Présentée pour la première fois à l’automne de 1963, la Mistral n’est pas, de nos jours, le modèle le plus en vue chez les amateurs de GT apparues au cours de cette décennie pour le moins foisonnante. Car il faut dire que la catégorie s’avérait extrêmement bien fournie, en cette époque qu’il n’est pas interdit de considérer comme une forme d’âge d’or : Jaguar, Aston Martin, Ferrari ou Lamborghini s’y ébattaient joyeusement aux côtés de la vieille firme modénaise, dont la gamme était, elle aussi, très étendue. Rapidement éclipsée par l’aura de la Ghibli, la Mistral, agrégat singulier de modernité et d’archaïsme, n’en demeure pas moins extrêmement séduisante pour les connaisseurs, l’obsolescence de ses liaisons au sol ne constituant plus un obstacle tangible pour une machine de collection, tandis que la fraîcheur de son style renforce encore l’attrait d’un engin qu’il est temps de célébrer à sa juste valeur !
De l’artisanat à la (petite) série
Au début des années 1960, le catalogue Maserati impressionne par sa diversité, s’agissant d’une entreprise encore très artisanale dans son fonctionnement, ce dont témoignent des volumes de production qui ne dépassent pas les quelques centaines de voitures par an. Fondée en 1914 par les frères Maserati, la firme appartient à la famille Orsi depuis 1937 et a en partie fondé sa réputation sur un impressionnant palmarès sportif. Malheureusement, des vicissitudes d’ordre financier ont contraint Maserati à renoncer à la compétition après 1958, condamnant dès lors l’usine de la via Ciro Menotti à se contenter d’exploiter la résonance encore fraîche de ses exploits en course – dont les deux moteurs dont la marque dispose alors proviennent en droite ligne. Ainsi, le V8 des 450S de course a-t-il opportunément trouvé refuge sous le capot de la très confidentielle 5000 GT, tandis que le 6-cylindres issu des 250F s’est chargé, dès 1957, d’animer la 3500 GT, toute première Maserati de « grande » diffusion (les guillemets sont voulus…).
Le vent de la nouveauté
Indéniablement, les quelque 2226 exemplaires de 3500 GT et GTi écoulés par Maserati en sept ans de production ont tout changé pour la firme – un peu comme, à un autre niveau, la 1900 a transformé le destin d’Alfa Romeo. Bien sûr, cela peut sembler bien modeste mais le modèle a néanmoins permis à son constructeur d’accéder à la production en série – ce qui ne signifie pas « à la chaîne » – la 3500 GT a pu, fort légitimement, revendiquer le rang qui lui revenait parmi les GT de haute lignée, aux côtés des Aston Martin DB4, Jaguar XK 150 ou Ferrari 250 GT. Pourtant, au Salon de Turin 1963, Maserati ratifie la fin de carrière de l’auto en présentant son successeur, sous la forme d’une élégante berlinette baptisée pour l’heure « 3500 2 Posti ». Une dénomination qui ne va pas faire long feu car, très vite, l’engin se voit rebaptisé « Mistral », devenant de la sorte la toute première Maserati à adopter un nom de vent.
Sus à la Type E !
Dû à Pietro Frua, le design du nouveau modèle démode sans pitié la 3500 GT en la renvoyant aux préceptes de la décennie précédente. La nouvelle Maserati se singularise par une ligne fastback associée à une ligne de caisse inhabituellement basse, autorisant des vitrages particulièrement généreux. Dans la grande tradition du genre, un capot aussi long qu’évocateur rejette sans vergogne l’habitacle et le coffre vers l’arrière, dont l’originalité retient l’attention ; les berlinettes de ce calibre nanties d’un hayon (qui plus est esquissant une forme de bulle dont la forme n’est pas sans rappeler celle de la future Citroën SM) ne sont pas courantes en ce temps-là – si l’on excepte la Jaguar Type E présentée deux ans auparavant. La voiture anglaise apparaît d’ailleurs comme une rivale d’autant plus redoutable pour la Mistral qu’en dépit d’un prix de vente inférieur de 40 %, elle présente une puissance équivalente, combinée par surcroît à des trains roulants d’un tout autre niveau.
Six cylindres qui en valent douze
Car si la modernité de sa carrosserie est unanimement saluée, celle-ci n’en abrite pas moins des liaisons au sol déjà datées en 1963 avec, en particulier, un essieu arrière tristement rigide, conjugué à des ressorts à lames dignes de l’avant-guerre. On nous rétorquera, à raison, que la Ferrari 250 GT/L n’est alors pas mieux lotie à cet égard… et que si son V12 peut se targuer d’une noblesse l’autorisant, en théorie, à toiser le six-cylindres de la Maserati, les chronos de celle-ci ne déméritent pas face à la voiture de Maranello. Et pour cause : la Mistral profite d’une cylindrée supérieure qui, par-dessus le marché, ne fera que croître durant sa carrière. Le 3,5 litres originel laissera, dès 1964, la place à un 3,7 litres de 245 ch, tandis qu’une évolution ultime, portée à 4 litres pour 255 ch, sera présentée en 1965 – c’est-à-dire un an avant que la somptueuse Ghibli, avec son V8 et un design dont les paradigmes annoncent déjà les seventies, vienne définitivement périmer la formule.
Un design et un moteur
Disponible aussi bien en coupé que sous la forme d’un très désirable Spyder également signé Frua, la Mistral recèle toute une série d’ambiguïtés qui en exaltent le charme. Tout à la fois chant du cygne – avec la Sebring, elle sera la dernière Maserati dotée du six-cylindres en ligne dessiné par Giulio Alfieri au mitan des années 1950 – et d’un style dont la contemporanéité semble presque paradoxale, l’auto incarne, peut-être mieux que toute autre, la GT européenne de son temps. Elle est mieux finie qu’une Ferrari, plus accueillante qu’une Jaguar et plus logeable que toutes ses rivales. Son moteur fait preuve d’une robustesse insoupçonnable si vous l’entretenez comme il le mérite, et les spécialistes savent aujourd’hui résoudre les problèmes d’une injection souvent dénoncée comme capricieuse. Il vous reste à choisir entre deux carrosseries aussi ensorcelantes l’une que l’autre – mais dont la cote varie, à l’heure actuelle, du simple au triple : si les coupés sont accessibles à partir de 200 000 €, la cote LVA indique 650 000 € pour un Spyder 3.7, et jusqu’à 680 000 € pour un 4 litres. Avis totalement subjectif : pour une fois, la plus jolie des deux est la moins chère… Sachez en profiter !
Texte : Nicolas Fourny