Piëch Mark Zero : la “mauvaise branche” de la famille Porsche lance sa marque
Dans les allées du salon de Genève, difficile d’échapper au stand cossu digne d’une marque installée de longue date que celui d’un tout nouveau constructeur, Piëch. Le quidam ne tiltera sans doute pas à ce nom, mais l’amateur averti, lui, se rappellera aussitôt celui qui dirigea longtemps Audi, puis Volkswagen, Ferdinand Piëch, par ailleurs client unique de la Bugatti La Voiture Noire. C’est son fils, Anton, qui lance cette nouvelle marque, avec l’ambition de se tailler une part du gâteau des sportives électriques, mais aussi sans doute pour donner ses lettres de noblesse à cette branche de la famille Porsche longtemps toisée par leurs propres cousins.
Anton Piëch est donc l’arrière-petit-fils de Ferdinand Porsche, au même titre que ses cousins portant, eux, le fameux patronyme. Pour mieux comprendre, remontons le passé. L’ingénieur Ferdinand Porsche, génial créateur d’un bureau d’étude qui donnera naissance à la Volkswagen Cox, mais aussi à la marque d’automobiles sportives Porsche, eut deux enfants, Louise, l’aînée, et Ferry. Louise se marie en 1928 avec Anton Piëch (premier du nom), avocat autrichien qui défendit Ferdinand lors d’un litige avec Daimler-Benz. Avec la création du bureau d’étude Porsche, le gendre devint le responsable des affaires juridiques, recevant au passage 13 % du capital. Cette part se maintint avec la création de Porsche AG après-guerre.
Ferdinand Piëch quittera Porsche pour se consacrer à Audi.Sombre histoire que cette guerre pour les Porsche en général et pour Ferdinand Piëch en particulier. Ferdinand Porsche dut rendre des comptes notamment pour la période où il géra pour le compte de l’occupant les usines Peugeot, mais fut finalement “relativement” blanchi. Piëch s’en tira lui aussi plutôt bien, mais avec une réputation plutôt écornée, due à son adhésion au parti nazi dès 1933 mais surtout à sa gestion du travail de prisonniers alors qu’il dirigeait Volkswagenwerke et sa responsabilité dans la déportation de cadres dirigeants de Peugeot.
Ferdinand Piëch et son frère Hans-Michel, entourant leur cousin FA Porsche, l’un des stylistes de la 911 (en haut). Wolfgang Porsche (frère de FA Porsche et fils de Ferry Porsche) dans les années 2000 (en bas)A sa mort en 1952, les enfants Piëch possèdent toujours 13 % du capital, mais il semblerait que la branche ne soit plus vraiment en odeur de sainteté chez Porsche. Pourtant, Ferdinand Piëch, le fils d’Anton, est un brillant ingénieur et va travailler pour le compte de la marque jusqu’à ce qu’il soit jugé trop ambitieux, pour lui comme pour Porsche, et finalement écarté. Il en gardera un souvenir cuisant, disant lui-même “n’être pas né dans la bonne branche de la famille”. Il entrera alors chez Audi, s’occupant d’abord de la compétition et développant le concept de Quattro, pour finir par en prendre la tête. Revanche suprême en 1992 : il prend la tête du groupe Volkswagen moribond après les rachats de Seat et Skoda. En quelques années, Piëch va redresser le groupe et racheter Lamborghini ainsi que Bugatti pour aborder les années 2000 avec l’objectif de devenir le n°1 mondial de l’automobile.
Ferdinand Piëch dans les années 70 (en haut) et dans les années 2000 (en bas)En 2005, Porsche toujours contrôlée en majorité par la branche de Ferry et notamment Wolfgang Porsche, cousin germain de Piëch, se relance grâce notamment au Cayenne et engrange les bénéfices. Pour “placer” cette trésorerie mais aussi sans doute par rivalité familiale, Porsche va petit à petit monter au capital de Volkswagen dont Piëch n’est plus le PDG mais un administrateur toujours très actif.
Anton « Toni » Piëch et son associé Rea Stark Rajcic, fondateurs de Piëch AutomotiveCe qui n’était qu’un placement devient de plus en plus une ambition pour Wolfgang et son homme lige, Wendelin Wiedeking, qui vont alors tenter de prendre d’assaut la forteresse VW à coup d’emprunts massifs. Piëch laisse venir, jouant à la réconciliation avec son cousin pour mieux l’endormir. Le retournement de la situation économique de 2008, change la donne, permettant à Piëch d’attaquer. L’énorme endettement de Porsche le conduit à la quasi faillite. Profitant de cette faiblesse, Piëch va “sauver” Porsche en proposant l’inverse de ce que Porsche et Wiedeking envisageaient : une fusion de Porsche AG et du groupe Volkswagen menée par VW. Grâce à une augmentation de capital auprès des Qataris et au soutien de la classe politique allemande, VW absorbe Porsche : la revanche des Piëch était absolue.
Les dessins de la Piëch Mark ZeroMalgré ce retournement de situation rendant la famille Piëch dominante parmi les héritiers Porsche, il manquait sans doute quelque chose à Anton, fils de Ferdinand portant le même prénom que son sulfureux grand-père : une marque à son nom, capable de rivaliser, à l’avenir, avec celle créée par son arrière-grand-père. Ainsi, Anton Piëch présentait-il à Genève sa Mark Zero, une sportive 100 % électrique qui semble particulièrement sérieuse.
Stylistiquement, la jeune marque ne prend pas de risque. En fonction des angles, la Mark Zero ressemble à une Porsche (évidemment), une Aston Martin, voire une AMG GT S. Loin des élucubrations stylistiques de certaines sportives électriques, celle-ci joue la carte du classicisme et de la sobriété. C’est plutôt réussi.
Côté technique, la Piëch Mark Zero s’offre 3 moteurs électriques, l’un à l’avant, les deux autres à l’arrière, développant chacun 204 chevaux : de quoi offrir le 0 à 100 en 3,2 secondes selon le jeune constructeur et 250 km/h de vitesse de pointe. Côté autonomie, on parle de 500 km dont 80 % pourraient être rechargés en moins de 5 minutes sur une borne spécifique (!!!). Ambitieuse, la jeune entreprise prévoit le développement d’une gamme complète sur cette base modulaire. De quoi faire de Piëch le Porsche du 21ème siècle ? Ce serait la revanche de la branche maudite de la famille.