Brabham BT62 : objectif 24 heures du Mans
Ils furent co-équipiers en Formule 1 chez Cooper-Climax, montèrent tous les deux leurs structures destinées à la création de voitures de courses, puis leur propre écurie de Formule 1. Jack Brabham et Bruce McLaren vont désormais s’affronter à titre posthume en tant que constructeurs automobiles sur le même créneau : celui de la supercar réservée au circuit, en attendant de se mesurer sur routes ouvertes. La Brabham BT62 vient en effet taquiner McLaren et sa Senna sur ce terrain, mais avec des ambitions sportives à peine cachées : la présence d’un modèle en exposition devant « l’hospitality » Michelin durant les 24 heures du Mans semble accréditer la thèse d’une future participation de la BT62 en catégorie GTE Pro ou Amateur. Par ricochet, et en attendant les futures évolutions de la course mancelle, une déclinaison « routière » pourrait bien suivre la production des 70 premiers exemplaires réservés au circuit.
La présentation de la Brabham BT62 est en soi une première : la supercar sera la première voiture portant le nom du champion du monde de Formule 1 disposant d’un cockpit fermé. Bien qu’ayant construit une barquette dénommée BT8 entre 1964 et 1966 à 12 exemplaires, Brabham Racing Organisation s’est, pour l’essentiel, limitée à la production de monoplaces de type Formule 1, 2 ou 3 (devenant dans les années 60 l’un des principaux constructeurs de son époque).
La BT19 et l’équipe Brabham en 1966Nous reviendrons sur Jack Brabham, Brabham Racing, et sur la période Formule 1 de l’écurie après le départ de ses fondateurs (Bernie Ecclestone en sera le patron jusqu’en 1987), mais dans la tête de David Brabham, fils de Jack et pilote lui-même, l’idée était claire : faire revivre ce célèbre nom australien, et par là-même devenir le premier réel constructeur de supercar en Australie. Ce qui n’était qu’un espoir de reconversion dans les années 2000 était devenu plus pressant lorsque David s’aperçut que des projets plus ou moins farfelus se développaient en utilisant le nom de son père et l’acronyme BT suivi d’un nom.
La BT92, une BMW M3 E92 tunée, n’avait aucun lien avec la famille Brabham. Il fallut une action en justice (gagnée en 2013) pour que la famille récupère les droits.En 2009 notamment, une officine allemande tenant plus du tuning que du constructeur présentait la Brabham BT92, une BMW M3 revisitée à coup de carrosserie carbone, de « prépa » moteur, de châssis « sport » au prix hallucinant de plus de 300 000 euros. En 2010, des bruits de couloirs annonçaient la renaissance d’une écurie de F1 portant le nom de Brabham : deux initiatives qui obligèrent David à réagir et à tout faire pour récupérer les droits sur son nom et l’histoire de son père. En outre, ces petits désagréments lui firent comprendre qu’il n’y avait plus de temps à perdre, surtout après la mort de Jack Brabham en 2014.
La Brabham BT62 présentée au Mans devant le stand Michelin (photo : Michelin en haut, et Paul Clément-Collin en bas)Ce n’est qu’en 2013 que la famille récupérait enfin, après plusieurs actions en justice, les droits d’utilisation de la marque Brabham, tuant par ailleurs la BT92 (produite à quelques unités, sans doute entre 3 et 5 exemplaires). Dès lors, le projet de David prenait forme dans sa tête : une voiture extrême, à moteur V8 atmosphérique, produite en Australie, et dédiée au circuit ; une voiture tenant la dragée haute aux meilleures, et coûtant tout autant. D’une certaine manière, c’est une voiture à l’ancienne, avec un gros V8 atmosphérique gavé de chevaux, sans moteurs électriques ni turbo donc.
Le fournisseur du V8 n’est pas connu pour l’instant (les rumeurs parlent de Ford, mais cela reste des rumeurs). Ce que l’on sait en tout cas, c’est que sa cylindrée s’élève à 5,4 litres, pour une puissance de 710 chevaux : un moteur spécialement retravaillé pour la BT62, et siglé du nom de Brabham. 710 chevaux, c’est déjà beaucoup, mais le clou du spectacle avec cette supercar, c’est que David Brabham s’est aussi voulu l’héritier spirituel d’un certain Colin Chapman : la BT62 ne pèse que 962 kilos !
Construire une supercar de cette qualité, du moins visuelle, n’est pas donné à tout le monde et demande du temps et des moyens. Contrairement aux apparences, David Brabham n’est pas seul dans cette affaire : partie prenante, détenteur des droits de la marque (avec sa famille), il n’en est pourtant pas le financier. Car derrière Brabham Automotive se trouve une société, Fusion Capital, elle-même filiale de Precision Components, un équipementier automobile australien. Precision Components était à l’époque l’un des fournisseurs des trois producteurs automobiles locaux, Holden, Ford et Toyota. Avec la fermeture des usines de production, la société a du se réinventer, et s’orienter vers la mobilité. En collaboration avec BusTech, producteur de bus australien, Precision Buses s’apprête à produire et livrer 50 autobus « basses émissions » pour la ville d’Adélaïde.
L’unité de production se trouve en banlieue nord d’Adélaïde, à Edinburgh Parks, dans les anciens ateliers de ZF, fermés après la fermeture des usines Holden, Toyota et Ford : on y construit les bus pour Precision Buses, mais aussi la Brabham BT62. Edinburgh Parks comprend aussi le fabricant de suspension Supashock. Pour Fusion Capital et Precision Components, le lancement de la marque Brabham n’est pas qu’un coup de pub : il s’agit de recréer de toute pièce une industrie automobile australienne, certes plus modeste mais aussi plus pointue, permettant de faire vivre un tissu industriel de fournisseur. Brabham n’est qu’un morceau du plan, Precision Buses un autre.
Actuellement, Brabham dit vouloir se limiter à 70 exemplaires de sa BT62 : 35 exemplaires, appelés « Celebration Series », reprendront chacun les couleurs des 35 Brabham ayant gagné un grand prix de Formule 1. Les 35 exemplaires suivant, appelés « Signature Series » seront quand à eux totalement personnalisés par leurs futurs propriétaires, faisant partie intégrante du processus de production, le tout pour 1 millions de £ tout de même.
En réalité, Brabham compte bien produire plus que ces 70 exemplaires initiaux, même si l’entreprise fait preuve de prudence. La présence d’un exemplaire au Mans cette année prouve bien que l’épreuve d’endurance la plus célèbre au monde fait de l’oeil à David Brabham et à son équipe. Paul Birch, le directeur technique, l’avoue volontiers : la voiture telle qu’elle existe aujourd’hui ne demanderait que peu d’effort pour en décliner une version « course », mais aussi pour en dériver une version « route » que la réglementation imposerait pour une homologation en catégorie GTE Pro et Am (25 exemplaires minimum pour un petit constructeur).
La relative prudence de Brabham s’explique par le flou qui entoure encore le futur règlement concernant l’endurance au Mans, mais aussi par du bon sens : ne pas trop en dire, vendre les 70 premiers exemplaires, et préparer discrètement un retour au Mans. La présence de la BT62, mais aussi de David Brabham, invité et soutenu par Michelin, laisse en tout cas présager qu’un nouveau fabricant de supercars pourrait bien émerger à l’autre bout du monde mais aussi en compétition. Comme dans les années 60, deux producteurs portant le nom de pilotes émérites (Bruce McLaren finissait 2ème du championnat de F1 derrière Jack Brabham en 1960) s’affronteront commercialement, mais cette fois-ci sur le marché des supercars, et avec un temps d’avance pour McLaren (lire aussi : McLaren 570GT) dont la Senna (reposant sur le même principe d’une voiture réservée à la piste) est déjà commercialisée.
Enfin, pour voir la GT62 en piste, voici une petite vidéo réalisée à 100 km d’Adelaïde, sur le circuit de Philipp Island :
Photos : Brabham Automotive, Michelin, Paul Clément-Collin