Bucciali TAV 8-32 Flèche d'Or : démesure à la française sur traction avant
Lorsque l’on parle de Traction Avant, c’est souvent le nom de Citroën qui résonne dans les têtes. Ses 7, 11 ou 15 introduisirent en masse la traction en lieu et place de la propulsion, autorisant tenue de route et performances avec des moteurs de moindre puissance. Pourtant André Citroën ne fut pas le seul à imaginer des automobiles de type “traction”. Les frères Bucciali se lancèrent dès les années 20 dans la production de voitures sportives et luxueuses, aboutissant à leur unique chef d’oeuvre, la Bucciali TAV 8-32, carrossée par Saoutchik et surnommée la Flèche d’Or.
L’aventure des frères Bucciali commence à Boulogne-sur-Mer. Paul-Albert adore la musique, joue du piano et a un fort penchant pour la mécanique. Angelo, lui, se passionne pour un nouveau sport, la compétition automobile, et entraîne son frère sur les courses locales, lui insufflant la même passion que lui. Si Paul-Albert rêve de construire une voiture de course, il lui faudra un peu de temps pour atteindre son rêve. Après des études de philosophie, il décide en 1911 de construire en autodidacte son propre aéroplane, surnommé Buc, qu’il pilote avec brio. La guerre venue, c’est tout naturellement dans la toute nouvelle Aéronautique Militaire qu’il se trouve engagé (créée en 1912, elle ne deviendra Armée de l’Air qu’en 1934).
La Buc B6-C24, une voiture destinée à la course issue des Buc d’après-guerreDe l’escadrille des Cigognes à la Buc
Paul-Albert ne revient du front qu’en 1919, après s’être brillamment illustré. Il va désormais pouvoir assouvir sa passion pour l’automobile avec son frère Angelo, sous la marque Buc. L’idée ? Proposer des voitures sportives destinées à la route comme à la compétition. L’emblème ? La Cigogne, en souvenir de son récent passé militaire en tant que pilote de SPAD, surnommé “Cigogne“ (et qui donnera son nom à l’escadrille des Cigognes, aujourd’hui Escadron de chasse 1/2 Cigognes). En 1922, la première Buc est prête, et Angelo en prend le volant lors de quelques compétitions locales, sans grand succès. Il faut dire que cette première esquisse n’est qu’un assemblage : châssis Bigan et moteur 8 cylindres Ballot. Malgré cet échec, les deux frères décident d’aller plus loin et partent à Courbevoie ouvrir leur atelier et poursuivre l’aventure.
Fin 1922, la Buc AB1 est lancée et les deux frères peuvent commencer la production en petite série. S’en suivront plusieurs modèles jusqu’à l’AB 4-5 qui se vendra à plus de 100 exemplaires. Mais en 1926, il faut bien l’admettre : le désir de sans cesse améliorer les modèles sans constance dans la gamme ni capacités commerciales rend l’entreprise difficile face à la concurrence de plus en plus “professionnelle”. Après 200 exemplaires produits tous modèles confondus, les Bucciali cessent la production automobile pour se concentrer sur une activité qu’ils pensent plus lucrative : un bureau d’étude dédié à l’automobile.
La Bucciali TAV6Développer la Traction Avant
La grande idée de Paul-Albert Bucciali : la traction dite “avant”. Leur bureau d’étude va donc s’atteler à la création d’un châssis et d’une transmission capable de faire passer la puissance aux roues directrices. Après une première tentative avec l’ingénieur Massip, il se concentre seul à la création du châssis TAV (pour Traction AVant). Une première voiture est construite, carrossée par Audineau et équipée d’un 4 cylindres Scap de 1 700 cc. Elle fait sa première apparition en public au Salon de Paris 1926. Le public adore, mais les journalistes spécialisés sont sceptiques, notamment sur la transmission.
La Bucciali TAV8Paul-Albert se remet donc à l’ouvrage pour produire un nouveau châssis, présenté deux ans plus tard au Salon de Paris 1928 sous le nom de TAV2 (une version 4 cylindres Scap) et TAV6 (une version 6 cylindres Continental de 60 chevaux). Avec cette dernière, les bases des futures Bucciali sont jetées : capot avant étiré (pour le moteur mais aussi l’imposante transmission, principale innovation de la bête), roues immenses de 24 pouces, profil très bas (grâce à l’absence d’arbre de transmission), suspension avant à roues indépendantes et habitacle luxueux. Le scepticisme est toujours de rigueur, mais 3 exemplaires seront pourtant produits et vendus entre 1929 et 1930, carrossés par Labourdette.
A la conquête des Etats-Unis
Malgré cela, les finances commencent à vaciller sérieusement. Les banquiers sont réticents et il faut donc trouver de nouveaux revenus et des investisseurs. En 1929, Paul-Albert va alors améliorer le châssis de la TAV6 avec l’idée d’en vendre le principe aux Etats-Unis. C’est ainsi que naît la TAV8, dotée d’un 8 cylindres Lycoming. Toute l’année 1929 va être consacrée à sa mise au point. Carrossée là encore par Labourdette, la TAV8 est présentée au Salon de Paris puis embarque avec les deux frères en direction du Nouveau Monde où ils comptent vendre leur brevet TAV sous licence aux constructeurs américains.
Le timing est malheureusement mauvais : la crise de 1929 est passé par là. La seule entreprise avec laquelle un accord sera passé, Peerless, fait faillite en 1930. Cela n’abat pas les deux frères qui poursuivent leurs travaux pour aller encore plus loin : ils présentent au salon de Paris la TAV16, dotée d’un 16 cylindres fictif. Prévue pour gagner Indianapolis, la TAV16 sera abandonnée pour se consacrer à deux nouveaux projets, la TAV30 et la TAV 8-32 (à ne pas confondre avec la Lancia Thema 8.32 à moteur Ferrari).
Une TAV8 signée Saoutchik (en haut) et la première version de la TAV8-32 dessinée par GuilletUne TAV 8-32 moteur V12 « Avions Voisin »
La TAV30 est dotée d’un moteur Lycoming à 8 cylindres, sur la base du châssis renforcé de la TAV8. Elle est présentée en 1931 au Salon de Paris, carrossée par Saoutchik. Deux autres exemplaires seront vendus et fabriqués en 1932 et 1933. Mais revenons à la TAV 8-32. A partir du châssis de la TAV30, les Bucciali vont présenter en 1932 une limousine imposante de plus de 6 mètres de long, particulièrement luxueuse et mue par un V12 sans soupape de 120 chevaux (une forte puissance à l’époque, surtout sur une traction) fourni par Gabriel Voisin (lire aussi : Avions Voisin C25 Aérodyne) qui partage la passion de l’aéronautique avec Paul-Albert Bucciali. La Bucciali TAV 8-32 fait sensation au salon de Paris, avec sa superbe carrosserie signée Saoutchik, ses roues de 24 pouces et ses cigognes dorées sur les flancs du capot moteur.
La fameuse TAV8-32 dessinée par Saoutchik, appelée Flèche d’orMalheureusement, le marché de l’automobile de luxe en France s’est effondré : la crise de 29 commence à toucher l’économie française en ce début des années 30, et un seul client se manifestera, Georges Roure, qui l’avait achetée avant même le Salon de Paris (et insister pour choisir Saoutchik comme carrossier). Cette TAV 8-32 sera surnommée la Flèche d’Or. Roure ne gardera pourtant pas longtemps la Flèche d’or et la revendra en 1933 à un riche banquier, le Comte Rivaud (fondateur avec ses frères de la Banque Rivaud). Celui-ci décida de modifier la TAV8-32 en conservant la superbe carrosserie, mais en l’adaptant sur un châssis Bugatti.
Disparue puis rénovée
La voiture disparaît des radars et ne réapparaîtra que dans les années 70. Raymond Jones, un collectionneur, réussit à retrouver le châssis original, la carrosserie, ainsi qu’un V12 Voisin et entreprend sa reconstruction à l’identique. Il faudra beaucoup de temps pour retrouver ou refaire les pièces spécifiques de cette TAV 8-32 puisque la voiture ne sera terminée qu’en 1997. Elle sera vendue aux enchères en 1998 à un riche collectionneur suisse, Jan Bosch.
L’entreprise Bucciali, elle, doit fermer ses portes en 1933. Les deux frères tentent bien de se relancer, mais sans succès. Angelo meurt en 1946 tandis que Paul-Albert retrouvent un poste de salarié chez Cotal dans les années 50. Il sera mis à contribution dans les années 70 pour aider à la reconstruction de la Flèche d’Or, mais meurt en 1981 à l’âge de 91 ans sans avoir pu revoir son oeuvre à nouveau achevée.
Evidemment, il est toujours possible d’envisager de racheter la Bucciali TAV 8-32 qui refit surface en 2006 au concours d’élégance de Peeble Beach. Cependant, il faudra sûrement beaucoup d’arguments et surtout une solide fortune pour s’offrir le plaisir d’une Cigogne sur les flancs. Sachez qu’il ne reste quasiment plus de Bucciali ni même beaucoup de Buc, et qu’il faudra beaucoup de patience (et sûrement de la chance) pour trouver une TAV, quel que soit le modèle.