer une superbe machine de course, la D46, qui va vite s’imposer dans les compétitions automobiles, notamment grâce au pilote Tazio Nuvolari. C’est cette D46 qui va servir de base à une version de route, la fameuse Cisitalia 202.
Luxe, sport et légèreté
Pour cette 202, Piero Dusio va imposer un cahier des charges drastique : “large comme une Buick, aussi basse qu’une voiture de Grand Prix, le confort d’une Rolls Royce et la légèreté d’une monoplace”. Ces contraintes a priori antinomiques vont obliger l’ingénieur Giovanni Savonuzzi et le carrossier Alfredo Vignale à innover. Si la mécanique reste un 4 cylindres Fiat 1 089 cc légèrement modifié par Carlo Abarth pour développer 55 puis 60 chevaux (une version 75 chevaux arrivera plus tard), elle récupère le châssis tubulaire de la D46 et s’offre une carrosserie en aluminium pour la première fois étudiée en soufflerie.
En résulte un style encore inédit après-guerre, une fluidité des lignes, une sportivité assumée, des rondeurs séduisantes, bien loin des carrosseries alors en vigueur en cette fin des années 40, avec à la clé un poids contenu à 777 kg. Malgré son petit moteur, elle peut atteindre 168 km/h, une vitesse peu commune à l’époque. Mieux, avec l’évolution 75 chevaux en 1948, elle flirtait avec les 175 km/h. Disponible en coupé et cabriolet, sa carrosserie est d’abord produite par Vignale puis par Pininfarina. Malheureusement, sa production artisanale et sa carrosserie en aluminium coûtent très cher, et la clientèle capable de s’offrir une 202 est encore rare dans cet après-guerre.
Projets ambitieux et soucis financiers
Heureusement, Max Hoffmann, le célèbre importateur sent qu’il existe un petit potentiel aux USA et va réussir à vendre à une clientèle férue d’européenne, et surtout fortunée, quelques exemplaires de la Cisitalia 202. Malheureusement, ce ne sera pas suffisant. Malgré sa fortune, Dusio a vu un peu trop grand. Par amitié (et ambition), il va dépenser beaucoup dans un projet développé avec son ami Ferry Porsche, une Formule 1 à 4 roues motrices, la Cisitalia 360.
Cette étude financera le développement de la 356 en gestation (la fameuse “Gmünd”) tandis qu’une partie de l’argent permettra de payer la caution de Ferdinand Porsche alors enfermé en France pour crimes de guerre. La 202 ne se vend pas (au total, seuls 172 exemplaires seront produits jusqu’en 1952, dont 153 chez Pininfarina) et les ennuis financiers s’amoncellent, malgré des projets menés avec Ford. Prévoyant, Dusio va tenter de relancer sa marque et le projet de Formule 1 360 en Argentine avec le soutien de Peron pour éviter de tout perdre en Italie. AutoAr et Cisitalia Argentina ne dureront que 10 années, mais cela, c’est une autre histoire.
Aujourd’hui, la Cisitalia 202 est une pièce de choix pour un collectionneur averti. Certes, elle épate moins le quidam qu’une Ferrari, mais les spécialistes sauront reconnaître la valeur d’une telle voiture, prémisse des GT des années 50. Avec sa ligne à couper le souffle et ses performances remarquables malgré son petit moteur, la 202 saura, inévitablement, vous séduire.