Il faut en convenir : des décennies durant, les sportives américaines ont plutôt fait rigoler les conducteurs européens. Leur rusticité, leur absence de noblesse mécanique et le folklore de leurs qualités routières en faisaient des cibles de choix pour les beaux esprits, qui les réduisaient avec mépris au statut peu enviable de bagnoles de frimeurs, certes plus puissantes que leurs rivales du Vieux Continent mais dont les principaux arguments se concentraient autour de carrosseries suggestives, de prix de vente agressifs et, surtout, de gros V8 débordants de chevaux. La Chevrolet Camaro, qui a connu plusieurs vies depuis 1966, a longtemps appartenu à ces autos que leurs spécificités réservaient, sur le marché européen, à quelques hurluberlus férus d’exotisme mais, quatre décennies après sa naissance, l’engin a su se réinventer de façon spectaculaire en combinant un retro design réussi à des prestations désormais à la hauteur des meilleures. Et, comme on va le voir, cette cinquième génération constitue sans doute, en l’espèce, la meilleure affaire du moment !
La gloire des pony cars
La Camaro a connu plusieurs vies mais n’aurait pas vu le jour si, en 1964, Ford n’avait pas eu l’idée faramineuse d’accoucher d’une certaine Mustang. Il faudra trois ans à la General Motors pour réagir et intégrer à son tour le segment de marché créé à soi seule par la voiture de Dearborn, dont l’insolent succès – un million d’exemplaires écoulés durant les deux premières années – a naturellement suscité des vocations… Structurellement identiques mais préservant des caractéristiques spécifiques, la Chevy et la Pontiac Firebird apparaissent donc pour le millésime 1967. Contrairement à Ford, dont la Mustang a été développée à partir d’une base technique existante – celle de la banale Falcon –, GM a choisi de concevoir une plateforme spécifique pour ses deux premières pony cars, même si celle-ci reprend en réalité bon nombre de composants issus de ses modèles les plus populaires. Les mêmes causes engendrant les mêmes effets, la première Camaro se fait donc davantage remarquer par ses performances chiffrées que par la qualité de son comportement routier mais, de ce côté-ci de l’Atlantique, les niveaux de puissance affichés par ses V8 big block (jusqu’à 7 litres de cylindrée et 430 ch SAE !) en font rêver plus d’un, à une époque où une Ferrari 275 GTB/4, tarifée deux fois plus cher que la Chevrolet, ne dépasse pas les 300 ch…
Ça s’en va et ça revient
Bien sûr, une telle comparaison n’a guère de sens au-delà des données brutes mais celles-ci alimentent néanmoins un mythe à part entière – celui de la sportive yankee brute de fonderie, ennemie de toute sophistication et dans les entrailles de laquelle on chercherait en vain la moindre trace de maniérisme mécanique. Ici, le postulat bien connu stipulant que « rien ne remplace les centimètres cubes » est appliqué à la lettre et, plusieurs générations durant, la Camaro va, à l’instar de ses compatriotes, recourir à des huit-cylindres en V aussi expressifs que roturiers, mais indissociables de sa légende. Renouvelée à plusieurs reprises jusqu’en 2002 – toujours dans une étroite parenté avec sa cousine de chez Pontiac –, au début de ce siècle l’auto va finir par quitter la scène après une quatrième génération sans grand charisme, dans une indifférence méritée, GM ayant alors décidé de mettre fin à la carrière des deux modèles. Pourtant, l’histoire de la Camaro ne s’achève pas là car, de façon inattendue (et en solitaire cette fois, le label Pontiac ayant été sacrifié lors de la terrible crise qui secoua le groupe en 2008), la pony car de Chevrolet effectue son grand retour pour le millésime 2010 !
Retour aux sources (ou pas)
Annoncée par un (faux) concept car extrêmement proche du modèle de série dès le Salon de Detroit 2006 puis, l’année suivante, par Transformers, le consternant blockbuster de Michael Bay, la nouvelle Camaro est avant tout un objet paradoxal, qui s’efforce de faire table rase du passé tout en s’adonnant sans vergogne aux joies suspectes du retro design. Car, si le style de l’engin n’est rien d’autre qu’une évocation contemporanéisée de la toute première Camaro, l’ingénierie qu’abrite une carrosserie dont la nostalgie semble, à première vue, l’unique raison d’être, n’a pour sa part plus rien de passéiste, imitant en cela l’évolution de la Corvette, qui n’a depuis longtemps déjà plus rien à voir avec la frimeuse approximative volontiers conspuée par les conducteurs de Porsche. Il n’aura échappé à personne qu’une fois encore Chevrolet répond à l’offensive de Ford, dont la Mustang vient justement de se réincarner en rendant un hommage appuyé à ses origines. Sauf que la Camaro de cinquième génération, en grande partie développée chez Holden – la filiale australienne de GM –, présente désormais des liaisons au sol up to date, là où sa rivale ose encore se doter d’un antédiluvien essieu arrière rigide !
L’Amérique, encore et toujours
De fait, avec son train arrière multibras et sa petite tribu de V8 empruntés à la Corvette C6 – oubliez les V6, certes vaillants mais réservés aux poseurs – la meilleure Camaro de l’histoire renvoie sèchement ses devancières – y compris les plus récentes d’entre elles – à la longue litanie de leurs à-peu-près. Les 432 ch de la version de base (puissance ramenée à 405 ch avec la boîte automatique) ne sont pas là pour faire joli sur la fiche technique ou impressionner les badauds ; ils passent dorénavant de façon très convaincante au sol. Pour autant, il n’y a pas de miracle : l’étourdissant rapport prix/prestations de l’auto (en 2011, première année de son importation officielle en Europe, une Camaro de base se négocie à 39 000 euros, alors qu’une Porsche 911 Carrera s’affiche à 89 500 euros) s’explique sans peine quand on examine son poids (1769 kilos à vide pour le coupé versus 1455 pour la voiture de Stuttgart), trahissant le recours systématique à des composants usuels, donc peu onéreux) ou la qualité perçue de l’ensemble (matériaux et précision des accostages, à peine dignes d’une Opel Astra).
Oubliez les snobs
Voilà bien des reproches typiques d’un cuistre de la vieille Europe, incapable de se défaire de ses poussiéreux réflexes de snob idéologique, me direz-vous – et vous aurez sans doute raison si l’on considère la mine généralement réjouie de ceux qui, faisant fi des préjugés, roulent en Camaro, parfois même au quotidien. Avec un poids et un encombrement qui la destinent davantage au cruising rapide qu’aux sorties sur circuit, la Chevy s’apparente davantage à une bonne GT qu’à une sportive authentique mais, si ce typage vous convient, gageons que vous ne serez pas déçu si vous craquez pour l’un des nombreux exemplaires en vente. Fiable et peu coûteux à entretenir pour une machine de ce calibre, le modèle reste inévitablement plus exigeant que la moyenne en carburant et en pneumatiques. Il n’empêche que sa cote demeure strictement imbattable : à l’heure actuelle, moins de 30 000 euros peuvent suffire à l’acquisition d’un coupé ou d’un cabriolet V8 ! À présent, posez-vous sérieusement la question : avez-vous réellement envie de rouler en Audi RS3 ?
Texte : Nicolas Fourny