Alpine: un rendez-vous manqué ?
Depuis la présentation de l’Alpine Célébration, je suis perplexe. Je vous avais déjà parlé de cette impression de « déjà vu » (lire aussi : Alpine Célébration), et malgré ma passion pour la marque dieppoise, je n’arrive pas à être enthousiaste. Certains me l’ont reproché en commentaires, sur Facebook ou Twitter, mais je suis désolé, je ne comprends toujours pas où Renault veut en venir avec sa relance d’Alpine.
Je ne voudrais pas passer pour un puriste qui rejette toute nouveauté comme une grave atteinte au mythe. D’ailleurs pour moi, l’A110 était déjà du passé lorsque j’étais enfant, et je rêvais plutôt de la futuriste A310 ! Mais pardonnez-moi de croire qu’en ce qui concerne Alpine, Renault a toujours tout fait à l’envers. Et cette impression resurgit aujourd’hui avec la présentation de cette Célébration, censée préfigurer l’Alpine de série, et qui me laisse pantois.
Faisons un petit come-back en 1973. C’est certes l’année de naissance de ma sœur aînée, mais cela, vous vous en foutez (et vous avez bien raison), et c’est aussi une année fatidique pour Alpine. Renault prend cette année là une participation majoritaire dans la société créée par Jean Rédélé, société qui a toujours couru après le cash et qui a surtout du subir des grèves fatales pour sa faible trésorerie en 1972. Renault vient donc en sauveur, et accompagnera Alpine dans une montée en gamme peut-être fatale : en 1976, l’A310 se dote du V6 PRV, s’embourgeoise, et finit pas se comparer à une Porsche (lire aussi : Alpine A310 V6).
L’erreur fatale vient sans doute de là ! Avoir cru que pour exister, il fallait se comparer. L’A110 était unique, et d’une certaine manière, l’A310 4 cylindres avec son look futuriste l’était aussi. Je suis intimement persuadé qu’un bon projet ne peut pas se comparer à quelque chose d’existant. S’il y a besoin de citer la concurrence pour explique son projet, c’est donc qu’il n’est pas original. A trop cibler Porsche, Alpine a fini par devenir un succédanée de la marque allemande, forcément moins bonne. Pourquoi diable ne pas avoir voulu jouer avec son propre jeu, surtout avec un tel palmarès sportif ? Ok, j’avoue, c’est un peu facile de refaire l’histoire, et avec des si on mettrait Paris en bouteille.
La suite on la connaît… Une GTA un peu fade à partir de 1984 (lire aussi : Alpine GTA Le Mans), mais pas dénuée d’intérêt ni de qualités, puis une A610 un peu trop ambitieuse sans en avoir vraiment les moyens, et qui signera la fin de la marque, disparue en 1995 (lire aussi : Alpine A610). A cette époque, marquée par les succès de Renault en Formule 1, l’heure n’est pas vraiment à la multiplication des marques, mais à la capitalisation sur la marque Renault. L’inverse de ce que faisait le groupe Volkswagen à l’époque, multipliant les marques et les positionnements. Adieu Alpine donc, et place à Renault Sport, avec un Spider pourtant très Alpine dans la philosophie (lire aussi : Renault Sport Spider). Diantre, pourquoi ne pas l’avoir badger Alpine celui-là ? A la fin des années 90, Renault se risque même à lancer une Clio à moteur V6 central arrière (lire aussi : Renault Clio V6), qui aurait très bien pu s’appeler Clio Alpine, comme la Renault 5 Alpine en son temps (lire aussi : Renault 5 Alpine).
Quand on y réfléchit, que de temps perdu et d’occasions ratées alors que Renault détenait dans son portefeuille l’une des plus belles marques françaises. Là où Venturi avait échoué faute d’image, Alpine aurait pu le faire. Mais si aujourd’hui il paraît naturel de différencier les segments de marchés par des marques différentes, à l’époque, on pense encore volume globale, et image de marque globale. Le rêve automobile est toujours de produire une voiture mondiale, identique quel que soit le marché. Aujourd’hui, on s’aperçoit de l’intérêt d’une segmentation des marques et des marchés. Volkswagen avait raison avant tout le monde ! PSA a lancé DS. Pendant ce temps-là, Renault relançait Dacia. Attention, la marque roumaine est une vraie réussite commerciale, mais le low-cost, tout à la mode qu’il soit, n’est pas le segment le plus rentable, et les marges y sont tout de même bien moindre que dans le premium, le luxe ou le sportif.
En 2005, Renault commence à sentir qu’il y a quelque chose à faire avec Alpine. Ce n’est qu’un frémissement, mais dans le doute, l’ex-Régie rachète à son concurrent PSA les droits de la marque Alpine au Royaume-Uni. Pour mémoire, PSA était devenu propriétaire des droits en rachetant Chrysler Europe (qui, propriétaire du groupe Rootes en Angleterre, détenait donc la marque Alpine outre Manche). On eut même droit là-bas à une Chrysler Alpine, qui n’était autre que notre bien connue Simca 1307/1308 ! Petit à petit, chez Renault, l’idée fait son chemin de relancer Alpine.
C’est à partir de 2007 que l’idée s’installe durablement. L’Alliance Renault-Nissan relance Infiniti comme marque premium, et à Boulogne, on se dit qu’après tout, il y a un truc à jouer avec Alpine. Mais on est encore loin de la réactivité d’autres groupes automobiles. Il faudra attendre presque 5 ans pour voir le projet se concrétiser avec la présentation de l’A110-50, célébrant les 50 ans de la berlinette. La légende dit que c’est à Carlos Tavares que l’on doit la volonté de faire revivre la marque ! Je pense que c’est plus compliqué que cela, et très politique. Sans le soutien de Ghosn, le projet aurait été mort-né. Et malgré le départ de Tavares chez l’ennemi PSA, le projet a été maintenu.
Ce qui est sûr cependant, c’est que Renault sent bien l’intérêt de relancer Alpine, mais tâtonne. La peur de se tromper ? De froisser les afficionados ? Entre 2012 et la présentation de l’A110-50 (dérivée du concept Renault DeZir), et aujourd’hui, que d’embrouilles ! Les errements de Renault sur ces 3 dernières années montrent combien notre constructeur national est mal à l’aise avec le cas Alpine. Si l’idée d’une association avec Caterham n’était pas mauvaise sur le papier (c’était un message clair envoyé aux fans de la marque : « vous aurez une voiture légère et performante », avec Lotus dans le viseur), c’était aussi un aveu de faiblesse. Renault reconnaissait implicitement ne pas être capable de relancer seul Alpine. C’était aussi une erreur de débutant : comment ne pas savoir la fragilité financière de Caterham et de son flamboyant patron Tony Fernandes ?
La co-entreprise créée pour l’occasion aura fait long feu, et en 2014, le divorce était consommé. La séparation ne sera jamais vraiment expliquée, mais il ne fait aucun doute que les deux partenaires n’avaient ni les mêmes moyens, ni les mêmes ambitions, ni la même vision sur le futur des deux marques. Imaginer une seconde qu’il serait facile de gouverner une entreprise à 50/50 avec de telles différences de taille et de culture d’entreprise, c’était vraiment être naïf. Quelle était la part de Carlos Tavares dans ce mariage contre-nature ? Nul ne le sait, mais comme par hasard, le départ de l’un entraîne la séparation de l’autre (ou vice versa) ! CQFD. Erreur stratégique ? Projet porté par un seul homme ? Le secret reste bien gardé chez Renault.
C’est désormais seul que Renault va porter le projet Alpine. Mais ce n’est pas parce qu’on est seul maître à bord qu’on maîtrise son sujet. Les rumeurs vont bon train, sapant toujours un peu plus le moral des troupes. Début 2014, un panel de clients avait retoqué le design d’un premier projet, et la presse s’était aussitôt emparé de l’information. Mi 2014, des fuites (enfin des fuites orchestrées) parlent d’un design « enthousiasmant » (lire aussi : Le design Alpine « enthousiasmant »)… L’avenir semble donc officiellement radieux.
Mais comme rien ne se passe jamais comme il faut, patatra, fin 2014, deux carrossiers italiens renaissants présentent une Willys Interlagos rappelant furieusement l’A110 (lire aussi : Willys Interlagos AW380). Colère chez Alpine, car si aucun sketch n’est encore sorti dans la presse, l’Interlagos ressemble étrangement à la future Alpine. Bien sûr, quand on s’inspire d’un même modèle on arrive au même résultat, mais c’est aussi la preuve du manque de culot de la marque Dieppoise. Bernard Ollivier, le boss d’Alpine, ne décolère pas, et on parle même de pressions vis à vis des médias pour qu’on arrête de parler de l’Interlagos. Etrangement d’ailleurs, elle tombera dans l’oubli et ne sera même pas évoquée (à part par Boîtier Rouge) lors de la présentation de l’Alpine Célébration au Mans le 13 juin dernier.
Parlons-en de cette Célébration. C’est en discutant avec l’estimé Frédéric Euvrard, discret rédacteur en chef de l’excellent site The Automobilist (The Automobilist) que l’envie d’écrire cet article m’est revenue. Quelque chose nous choquait tous les deux, sans que nous n’arrivions à voir de quoi il s’agissait. Cette impression de « déjà-vu » n’était pas seulement due à l’Interlagos 2014. A force de discuter, nous en sommes arrivé au concept de « sportive molle », dans la lignée d’une Renault Fuego (lire aussi : Renault Fuego). On y retrouve aussi des airs de Toyota Celica T200 (1993). Mais plus qu’une A110 Berlinette, on retrouve surtout l’A110 GT4, la version bourgeoise et finalement sage de la mythique Alpine (lire aussi : Alpine A110 GT4).
A creuser le sujet, nous nous sommes aperçu que cette Célébration reprenait les codes de la sportives d’aujourd’hui, tout en jouant la carte du néo-rétro, arrivant à l’étrange résultat aperçu au Mans : un style pas déplaisant, parfois même joli, mais manquant cruellement de personnalité propre, singeant l’héritage, semblant toujours hésiter entre le passé et le futur, pour arriver à un drôle de mélange laissant d’une certaine manière le client potentiel sur sa faim. Et comme l’histoire se répète, Laurens van der Acker, le designer Renault, tombe dans le piège de la comparaison : « l’Alpine sera une voiture petite, légère, agile, un peu rétro…. comme une Porsche 911 » dira-t-il à Challenge cette semaine !
On y revient toujours: Porsche en ligne de mire. Quand cessera-t-on de vouloir faire du Porsche, alors qu’on pourrait faire de l’Alpine ? Pourquoi ne pas oser un design novateur, mais conceptuellement proche de la Berlinette originelle ? Au lieu de cela, on a l’impression d’un retour aux errements du passé (de profil, la Célébration a un petit air d’A610), et d’un complexe d’infériorité (par rapport aux allemandes). Sans parler de cet arrière pas si moche, mais maquillé de rouge à lèvre qui la fait ressembler aux deux vieilles prostituées jumelles qui officiaient rue du Montparnasse et rue Delambre lorsque j’étais jeune collégien. Comme s’il fallait séduire à tout prix par des artifices grossiers !
Après avoir écrit tout cela, vous devez vous dire que je suis anti-Alpine. En fait non, je regrette juste un manque d’audace, et surtout, le manque d’un projet clair et défini dès le départ, respectant les gènes d’Alpine sans pour autant chercher à recopier le passé. Tout cela manque d’une volonté claire, et d’une stratégie assumée, et c’est surtout cela qui me tarabuste depuis le début ! C’est sûrement parce que j’aime Alpine (sans être un puriste je le rappelle) que je suis exigeant. Après, je ne demande qu’à être convaincu. Mais j’ai un peu peur de la suite de l’aventure. On nous promet un SUV pour assurer la rentabilité du projet (tiens tiens, ça me rappelle une marque allemande ça), alors qu’il y a sans doute d’autres voies pour créer autre chose non ? On projette 4000 exemplaires par an de cette « A120 » (comme l’appelle Auto Plus cette semaine) ? Encore faudra-t-il mieux communiquer, mieux l’expliquer, et surtout bien la positionner. J’attends donc de voir !